[Note. De nombreux textes, analyses du dossier judiciaire, et lettre de prison ont déjà été traduits ici à propos de cette longue histoire répressive munichoise et de son contexte. Il est possible de les retrouver à partir de ce lien.]
Rébellion en temps de surveillance policière totale –
Lettre ouverte et mise à jour après la sortie de prison
Traduit de l’allemand de de.indymedia, 30 octobre 2025
Comme cela a déjà été dit, nous (Nathalie et Manuel) avons été étonnamment relâché-e-s de détention le 22 septembre.
(suit une brève mise à jour sur la remise en liberté et les premières semaines qui ont suivi, ainsi que la publication a posteriori d’une lettre ouverte écrite en taule et datant d’août 2025)
Pour Nathalie, la porte de la cellule s’est ouverte vers midi et demie et une matonne lui a appris sa remise en liberté. Elle n’a pas pu revoir les autres détenues qui étaient enfermées en cellule ou au travail à ce moment-là. Elle a juste pu laisser de petites quantités de nourriture à quelques-unes. On l’a ensuite accompagnée vers la sortie puis mise à la porte vers 16h.
Manuel a été informé vers 14h, après la promenade. Comme les portes des cellules étaient ouvertes dans sa section à cette heure-là, il a pu prendre congé des autres prisonniers et filer quasiment toutes ses affaires à des codétenus.
Un policier du K43 [la police judiciaire chargée des crimes qualifiés d’extrême-gauche] attendait chacun-e d’entre nous, le commissaire principal Unglaub pour Manuel et l’inspecteur Meyer pour Nathalie avant la sortie. Ils étaient là pour nous informer d’un dénommé » avertissement de mise en danger « . Celui-ci consistait essentiellement à nous enjoindre à ne pas commettre de délits – même pas de « délits mineurs » (selon l’inspecteur Meyer) – et à nous renvoyer vers « un programme interne de déradicalisation ». On nous assurait que les portes du K43 nous seraient toujours ouvertes.
Alors qu’au motif que nous n’avions pas bien écouté et surtout trop ricané à ses propos, le commissaire Unglaub refusait de répondre à notre question de savoir si nous restions placé-e-s sous surveillance, il a à peine fallu trois minutes aux civils en observation pour se griller d’eux-mêmes à notre sortie. Le chauffeur du taxi que Manuel voulait prendre (plaque M QF 1185) s’est démasqué en tant qu’Observant, en lui répondant non pas qu’il était déjà réservé, mais en détournant le visage en même temps qu’il appuyait précipitamment sur une sorte de « bouton d’urgence » dans sa poche droite de pantalon, et qu’il s’assurait que les fermetures de sécurité du véhicule étaient enclenchées. Le tout en faisant d’énergiques gestes des mains sur le mode « casse-toi ». Il avait plus l’air d’un Observant grillé que d’un chauffeur de taxi pendant la fête de la bière.
