Tripoli (Liban) : quatrième nuit d’émeute, les bâtiments des autorités incendiés

Tripoli, 29 janvier 2021 : Les ruines de la mairie après son incendie par des émeutiers.

Tollé après l’incendie de la municipalité de Tripoli
par des manifestants

L’Orient-Le Jour, 29 janvier 2021

L’incendie du siège de la municipalité de Tripoli jeudi soir par des manifestants en colère contre la situation socio-économique a provoqué un tollé au Liban, poussant les responsables politiques à condamner cet acte et à réclamer une reddition des comptes, alors que la grande ville du Nord est le théâtre de heurts violents depuis lundi entre protestataires et forces de l’ordre. Ces violences ont déjà fait un mort parmi les manifestants, et plus de 300 blessés dans les deux camps. La police affirmé que trois grenades et près de 300 molotovs avaient été lancés par les manifestants depuis le début des émeutes lundi.

Jeudi, tard en soirée, plusieurs manifestants ont lancé des engins incendiaires, notamment des cocktails Molotov, provoquant un incendie qui a ravagé le siège de la municipalité de la ville. Les équipes de la Défense civile sont intervenues afin de venir à bout des flammes qui ont dévoré tous les étages du bâtiment, alors que les forces de l’ordre tentaient de pourchasser les manifestants. Des liasses de papiers administratifs étaient visibles dans la rue après l’incident, rapporte le Daily Star. D’autres manifestants avaient incendié l’entrée du Sérail gouvernemental, ainsi que le siège du tribunal religieux de cette ville à majorité sunnite, alors qu’un autre groupe avait vandalisé le centre Azm, propriété du milliardaire et ancien Premier ministre Nagib Mikati. Ce dernier a prévenu vendredi, dans un entretien à la chaîne al-Jadeed, qu’il pourrait avoir recours aux armes pour se défendre et défendre ses biens. « Si l’armée échoue à contenir la situation à Tripoli dans les heures qui viennent, (…) je pourrais recourir aux armes pour me protéger et protéger mes biens« , a-t-il menacé.

Tripoli, 29 janvier 2021 : L’entrée du Sétail, siège du gouvernorat du nord du Liban

L’armée a dans ce cadre annoncé vendredi avoir arrêté la veille trois individus soupçonnés d’avoir incendié le bâtiment de la municipalité de Tripoli et participé à des actes de vandalisme, dont un ressortissant syrien. Deux autres personnes ont également été arrêtées pour avoir participé à des émeutes et des actes de vandalisme et attaques contre des propriétés publiques et privées et pour avoir bloqué l’accès de la municipalité à la Défense civile et les pompiers. L’armée ajoute enfin que trois de ses soldats ont été blessés par des jets de pierres, engins incendiaires et cocktails Molotov lors des manifestations.

Avec plus de la moitié de ses habitants vivant sous le seuil de pauvreté, Tripoli était l’un des épicentres du mouvement de contestation sans précédent déclenché en octobre 2019 à travers le Liban contre une classe dirigeante accusée de corruption et d’incompétence. Le dernier confinement imposé par les autorités depuis le 14 janvier et jusqu’au 8 février, considéré comme l’un des plus sévères du monde, a été la goutte qui a fait déborder le vase dans cette ville la plus pauvre du Liban.


Tripoli, 29 janvier 2021 : Restes du tribunal religieux, qui y est aussi passé grâce à des molotovs jetés par-delà les murs et grilles du Sérail

A Tripoli, des maisons de responsables libanais prises
pour cible par les manifestants

L’Obs-AFP, 29 janvier 2021

Tripoli (Liban) (AFP) – Des foules en colère se sont rassemblées jeudi devant les résidences à Tripoli de personnalités politiques influentes du Liban, incendiant des bennes à ordures et brisant des caméras de surveillance, au quatrième jour de manifestations contre la gestion de la pandémie de coronavirus.

Les manifestants ont jeté en fin de journée des cocktails molotov dans les locaux de la mairie de la ville, provoquant un violent incendie, selon l’agence de presse nationale.

« Nous voulons incendier leur maison comme ils nous ont brûlé le coeur« , a dit à l’AFP Omar Qarhani, père de six enfants. « Ils ont fait honte à cette ville« , ajoute ce chômeur de 42 ans, en référence aux dirigeants politiques. « Que n’importe quel politicien ose marcher dans les rues de Tripoli! », lance avec défi M. Qarhani au milieu d’une centaine de manifestants rassemblés devant la maison d’un responsable politique de cette ville.

Après trois soirées de violents heurts ayant fait un mort et plus de 300 blessés, une centaine de personnes ont de nouveau battu le pavé jeudi, s’arrêtant successivement devant différentes résidences de responsables politiques originaires de la ville et tentant d’y pénétrer avant d’être empêchées par l’armée.

Les protestataires ont lancé des pierres contre des caméras de surveillance dans le secteur, détruisant plusieurs d’entre elles. Des véhicules militaires suivaient au pas les manifestants, en majorité encagoulés. C’est pour bloquer l’avance de ces véhicules que des protestataires ont renversé des bennes à ordures sur la voie, a constaté un vidéaste de l’AFP.

Au milieu d’une foule compacte massée devant la maison du député Fayçal Karamé, Adnan Abdallah s’est lancé dans une diatribe contre les dirigeants originaires de la ville, dont certains sont classés parmi les milliardaires de la planète. « Nous ciblons les foyers des politiciens parce qu’ils sont responsables de la situation dans laquelle le Liban se retrouve aujourd’hui », lance-t-il. « Nos dirigeants sont les mêmes depuis 30 ans. Ils ont ruiné l’avenir de notre jeunesse et conduit notre pays à la ruine », déplore-t-il.

Devant la maison de Samir al-Jisr, autre député de Tripoli et ancien ministre de la Justice, des manifestants ont déclenché un incendie rapidement éteint par les forces de sécurité. « Pourquoi les protégez-vous? », ont crié les manifestants à l’adresse des forces de sécurité et des militaires déployés en renfort.

Les affrontements jeudi soir entre manifestants et forces de sécurité ont fait au moins 102 blessés dont cinq hospitalisés, selon un tweet de la Croix-Rouge libanaise.

Adnan al-Hakim, un manifestant de 19 ans, marche en boitant, le visage couvert d’un bandage taché de sang. Il affirme avoir été visé mercredi soir par une balle en caoutchouc au niveau de la jambe et reçu des coups de matraque sur le visage. Mais sa détermination reste intacte, assure-t-il. « Nous sommes obligés de descendre dans la rue pour réclamer nos droits », affirme à l’AFP le jeune manifestant. « Ils nous forcent à vivre dans l’humiliation » mais nous « ne pouvons plus supporter cela ».