Le chiffre du jour : 170

Au cours d’une longue interview insérée dans la double-page spéciale « ultra gauche » du Figaro d’hier, le plus en plus loquace Laurent Nuñez – Coordonnateur national du renseignement et de la lutte contre le terrorisme  – s’est largement épanché sur ses fantasmes en la matière.

Dans les lunettes bornées du renseignement, ce fameux qualificatif ne se réfère bien sûr plus au conseillisme marxiste des débuts qui faisait bondir Lénine, mais constitue le grand chapeau policier utilisé pour désigner toute une frange auto-organisée contre l’État et le capital (une «mouvance»), partisane d’une méthode de lutte que les assassins en uniforme qualifient de «violente».

Employée à tout va par le pouvoir et ses perroquets en fonction des intérêts du moment (après la mode «anarcho-autonomes», «black blocs» ou «ultra-jaunes»), la catégorie d’ « ultra-gauche » a pour double fonction de nommer pour effrayer et isoler, mais aussi de disqualifier pour réprimer. Dans la petite case des gratte-papier de l’État, se trouve ainsi rentré de force quiconque serait d’après eux « à gauche de la gauche de la gauche de l’extrême-gauche », comme le disait la chanson, parce qu’il entendrait en finir radicalement avec le vieux monde en s’attelant sans attendre à cette œuvre de démolition urgente.

L’ultra-gauche à la sauce flicarde est évidemment un fourre-tout aussi commode que dénué de sens, ne serait-ce que par l’abîme qui sépare en son sein composition politique avec une partie du pouvoir (médiatique, universitaire, syndical) en vue d’en constituer un nouveau (par le bas), et auto-organisation autonome ou affinitaire en dehors et contre lui, soit une des différences entre autoritaires et amant.e.s de la liberté. Mais qui a jamais prétendu que ce genre de fichiers puisse être autre chose que le reflet de l’étroit cerveau policier qui les alimente, bien loin de pouvoir saisir à eux seuls une réalité protéiforme riche en conflits, idées, pratiques et débats qui les dépassent ?

C’est donc au beau milieu d’une prose aussi immonde qu’absurde (interview reproduite ci-dessous pour info) que se trouve le chiffre du jour, destiné à agiter le spectre d’une possible « montée en gamme » de la dite ultra-gauche, évaluée officiellement à 10 000 véhicules, oups… sympathisants, dont 3000 « activistes ultra-violents » (on adore le mot ultra, chez les fins limiers du renseignement). Selon Môssieur Nuñez en effet, qui a sorti en exclusivité sa calculette de poche pour Le Figaro, « depuis mars 2020, on a recensé 170 actions de sabotage contre des pylônes de téléphonie (environ 60 % des cibles), des biens appartenant à des grandes entreprises (transport, énergie, communication), des collectivités locales, une sous-préfecture, trois gendarmeries, des véhicules de l’administration pénitentiaire ou de police. »

Vu que l’ultra-gauche n’existe pas (en tout cas pas selon leur définition de socio-flics), et que la plupart de ces destructions enflammées qui lui sont attribuées n’ont été revendiquées par personne, nul doute que les larbins de service auraient pu tout aussi bien en retrancher ou en rajouter plusieurs dizaines à la louche dans leurs petits carnets ! Mais qu’importe, au fond, pour qui sait qu’un tel nombre de sabotages subversifs réel ou à rectifier cache quelque chose de bien plus important : la dimension qualitative de l’agir, celle que chaque individu qui les a menés a pu effleurer l’espace d’un instant en reprenant sa vie en main…

[15 janvier 2021]


Les actions violentes de l’ultragauche en forte augmentation
Le Figaro, 14 janvier 2021

Organisés et armés, parfois entraînés au combat au Kurdistan syrien, des militants de l’ultragauche multiplient, ces derniers mois, des actions violentes en France, notamment en Isère. Pas moins de 170 sabotages et dégradations ont été commis depuis mars 2020 par cette mouvance, révèle en exclusivité au Figaro Laurent Nuñez, le coordonnateur national du renseignement et de la lutte contre le terrorisme. Interpellations et enquêtes ont lieu, mais le parquet national antiterroriste ne se saisit qu’avec une grande prudence.