Retour à la case départ donc. Il en irait de même les jours suivants. Ils se donnaient plus ou moins de peine, nous photographiant parfois sans vergogne au téléobjectif alors que nous nous baignions nu-e-s dans la rivière Isar, et lorsque, dépourvus de tels moyens techniques, ils s’aventuraient à portée de voix, c’était pour tourner les talons à toute vitesse et éviter de se faire accoster. Quand Manuel s’est souvenu de la promesse de la porte ouverte au K43, et a demandé à voir les décisions judiciaires nécessaires pour justifier une surveillance à plus long terme et l’utilisation de moyens techniques, un commissaire Unglaub manifestement très irritable lui a pratiquement hurlé dessus qu’il n’y en avait pas et que d’ailleurs Madame Findeisen et Monsieur Obermeier étaient en charge de cela, ainsi que le Parquet Général. Mais c’est bien connu depuis le cours d’instruction de propagande humaines des récits de Kafka, les portes du Parquet Général restent bien-sûr fermées. Un planton a aboyé qu’il fallait encore attendre, qu’un rendez-vous était nécessaire, que c’était le Parquet Général, qu’on ne pouvait pas juste débouler comme ça aux heures d’ouverture, qu’il fallait déposer une requête écrite. Heureusement qu’on avait déjà l’habitude de tout ça avec la routine carcérale …
Mais pourquoi cette remise en liberté maintenant ? Dans toute cette précipitation, on avait volontairement omis de nous le dire. On pourrait penser que ça n’est pas intéressant – ce qui compte c’est d’être dehors. En fait, c’est la cour d’appel, plus précisément l’association de magistrats autour du juge Höhne, qui a ordonné notre remise en liberté immédiate. En effet, notre procès a été ostensiblement repoussé. Depuis la mise en accusation mi/fin mars, le groupement judiciaire Himmelstoß ans Co., appelé 29e chambre pénale du tribunal régional de Munich I (chambre de sûreté de l’État), n’avait toujours pas fixé les dates du procès et n’envisageait la tenue des audiences qu’à partir de janvier 2026. La manœuvre était trop évidente. En effet, même si la justice bavaroise laisse couramment moisir les personnes en détention préventive, dépassant régulièrement le délai prévu de 6 mois, cette pratique est plutôt mal vue quand elle est à ce point flagrante.
Comme la commissaire Findeisen, cette policière si attentionnée que nous connaissons du soir de notre arrestation, l’avait alors déjà promis à Nathalie, notre cabane en forêt devait être rasée au sol peu après notre remise en liberté. Notre ancien habitat a été démoli avec de lourdes machines, et pour ce faire une énorme tranchée a été percée dans le sous-bois de la parcelle de forêt en pleine croissance. La police tient donc parole.
Le procès contre nous deux et une autre personne devrait commencer vers la fin du mois de janvier. Pour l’instant, 10 dates sont prévues.
Nous remercions encore une fois toutes les personnes solidaires pour les cartes postales, les lettres, les saluts et toutes les formes inimaginables de soutien qui nous sont parvenues en taule. Vous nous avez donné la force nécessaire.
Rien n’est fini, tout continue.
RÉBELLION EN TEMPS DE SURVEILLANCE POLICIÈRE TOTALE
Une lettre de l’autre monde à propos de la dernière vague répressive contre des anarchistes munichois-e-s.
(…)
Une esquisse en contexte social de la répression contre le journal « Zündlumpen » et des anarchistes de Munich
Alors que l’État mettait la presse au pas et instaurait une nouvelle sorte de nationalisme, celui de l’obligation vaccinale [contre le Covid] « solidaire », qui ne serait pas une contrainte, seulement « il n’y aura pas de liberté sans vaccination » selon Markus SöDDR comme il a alors été fréquemment appelé, il va de soi que la répression devait aussi frapper toutes celles et ceux refusant la muselière (médicalement) prescrite. Ce fut l’heure de gloire de l’Office central de lutte contre l’extrémisme et le terrorisme (ZET) bavarois, nouvellement créé et qui se mit immédiatement au travail, en engageant les poursuites contre les opposant-e-s au vaccin, contre les « négationnistes du Covid », et contre les anarchistes and Co. C’est le ministre de l’Intérieur de Bavière en personne, Joachim Herrmann, qui va lancer la chasse aux anarchistes de Munich, en raison d’une prise de bec avec le journal « Zündlumpen« , un « hebdomadaire anarchiste » paraissant alors à Munich et comptant parmi les premiers critiques des mesures Covid, ou plus précisément en raison d’émoticônes clin d’œil excessivement menaçantes. »
A l’appel du plus haut chef de la police bavaroise, des flics s’activent alors plus ou moins secrètement. Avec l’accord des parlementaires Katharina Schulze, Alfred Sauter et Alexander Flierl, les services de renseignements bavarois surveillent le courrier d’une quinzaine d’anarchistes (présumé-e-s) qu’ils observent aussi de différentes manières. Bien qu’ils demandent à plusieurs reprises l’autorisation de prolonger ces mesures de surveillance, étant donné que leurs observations « n’auraient pas encore offert les résultats escomptés », comme par magie ces services sortent soudain de leur chapeau trois personnes « suspectées de faire partie de l’équipe éditoriale de Zündlumpen ». Cela se produit juste au moment où la police moins secrète en charge des investigations contre « Zündlumpen » clôt son enquête en raison du manque d’indices prometteurs. Trois personnes, c’est le minimum requis pour une procédure selon le paragraphe 129 pour « formation d’une association criminelle » dont doit relever l’édition d’un journal. Une telle procédure constitue à son tour le fondement indispensable pour réaliser, puis exploiter dans une procédure pénale, des mesures de surveillance, des écoutes téléphoniques, du contrôle de courrier etc. Comme par hasard.
