[Livre] : L’extinction des lucioles

[Trognon, 31 juillet 2025]

Un nouveau bouquin est dispo, qui est en réalité une compilation de textes et brochures. Il est dispo de la main à la main à prix libre, et dans quelques distros ici et là. Il est aussi dispo en ligne chez Lutines Séditions. Ci-dessous, l’intro et le sommaire.


L’extinction des lucioles

Dans son livre
Contre le Léviathan, contre son histoire, Fredy Perlman dit qu’à bien des égards, nous sommes des dépossédés. Nous ne savons plus écouter les plantes pousser, ressentir cette croissance par tous les pores de la peau. Nous sommes étrangers à ce monde. Nos ancêtres étaient à l’inverse des possédés. Ils savaient danser autour du feu et être présents au monde. Ils connaissaient la joie de la possession – pas la possession des choses, mais celle de l’être. Je ne sais pas pourquoi, mais à la lecture de ce passage, il m’est revenu des souvenirs d’enfance avec mon frère et mon cousin, lorsque nous parcourions la campagne près de chez ma grand-mère. Nous ne connaissions alors pas ce qu’était une nuit noire. Déjà, le peu de lumière artificielle permettait d’observer le ciel étoilé. Il y avait aussi un peu partout des vers luisants, qui éclairaient la nuit. Il n’y en a plus guère aujourd’hui.

Il m’apparaît que ce déclin est un signe explicite de l’appauvrissement généralisé que provoquent les ravages de nos sociétés modernes, capitalistes et industrielles. Il ne s’agit pas seulement d’une destruction du vivant, mais aussi de nos capacités d’imagination.

Quelles peuvent être les rêves des enfants dans un monde de plus en plus artificialisé, pollué, dominé par des esprits de caserne et de profit ? L’extinction des lucioles, c’est un peu le reflet du désastre ambiant dans lequel on s’embourbe.

Les trois textes compilés ici, tous écrits et diffusés en 2024, forment une sorte de cycle sur les derniers ravissements de l’exploitation et de la domination dans le contexte français et au-delà. Le premier texte part des dernières réformes contre les chômeurs et chômeuses pour évoquer de manière plus générale la guerre aux pauvres inhérente au capitalisme et à tout pouvoir.
Le second texte rappelle que toute visée d’émancipation ne peut que commencer par une critique des religions et des logiques identitaires, qui viennent dissoudre l’individu sous un immondice de transcendance et de relations impersonnelles. C’est d’ailleurs sur le socle religieux que s’est fondée la pire invention de l’histoire de l’humanité : l’Etat. Ce texte est aussi l’occasion de s’en prendre au nationalisme, de droite comme de gauche, qui connaît aujourd’hui un regain de vigueur.
Le troisième texte est une sorte de conclusion à ce cycle, et c’est pourquoi il répète parfois les textes précédents. Il tente d’analyser la période de durcissement du pouvoir que l’on connaît sous ses différents aspects. Il me semble qu’on assiste à une brutalisation des rapports sociaux et à une trajectoire nous menant vers une forme de néofascisme bardée de nouvelles technologies de contrôle et perfusée à l’industrie nucléaire – un technofascisme. Il n’y a alors guère le choix : la dystopie ou la révolution, nourrie par une saine révolte contre tout pouvoir et guidée par l’amour de la liberté contre le culte des chefs.

Il y a derrière tous ces textes l’ombre de la guerre et du militarisme, avec toutes leurs horreurs. Étant entendu que nous ne ferons pas que compter les morts, cette compilation entend contribuer à la lutte contre cette trajectoire dystopique, pour lui en préférer une autre : l’anarchie.
Une critique qui a été faite au texte sur la guerre aux pauvres tape à mon avis assez juste et soulève un problème important : il reste probablement trop pris dans les catégories de l’économie. Il est vrai que la plupart des critiques de l’économie a du mal à s’en libérer.
L’être humain est bien sûr d’abord un corps biologique, mais il n’est pas en premier lieu un être de besoins. Son humanité est beaucoup plus vaste.
En outre, l’être humain n’est pas voué à dissocier sa satisfaction des besoins des significations sociales et des pratiques culturelles dans lequel il baigne. Il n’y a pas le corps d’un côté, l’âme de l’autre. La survie et la subsistance ne constituent pas en ce sens des principes séparés ni des réalités présociales. Dans la réalité de la plus grande partie de l’humanité qui nous a précédé, manger, boire, vivre sont des actes imbriqués dans des rapports sociaux complexes et un maillage de significations sociales qui ne peuvent pas être isolées les unes des autres, pour en sortir un minimum vital anthropologique ou une fumeuse rationalité instrumentale. Ces idées, ce sont celles des esprits étroits des utilitaristes et des bourgeois.

