
Stuut, 10 décembre 2025
On écrit ce texte pour parler un peu des flics. Et surtout des rapports du milieu squat bruxellois avec les flics. Ces derniers temps, plusieurs choses nous ont interpellées à ce sujet.
Premièrement, plusieurs discussions ayant eu lieu dans des groupes signal inter-squat nous ont laissé sceptiques. Certain.es y ont exprimé leur volonté de rencontrer des ’gentils’ flics pour ’discuter’ et ’faire connaissance’ pour ’mieux se comprendre’, un rdv a même été proposé. D’autres y ont demandé/fait tourner des contacts de flics ’ami’. On sait par ailleurs que des gens de nos milieux sont déjà en contact avec ce même type de keuf dans une perspective prétendument stratégique, de temporiser et fluidifier les rapports avec les proprios et la police.
Pour nous, ces interactions témoignent d’à quel point il est banal dans nos milieux de causer avec les flics, de collaborer d’une manière ou d’une autre et de ne pas (assez) s’en méfier.
De plus, il y a peu, un flic des renseignements a été vu en train de rôder aux abords de l’ouverture collective d’un nouveau Centre Social, quelques minutes seulement après que les gens soient rentrés. Ça éveille notre suspicion quant à comment cette situation a pu arriver.
On a du mal à pas faire le lien entre banalisation des échanges avec les flics, et la facilité que ses derniers semblent avoir à nous fliquer.
On aimerait faire le point sur ce que ça veut dire tout ça, pourquoi on est certain.es d’y perdre sur tous les plans, en plus de trahir nos idées d’insoumission à l’autorité.
On voulait commencer par revenir sur une expérience qu’on a eu avec une team de squat il y a quelques temps et qui nous a bien fait réfléchir. Partager ces réflexions, c’est une manière pour nous d’inviter nos entourages, copaines, complices, à ne pas reproduire les mêmes erreurs.
Les flics nous la mettent à l’envers
Quand on a appris que la proprio était au courant qu’on squattait son bat’, on s’est dit que pour tenter d’éviter une procédure unilatérale (procédure qui permet une expulsion rapide quand l’identité des occupant.es n’est pas connue), on irait faire constater l’occup’ par les flics. On a donc filé des identités au comico du coin. Un peu plus tard les flics sonnent à la maison et demandent de rentrer pour voir et constater l’occupation. Un peu pris.es au dépourvu, on les a laissé rentrer et on le regrette encore. Ces ordures ont pris pas mal de photos et ça ne nous a pas empêché de nous taper une procédure unilatérale. En effet, les flics ont jamais voulu nous donner un compte-rendu de leur visite, ni une preuve que certaines identités leur était connue et donc accessible à la proprio. L’excuse de l’insalubrité a ensuite été utilisée pour nous expulser le plus rapidement possible. Les quelques jours avant l’expulsion, les flics ont utilisé la moindre info qu’ils avaient sur nous pour nous mettre la pression régulièrement (nous appeler par nos prénoms dans la rue, demander si on allait bien déménager nos animaux, etc.) On s’est évidemment fait avoir un peu comme des cons par les keufs et on le partage ici pour que d’autres ne se fassent pas avoir comme nous.
Les flics cherchent des poukaves
Quelques jours avant notre expulsion, un type sonne à la porte de notre squat. Quand le pote ouvre, il lui dit qu’il est flic et commence à parler. Un autre flic en civil les rejoint bientôt – il était resté à l’écart pour avoir l’air moins suspect en laissant son collègue sonner à la porte seul. Ils se présentent comme faisant partie de la section info de la police judiciaire de Bruxelles-nord. Ils commencent par dire que c’est important pour eux que l’occup se passe bien. Ils justifient le fait que les flics en uniforme du quartier nous font ultra chier ces derniers temps (sonnent tous les jours, nous emmerdent dès qu’on est parqué sur le trottoir, qu’on fait l’atelier vélo, etc) en disant qu’ils ont peur qu’il y ait trop de consommation ou que le lieu soit insalubre. Ils se dissocient aussi de leurs collègues en uniforme, disant que eux ils comprennent pourquoi on occupe, que le logement c’est compliqué à Bruxelles. Ils se mettent à poser plein de questions sur nous : qui on est ? Combien on est ? D’où on vient ? Quelles sont nos idées politiques ? Comment on est organisés ? Est-ce qu’on fait partie du Front anti-expulsions ? Et petit à petit, ils proposent une collaboration. En sous-entendu : ils proposent que si on collabore, si on leur file des infos sur nous, ils peuvent prendre contact avec le proprio d’une futur occup. Ça voudrait dire, en échange, des infos sur nous, trouver un accord avec les proprios avant de squatter, accepter un bail précaire. Bref, une bonne vieille collaboration avec les flics pour perdre toute la subversivité du squat mais aussi pour qu’ils aient un bon point d’entrée dans le milieu squat, des gens à qui soutirer des infos tant sur notre squat que sur le milieu dans son ensemble. Le pote a bien sûr pas accepté. Mais, sans tomber dans de la parano, on a le sentiment que d’autres pourraient se laisser avoir. C’est une bonne vieille technique de keufs que de faire miroiter des avantages pour se mettre des balances dans la poche. Les flics ont d’ailleurs sous-entendu qu’ils avaient déjà ce type d’accord avec certains squats.