Il s’en est suivi des perquisitions, des prélèvements ADN et le vol d’une imprimerie entière, ainsi que de milliers de publications anarchistes, avec la volonté manifeste d’empêcher la diffusion d’idées anarchistes. L’imprimerie volée a été traitée par les flics comme une scène de crime, empreintes digitales et traces ADN ont été relevées, entre autres les mégots dans un cendrier ont été collectés et… voilà qu’on avait un quatrième inculpé. Le laboratoire de la PJ régionale avait certes déjà formellement exclu que le matériel d’impression de cette imprimerie ait pu servir à fabriquer « Zündlumpen« , mais qui s’en soucie ?
Après une autre perquisition, les flics des services de renseignements munichois, Florian O., Jannine F. et Johannes R. en tête, se consacrent à la lecture. Ils ont finalement appelé leur groupe d’investigation « EG Schrift » (groupe d’investigation sur l’écrit). Grâce à leur riche prise de notes au cours de ces cercles de lectures, non seulement nous savons désormais enfin ce que contiennent certains des plus gros tomes d’ouvrages anarchistes, mais nous avons aussi eu accès à telle ou telle interprétation et nous en avons gagné quelque connaissance sur la figure biblique et hobbesienne du Léviathan. Parallèlement à leurs cercles de lectures anarchistes, les flics obtiennent également la résiliation du contrat de location de la bibliothèque anarchiste « Frevel » en foutant régulièrement la pression au propriétaire. Florian O se pointe aussi à Pôle emploi, suite à quoi il écrit dans une note triomphante du dossier qu’il a obtenu que nos (Nathalie et Manuel) allocations soient coupées ou non renouvelées. Là- dessus, le proprio de notre logement, coopérant déjà avec les flics pour leur indiquer à quels moments nous aurions été ou pas dans l’appart, nous expulse de son propre chef pour loyer impayé.
Les flics qui à l’époque cherchent à chopper du sang ou de la salive de Nathalie pour avoir aussi son ADN et permettre ainsi au tribunal de compléter littéralement la « mosaïque » de l’accusation, surveillent son compte en banque, en particulier les retraits, de même que les communications de téléphone fixe et portable de ses parents, ils recherchent les listes de participant-e-s aux cours dans son ancienne école professionnelle – qu’elle fréquentait plus de 10 ans auparavant –, ils émettent tout un tas de requêtes auprès de plate-formes en ligne pour obtenir d’éventuelles données sur les utilisateurs, les comptes et les adresses de livraison, ils effectuent des filatures et finissent par attendre Nathalie chez ses parents à Noël. Mais ils ne la coincent pas et la suivent discrètement de là jusqu’à un supposé logement provisoire. Mais les forces de surveillance du groupe d’intervention mobile et leurs donneurs d’ordres de la sûreté de l’État ne semblent pas accorder d’importance au fait d’obtenir son ADN. Après deux semaines de surveillance 24/24, celle-ci est interrompue sans avoir demandé au moins une fois ce jus particulier.
Au lieu de ça, plus d’un mois après, quelques flics hooligans en voiture doivent s’y coller, en nous faisant tomber de vélo, Nathalie et moi, au cours d’un contrôle « aléatoire ». Ce qui avait (presque) commencé comme un scénario hollywoodien, se termine finalement par un acte bureaucratique, l’activité favorite de la « vraie police ».