Laurent Nuñez: «Avec 170 sabotages perpétrés depuis mars 2020, l’ultragauche monte en puissance»

– Après la récente interpellation de militants avec armes et explosifs, la menace de l’ultragauche et d’un passage à l’«action directe» est-elle plus forte aujourd’hui ?
 – C’est effectivement le cas, puisque, pour la première fois depuis treize ans, la qualification terroriste a été retenue contre un groupe démantelé en décembre par la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI). L’enquête est en cours, et il faut donc rester très prudent tant que toute la lumière ne sera pas faite, mais cette cellule semblait très inquiétante, avec des membres répartis sur plusieurs points du territoire, notamment un individu qui aurait séjourné pendant plusieurs mois au Rojava (Kurdistan syrien, NDLR), donc a priori expérimenté. La cellule adoptait des codes de communication confidentiels et se réunissait en zone rurale pour s’entraîner dans des secteurs reculés. Ils auraient fabriqué et testé de l’explosif, en l’occurrence du TATP, ce que l’enquête devra naturellement confirmer. En tout état de cause, des produits utilisés pour la confection de TATP et des armes à feu (de chasse et sportives), dont certaines détenues illégalement, ont été saisis. Au total, cette cellule réunissait des individus connus à l’ultragauche et d’autres inconnus mais y adhérant idéologiquement. L’enquête permettra de déterminer les cibles de la cellule qui, pour l’ultragauche, sont en général institutionnelles (policiers, gendarmes, militaires, bâtiments d’État…) ou capitalistiques.

– D’autres militants de l’ultragauche se sont-ils rendus au Rojava ?
– Oui, on compte au total une dizaine de militants de l’ultragauche qui sont allés combattre là-bas, et, pour certains, en sont revenus aguerris.

– Cette montée de la menace intervient après des dizaines d’actions de sabotage…
– Cette « montée en gamme » intervient en effet après une succession d’actions violentes « de basse intensité », qui explique pourquoi le suivi de cette mouvance a toujours été une priorité. Depuis mars 2020, on a recensé 170 actions de sabotage contre des pylônes de téléphonie (environ 60 % des cibles), des biens appartenant à des grandes entreprises (transport, énergie, communication), des collectivités locales, une sous-préfecture, trois gendarmeries, des véhicules de l’administration pénitentiaire ou de police. Je rappelle que, en janvier 2019, un incendie avait visé les locaux de France Bleu Isère. Ces 170 actions, dont une partie a été revendiquée par la mouvance, sont directement liées à un « appel à l’action directe », lancé en mars 2020 et visant à dégrader des biens représentant le « grand capital » ou l’État. Il y avait déjà eu un appel similaire en 2017 en réaction à un coup de filet contre des anarchistes en Italie. Il avait été suivi d’effets, à l’époque, avec notamment des tentatives d’incendie dirigées contre des gendarmeries, et, dans un cas, un risque de propagation aux locaux d’habitation des gendarmes. Mais la réponse à l’appel de 2020 a été bien plus forte qu’en 2017.

– Ces sabotages donnent lieu à des enquêtes et à des interpellations. Quel est le profil des suspects ?
– Certains ont répondu à l’appel à l’« action directe » et l’assument parfois pendant leur audition par les enquêteurs, mais sans faire partie de la mouvance. D’autres sont des militants connus. D’où l’importance d’un échange très étroit sur ces dossiers entre services de police et de gendarmerie, services de renseignement et services judiciaires, comme cela a été mis en place par Christophe Castaner et poursuivi par Gérald Darmanin.

– L’ultragauche a-t-elle bénéficié des mouvements sociaux de ces dernières années, notamment de celui des « gilets jaunes » ?
– Depuis la loi El Khomri, votée en 2016, la mouvance, composée d’anarcho-autonomes et d’« antifascistes », tente de noyauter les mouvements de voie publique. Ils infiltrent les manifestations pour
les faire dégénérer en s’en prenant aux forces de l’ordre et à des biens matériels, dont des établissements bancaires ou des commissariats. Ce fut le cas le 1er mai 2018 ou dans des manifestations contre la réforme de la SNCF. On l’a vu aussi à l’occasion du mouvement des « gilets jaunes ». Même si, au départ, l’ultragauche s’est méfiée de ce mouvement, avant d’attirer à elle des « ultrajaunes » épousant ses méthodes. Cette volonté d’occuper la rue s’étend à la contestation des sommets internationaux (G7, G20) partout en Europe, avec l’interpellation de Français en juillet 2017 à Berlin. Enfin, ils visent aussi l’occupation de grands projets, du type ZAD, où on les retrouve créant un surnombre pour des actions violentes ou tout simplement vivant sur place. Au-delà des « gilets jaunes », l’ultragauche tente aussi de lancer des passerelles, de créer une convergence avec des mouvements panafricanistes, dénonçant les violences policières, environnementalistes ou contre l’islamophobie d’État. Il s’agit de créer une transversalité des luttes aux fins de déstabiliser, voire de renverser, les institutions républicaines.

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