Les flics sont formés pour nous manipuler
Combien de fois on a entendu l’idée que en parlant aux flics, c’est nous qui leur soutirons des infos, ou que ça a un avantage pour nous de collaborer, de jouer les gentils. Les flics ne sont jamais des alliés. Leur travail est bien de protéger la propriété privée et les propriétaires vu qu’ils protègent les lois de cette société de merde. Et nous, comme squatteurs, on emmerde ces lois, nos pratiques ne sont pas légales et jamais un représentant de l’ordre ne peut nous soutenir d’une manière ou d’une autre. Les flics sont formés pour nous manipuler. Si l’on jette un œil à la science Forensic (la science de l’investigation, donc utilisée par les flics et la justice), on trouve de grosse théorisations des différentes manières de manipuler. On voulait en développer 4 qui nous semblent souvent utilisées par les flics avec les squatteurs et qu’on a pu voir avec notre dernier squat. Pour le développement de plus de méthodes de manipulation des flics, on conseille la lecture du petit livre « Comment la police interroge » (dispo ici).
Flics naïfs
Combien de fois on entend que les flics sont trop cons. Alors oui, c’est sûr qu’à première vue ce ne sont pas des flèches. Mais il est important de garder en tête que jouer au con fait partie d’une stratégie souvent très efficace. Ce que ça crée, c’est qu’alors on se sent supérieur à eux. Et on commence à prendre un peu trop la confiance et donc à faire des conneries. Combien de fois on a entendu des personnes dire que c’est eux qui utilisaient les flics : « oui j’essaie de leur soutirer des infos ». Les flics savent très bien ce qu’ils peuvent ou ne peuvent pas nous dire en général, ils sont formés et payés pour nous soutirer des informations. Alors essayer de jouer au plus malin avec eux, ça mène très souvent à leur donner des infos qu’on aurait préféré garder pour nous. Parce que toutes les infos que les flics récoltent peuvent toujours leur servir, à court ou à long terme.
Stratégie de l’engagement
Une autre stratégie extrêmement efficace est le phénomène d’engagement. Les flics commencent par poser des questions banales, par faire une conversation sympa, sans enjeux. Petit à petit, ils se mettent à poser des questions plus précises. Il est alors très difficile de stopper la conversation quant on s’est déjà engagé.e dans la discussion. En plus, ils ont ainsi un moyen de pression : « Pourquoi avoir répondu à nos questions jusqu’ici mais refuser de le faire maintenant ? Vous avez quelque chose à nous cacher sur ce sujet ? ».
Les sables mouvants
La stratégie du sable mouvant est une technique où les flics t’encouragent à mentir. Ils vont rebondir sur tes mensonges jusqu’à te pousser à des contradictions. Mentir, surtout à l’improviste, demande de grandes compétences et c’est rarement une très bonne idée. « L’objectif pour la police est de te pousser à mentir puis de faire voler ton mensonge en éclat. Alors les policiers·policères vont te montrer qu’ils·elles savent que tu mens, que tu n’es plus crédible. » (citation de « Comment la police interroge ? »)
Faux marchandage
Les flics proposent des marchés pour soutirer des informations. Ils proposent des avantages, nous font des promesses qu’ils ne tiendront probablement pas. « Passer un contrat avec la police est une démarche très précaire car tu ne contrôles rien des éléments extérieurs et tu ne possèdes aucun moyen de pression pour qu’ils·elles maintiennent leurs promesses. » (citation de « Comment la police interroge ? »). Cela vaut pour ce qui est des propositions de type médiation avec les proprios.
Pourquoi c’est la merde de donner des infos aux flics ?