Le groupe d’enquête RAUTE, les anarchistes et le diablotin incendiaire
Tandis que les flics partent en chasse contre un journal, volent des machines d’impression et du papier, et fondent des cercles de lecture pour avaler des centaines de publications anarchistes arrivées en leur possession suite aux perquisitions de 2022, il se trouvent confrontés à un tout autre problème : un « diablotin incendiaire » sévit en Bavière depuis quelques années déjà. C’est du moins ainsi que la presse locale titre sur une « série » d’incendies volontaires prenant pour cibles des véhicules, des engins de chantier ou forestiers, ainsi que des infrastructures telles que des antennes relais, des voies ferrées, des installations de géothermie et éoliennes, ou encore du matériel de la police elle-même. Il est question d’une cinquantaine d’incendies et de 25 millions d’euros de dégâts. Depuis août 2023 un groupe d’enquête, appelé « EG Raute » et créé spécialement pour cela, est en charge des investigations.
Mais qui cela pourrait-il bien être ? Même après des années d’enquêtes, les flics nagent dans le brouillard. Ça fait mauvais effet, très mauvais effet pour « la ville la plus sûre » d’Allemagne et pour la police bavaroise renommée pour sa fermeté… ah, les Républiques libres. Bon, comme ils l’écrivent avec une extrême prudence dans une déclaration à la presse, au moins pour certains faits, les flics suspectent des motivations « extrémistes ». Plus précisément anarchistes.
En effet, comme l’office fédéral de police criminelle s’est efforcé de le démontrer au cours d’intenses investigations, les anarchistes n’aiment pas l’État. Ielles le considéreraient même « comme une instance répressive de coercition« , qui « devrait être mise à bas« . Les flics découvrent en outre que des anarchistes « classiques » voient les « attaques contre des infrastructures comme un moyen éprouvé« , puisque celles-ci seraient pour l’État « un important instrument de surveillance et de contrôle de la population » et assureraient « le fonctionnement bien huilé du système« .
Cependant, les flics ont un problème : mises à part quelques rares exceptions, ils n’ont pu trouver dans cette « série » aucun communiqué de revendication (« SBS », communiqué d’auto-incrimination en langage bureaucratique) leur permettant une catégorisation « politique » des faits.
Pourtant cela même, selon la PJ nationale, irait plutôt dans le sens d’attaques anarchistes puisque, d’un point de vue anarchiste, les « SBS » seraient superflus car les actes devraient être « réfléchis et idéologiquement explicites » et les actions parler d’elles-mêmes. Ils pensent que c’est le cas pour celles qu’ils classent dans la « série ». La présence d’un SBS ne voudrait pour autant pas dire qu’un acte n’a pas été réalisé par des anarchistes. Logiquement ça se verrait dedans. Mais faute de SBS, les actions seraient fréquemment « documentées » dans des publications anarchistes.
Et nous revoilà avec nos cercles de lecture, mis en place non seulement par les flics munichois de sûreté de l’État, mais aussi par la crim ‘ nationale pour étudier les écrits anarchistes. Celui-ci analyse tant des publications que des sites anarchistes comme « Zündlumpen », « Zündlappen », « Sozialer Zorn » (les deux derniers sont qualifiés de « projets prenant la suite » de Zündlumpen), ou « Sans Nom » et « Switch Off » qui ont rendu compte de divers incendies en Bavière. Les flics tentent en vain d’établir des liens personnels avec la région de Munich et avec les faits relatés, ils spéculent sur qui a pu écrire ces articles et sur la possible existence d’un « groupement anarchiste international ».