Les esprits modernes sont en réalité infectés par le poison du travail et de la marchandise et projettent sur l’ensemble de l’humanité leur propre aliénation. Nous avons tendance à réduire toute activité humaine à travers ce prisme. Les anthropologues n’y échappent pas et participent à ce réductionnisme qui est aussi un anachronisme. Dans le premier chapitre de Contre le Léviathan, contre son histoire, Fredy Perlman rappelle avec humour l’idiotie d’appeler « cueilleurs » des communautés humaines parce qu’elles ramassent et constituent des réserves de leur nourriture préférée. « Un employé de banque appellerait ces communautés des caisses d’épargne ! », ajoute-t-il.

Le quatrième texte vient combler un manque dans les trois textes précédents : celui de la critique de la science moderne et des technologies qui vont avec. Les forfaitures du second mandat de Trump aux Etats-Unis sont l’occasion de rappeler que la science ne viendra pas nous sauver contre l’obscurantisme, étant donné qu’elle est constitutive du système qui nous plonge dans les désastres.
La proposition de couper le courant au pouvoir (plutôt que de rallumer les Lumières d’une rationalité ambiguë), quant à elle, a trouvé une résonance avec le beau sabotage du 23 et 24 mai 2025, où une centrale hydroélectrique et un pylône haute-tension ont été attaqués, coupant le jus à différentes industries nuisibles et, au passage, au Festival de Cannes. Voici une « coupure inopinée dans un mauvais film d’épouvante qui traîne en longueur. Le même scénario est joué et rejoué en boucle jusqu’à la nausée. Les scènes changent, les effets spéciaux aussi, mais la toile de fond est toujours la même : un monde qui n’arrêtera pas de bombarder, d’exploiter, d’extraire, d’accaparer, de violer, de ravager, d’affamer, de mitrailler, de polluer, et d’exterminer, tant que tout ne sera pas sous son contrôle » (communiqué de revendication de deux bandes anarchistes).

Et pourquoi un tel sabotage, au milieu de beaucoup d’autres, n’aurait-il pas lieu en même temps qu’une émeute intense aux abords du palais de l’Élysée, comme celle de décembre 2018 ? Qu’une multitude de sabotages coordonnés désorganisent le pouvoir et l’économie, pendant que les quartiers populaires s’embrasent, comme lors de début juillet 2023 ? Que les usines s’arrêtent, les banques brûlent, les flux financiers s’estompent, les autoroutes soient coupées, les prisons attaquées, les terres redistribuées et collectivisées, que plus personne n’ait à payer de loyer ? Que des pans de la société soient détruits, pendant que des tas de gens s’autonomisent pratiquement et réellement des institutions et de la marchandise, pour commencer à vivre par nous-mêmes, sans les poisons de la hiérarchie et de l’argent ?


Sommaire

La guerre aux pauvres. Sur France Travail et autres joyeusetés, p.12
France Travail (famille, patrie)
Un contexte d’offensives du patronat et du gouvernement
L’accumulation primitive : dès le départ, la guerre aux pauvres
Une partie de la masse des travailleurs et travailleuses est devenue superflue
Qui sont les pauvres ?
L’exploitation est sans frontières, pourquoi la lutte contre l’exploitation en aurait ?

Ni dieu, ni maître, ni ordre moral. « Toutes les religions se valent dans l’égarement », p.32
La religion à l’origine de l’Etat
Le fanatisme est inhérent à la religion
L’islamisme, produit de la crise
Le fondamentalisme en miroir des « valeurs occidentales »
Balayer les religions et toutes les logiques identitaires par la révolution sociale
La seule église qui illumine est celle qui brûle…
Au commencement était le génocide
Une histoire rationnelle et hérétique du monothéisme
Actualités religieuses : le déluge d’Al-Aqsa et le glaive de fer
Nationalisme, quand tu nous tiens…

Para bellum. La nouvelle brutalisation des rapports sociaux, p.86
La parenthèse démocratique du capitalisme et son déclin
L’extinction des lucioles
Sauvez-nous Seigneur ! et autres bondieuseries
La tentation néofasciste
La guerre perpétuelle
Amour de la loi et brutalité ordinaire
Que faire de cette situation ?

Merci de ne pas allumer la lumière, mais de couper le courant. La science contre Trump et inversement ?, p.130
Aux origines de la science moderne
Pensée mécanique
All capitalists are bastards