Ce que ça permet aux flics, d’avoir autant d’infos sur nous, c’est de faire du profilage. Ça veut dire qu’ils ont une idée assez précise de qui on est, de quelles relations on a, quelles idées on porte. Et à partir de là, c’est beaucoup plus facile de savoir où chercher quand il se passe des actions plus chaudes. Si par exemple iels ont identifié des habitant.es d’une maison comme se bougeant sur les luttes pro-palestiniennes et sensibles à l’action directe, il leur serait plus évident de penser à viser cette maison pour y faire une petite perquisition suite à une attaque/un sabotage de solidarité avec la Palestine.
On a souvent l’imaginaire du flic infiltré dans les milieux militants. Et pourtant, les taupes sont bien souvent des gens qui ne bossent pas pour les flics mais qui donnent quelques infos en échange d’un avantage. Et si on ajoute a cela toutes les infos qui sont données, malgré nous, à chaque échange avec les flics, on peut se dire qu’iels se font une bonne petite idée de qui on est.
Parler avec les flics c’est jamais une bonne idée. On invite très chaleureusement à ne pas ouvrir aux keufs, à refuser de leur parler. On peut toujours leur dire « je préfère garder le silence » et c’est un droit en Belgique, de ne pas parler aux keufs.
« Le travail des flics est de nous faire parler pour nous charger nous ou d’autres. Réponde à leurs questions est non seulement dangereux pour nous et nos camarades, mais cela peut mener à une collaboration informelle. Si nous donnons une information, ils nous verront comme une personne qui peut leur en donner plus. Ils peuvent nous foutre encore plus la pression, ou utiliser une forme de chantage. Le truc, c’est qu’ils vont rarement nous demander de travailler pour eux formellement. Il n’y a pas de frontière claire entre répondre à leur questions et être une balance. » (Comment la police interroge)
Pas parler aux flics, c’est un truc de privilégié.es ?
Récemment on a pu entendre/lire cet argument pour justifier la pratique d’être en contact avec les flics : ne pas parler aux flics serait un privilège de ’toto’, une sorte de posture de principe que les personnes plus vulnérables ne pourraient pas se permettre.
Si commencer à parler aux flics mène souvent à un glissement et finit par tourner à leur avantage, alors leur permettre de comprendre, même indirectement, les dynamiques internes de nos squats ne peut que vulnérabiliser encore plus les personnes les plus précaires et marginales vis à vis de la répression. Dialoguer, ouvrir sa porte au flics, c’est permettre la possibilité d’une expulsion plus rapide à cause d’insalubrité (que les flics peuvent facilement inventer), c’est s’empêcher la possibilité d’une défense plus offensive de son squat, c’est aussi filer des potentielles infos sur où logent des personnes sans-papier, sur leur nationalité, et ça peut faciliter des opérations de rafles en vue de déportations collectives. Bref, cet argument est en tout cas très réducteur et coupe la possibilité de réfléchir sérieusement à la question du rapport aux flics. D’ailleurs, on n’oublie pas que la conflictualité avec la police est souvent bien plus portée par des personnes précarisées. L’insoumission aux contrôles, la riposte, l’attaque sont des pratiques courantes de beaucoup de personnes sans-papier, racisées, pauvres. D’ailleurs bien plus courantes que chez les totos blancs…
Toujours des raisons de cracher à la gueule des flics
On l’a vu, c’est jamais à notre avantage de parler aux flics. Mais en plus de ça, n’oublions pas qui sont ces ordures. On n’oublie pas qu’ils tuent, on n’oublie pas Ouassim et Sabrina, Sourour, Ibrahima, Mawda, Fabian et tous.tes les autres. On oublie pas que ce sont eux qui servent de chiens de garde à l’État, à ce monde qui nous fait vomir. Ils défendront toujours la propriété privée alors qu’on veut la détruire et que squatter fait partie de ça. Ils défendront toujours les frontières alors qu’on veut que tout le monde puisse circuler librement et que tous les papiers brûlent. Ils rafleront toujours les sans-pap’ à gare du midi, à Matonge et ailleurs pour les enfermer et les déporter hors de Belgique, alors que nous souhaitons que des gens puissent arriver du monde entier, quelles que soient leur raisons, que nous voulons un monde hétérogène et plein de belles rencontres. Ils défendront toujours les intérêts du Capital et des bourges, ce seront toujours eux devant les vitrines qu’on veut étoiler, devant les machines mortifères qu’on veut incendier. Ce sont toujours eux qui traquent et enferment en taule tous.tes les rebelles, tous.tes celleux qui refusent ou n’arrivent pas à se plier à la normalité. Les flics seront toujours nos ennemis ! Alors la prochaine fois qu’ils sonneront à la porte, on espère que l’on sera nombreux.ses a ne pas leur ouvrir, si ce n’est pour leur cracher à la gueule.