C’est là que nous, Manuel et Nathalie, nous retrouvons dans la ligne de mire du EG Raute, en tant que prétendu-e-s participant-e-s à la publication « Zündlumpen ». Et comme en plus le français est une langue incroyablement peu maîtrisée en Allemagne, de la même manière que l’allemand en France, l’office fédéral de police criminelle fait l’hypothèse qu’en raison de ses racines françaises, Nathalie pourrait être l’autrice et la traductrice d’articles en langue française sur divers incendies en Bavière sur le site internet francophone « Sans Nom ». Mais ils n’ont rien d’autre sous la main que le fait que Nathalie parle couramment français. En revanche le groupe d’enquête EG Raute trouve à la même période une série d’incroyables « indices » contre nous.
« Empreintes de chaussures » ou : le fantôme de la salle des scellés
Un diablotin incendiaire dispose , c’est bien connu, de facultés magiques, et il est peut-être aussi capable par ses sorts de faire sortir et re-rentrer des choses de la salle des scellés du K43. En tout cas, les flics ont trouvé des « empreintes de chaussures » sur les lieux de l’incendie du chantier de géothermie à Polling en octobre 2023 et de celui des machines de foresterie dans la forêt de Hofoldinger en décembre 2023. Dans les deux cas, le profil serait identique à celui d’une paire de chaussures inutilisées saisies lors des perquiz de fin avril en lien avec la procédure « Zündlumpen » dans une cave louée par Nathalie. Simsalabim! – Il s’agit là d’ailleurs d’un profil de semelles qu’ils mettent rapidement dans la catégorie de nombreux modèles sans noms de Tedi und Kik.
Un vélo passe sur un pont
Mais ça n’est pas tout ce que les flics ont trouvé de sensationnel. En effet, ils prétendent avoir reconnu Manuel sur les images d’une caméra cachée placée par le EG Raute sur le pont ferroviaire et piétonnier Großhesseloher, qui traverse le fleuve Isar. A une heure assez proche du moment supposé où les engins de chantier ont été incendiés dans la zone Südpark en décembre 2023, Manuel est censé être passé en vélo sur ce pont. Mais pour celleux qui ne connaissent pas l’endroit, le pont Großhesseloher est à pas mal de kilomètres du Südpark. En outre la qualité des images est tellement mauvaise qu’ils peuvent seulement affirmer que rien ne contredit qu’il pourrait s’agir de Manuel.
“Orange is the New Black”
Mais, mais, mais, il y aurait encore d’autres images, d’un piège-photo. Trois semaines au moins avant l’incendie des machines forestières dans la forêt de Hofoldinger, cet appareil aurait pris en photo un promeneur à proximité du lieu du délit à venir. En fait comme beaucoup d’autres promeneurs que celui ou celle-ci, qu’on ne voit que de dos et de loin. Mais cette personne porte une veste de couleur orange qui ressemblerait à l’une observée au cours de la surveillance contre Manuel un mois plus tard, – les deux vestes sont orange. Du moins, là non plus rien n’irait à l’encontre de cette thèse. Soit dit en passant, au moment de cette photo les machines de foresterie en question n’étaient absolument pas encore arrivées sur les lieux du crime, elles n’avaient même pas encore commencé le travail dans toute la forêt de Hofoldinger.
“Celleux qui couchent ensemble doivent bien aussi aller jouer
ensemble avec des allumettes”
Ou : Big Brother vous salue bien
Wow, en voilà des indices, et puisqu’il serait de notoriété publique que nous vivons ensemble et que par le passé nous serions “apparu-e-s” ensemble, il est tout à fait clair que nous devons avoir commis ensemble ces trois incendies volontaires. En pratique, dans le cadre de la procédure “Zündlumpen”, ils ont épié Nathalie chez ses parents pour Noël et l’ont ensuite suivie jusqu’à un supposé logement temporaire. Ils nous ont filoché de près pendant deux semaines entières. Mais un beau matin, ils nous ont perdu-e-s de vue. Comme le système automatique de reconnaissance de plaques d’immatriculation a identifié la voiture de Nathalie sur l’autoroute en direction de l’Autriche, ils sont sûrs que nous sommes partis là-bas.
Au cours des semaines et des mois qui suivent, il leur faut désormais sortir de leur sac tous les tours que peut offrir l’État de surveillance moderne et démocratique. De nouvelles autorisations de surveillance sur le long terme et d’écoutes téléphoniques [TKÜ, Telekommunikationsüberwachung] sont émises à notre encontre et, comme ils nous soupçonnent d’être en Autriche parce qu’une de nos “importantes personnes-contact” est censée y habiter, ils requièrent aussi une décision d’enquête européenne, pour pouvoir légalement nous observer aussi en Autriche. Ils y organisent donc la vérification par des flics locaux de notre présence dans une maison. Une demande d’informations est également envoyée à Flixbus et à la Deutsche Bahn [SNCF allemande] pour savoir si nous avons réservé un voyage, et ils obtiennent l’autorisation d’installer un micro et un traceur GPS sur la voiture de Nathalie. Malgré nous, dans un premier temps nous restons introuvables.
A part l’Autriche, ils continuent à nous chercher à Munich et alentours. Ils planquent devant des “lieux du milieu” munichois et devant la maison des parents de Nathalie, écoutent sa famille et de supposé-e-s colocataires, et ils nous “logent” effectivement à plusieurs reprises à tel ou tel endroit, mais pour ensuite nous perdre à nouveau. Puis ils apprennent par écoute téléphonique de la famille de Nathalie, que nous aurions déménagé dans la forêt ! En l’espace de neuf jours, ils nous infligent deux “contrôles de routine”, un en ville et un en pleine forêt, les deux fois sous prétexte de “suspicion de vol de vélo”, ils nous embarquent au comico où ils nous gardent pendant des heures. A chaque fois, nous avons été préalablement “identifiés” par des officiers de police . C’est ainsi qu’ils ont fini par chopper l’ADN de Nathalie. Cela n’empêche pas qu’ils nous perdent à nouveau dans la foulée. Force leur est d’ailleurs de constater que nous avons une liste de certaines plaques “de véhicules de service banalisés”, c’est à dire dédiés à la surveillance. Dorénavant la devise est donc : Couverture avant tout. Ce qui ne leur facilite pour autant pas la tâche de nous garder dans leur ligne de mire.
Un bon mois plus tard, ils parviennent enfin à poser un mouchard GPS sur la voiture de Nathalie après qu’elle ait été “repérée”à l’Est de Munich, et à organiser une filature en quelques minutes. Les poursuites prennent une nouvelle dimension : des drones nous suivent dans la forêt après la tombée de la nuit, une cave louée par Nathalie est à nouveau perquisitionnée. Les flics sont en planque devant la porte les jours d’anniversaire de membres de la famille, leurs mails sont surveillés, divers voyages et gros événements familiaux sont espionnés et suivis de près par des flics locaux, sans compter les autorisations d’écoutes des communications et de filatures ponctuelles pour des objectifs susceptibles d’être ciblés et de potentielles “personnes-contact”, dans le pays et à l’étranger. Une fois, une surveillance spéciale est directement mise en place, après que le traceur GPS ait indiqué un déplacement de la voiture de Nathalie. Ils ne cessent de nous “loger” à différents moments et à différents endroits, dans et en dehors de Munich.
Presque 6 moins plus tard, ils finissent par faire une percée : ils ont découvert notre “campement”. Ils peuvent enfin vraiment se défouler. Ils truffent les alentours de pièges-photos et de micros. La voiture de Nathalie, garée quelques heures loin de nos regards, est aussi placée sous micro. Si seulement la technologie voulait bien coopérer… deux bons mois leur sont nécessaires pour pouvoir enfin nous écouter confortablement. Il ne faut juste pas qu’il pleuve ! C’est nul, mais entre-temps Nathalie a donné sa bagnole. Mais il leur reste encore les “campements”. Ils suivent donc intensément la construction de la cabane, les moments de présence ou d’absence, les visites, et exploitent l’intimité des conversations pour identifier les “personnes-contact proches”.
“Traces d’odeurs”
Ou l’heure de gloire du commissaire Rexen
Ils font aussi des incursions dans le “campement”, pour frotter des objectifs choisis arbitrairement, mais qu’ils pensent pouvoir nous attribuer individuellement, avec un mouchoir ensuite placé dans un verre. En langage policier cette procédure est appelée ”prélèvement d’échantillons olfactifs”. Par la suite, ces mouchoirs ont été présentés au commissaire Rex et à ses collègues “chiens pisteurs” sur les lieux de l’incendie d’un train de chantier à Oberhaching en juillet 2024, de la tentative d’incendie contre une éolienne à Berg en septembre 2024, et de l’incendie d’un convoyeur, de plusieurs bétonnières et d’une chargeuse sur pneus d’une usine à béton, également en septembre 2024. Et écoutez bien : ils ont aboyé en reniflant des restes et des emballages d’allume-feux, ainsi qu’un bouchon de bidon ! Il paraît même qu’à Oberhaching des chiens de recherche auraient couru sur quelques douzaine de mètres alentours !
Dans le même temps, ils accordent une attention redoublée à notre entourage présumé. Pour l’occasion de “rencontres” prévues au “campement” , ils installent une caméra sur le chemin d’arrivée supposé des visiteurs et réalisent des requêtes auprès des antennes-relais. La caméra vise à faciliter le début des filatures contre nous ou des personnes de passage. Nous ne sommes en effet pas deux à être sur la liste des personnes à surveiller. Les colocations de prétendues “personnes contacts très proches” reçoivent également leur caméra (de police), tout comme la cave de Nathalie. Les téléphones portables de plusieurs présumées “personnes-contacts proches” sont placés sous écoute.
Mi-juin, ils décident de passer à l’offensive. Le 17 janvier, des mandats de perquisitions sont émis à notre encontre pour présomption d’incendie volontaire dans 5 ou 6 affaires. Pourtant ils prennent leur temps pour la perquiz’. Puis, comme c’est pratique, le Parquet général annonce que la procédure “Zündlumpen” serait enfin prête pour l’inculpation. Il serait temps, car si rien ne se passe dans les plus brefs délais, l’infraction pénale de menace contre le ministre de l’Intérieur bavarois Joachim Hermann sera prescrit (rappelons-nous, un Smiley clin d’œil a causé beaucoup de souci à Joachim et marque le début de notre histoire). Comme nous sommes tou-te-s deux sans logement fixe, cela signifie qu’ils peuvent nous placer en détention préventive en arguant un risque de fuite. Ça fait tout de suite meilleur effet dans la presse si le “EG-Raute” mène à des arrestations ! Mais après le coup décisif porté aux présumés “diables incendiaires”, deux personnes et trois objectifs (deux “campements” et – pour la troisième fois ! – la cave de Nathalie) ne font pas le poids. En un tour de main, une deuxième instruction est donc montée de toutes pièces, incluant, en plus de nous, deux autres personnes inculpées et cinq objectifs supplémentaires, dont plusieurs en Autriche. Ça ça a de la gueule ! Le même jour, le 4 février, les mandats d’arrêt contre nous sont émis, ainsi que les permis de perquisition en lien avec cette nouvelle procédure. Selon une méthode éprouvée, il s’agit à nouveau de “délit de presse”. Deux phrases dans un journal distribué deux mois auparavant dans le canton de Altötting en Bavière ne seraient pas formulées conformément aux règles de la démocratie (ce sera bien développé). Une semaine après la mise en scène de cet “abattage”, des mandats de perquisition sont émis contre de présumées “personnes-contact proches” et des “témoins” dans les affaires d’incendies. Encore un objectif de plus ! Et nous avons bientôt ce que le journal Welt am Sonntag a qualifié de façon tellement sensationnaliste “de plus grande action de police des dernières années contre une cellule de sabotage anarchiste autonome agissant en clandestinité”!
Le « feuillet incendiaire » et le parc éolien
Sols empoisonnés, surfaces scellées, air pollué, eau contaminée … au cours des 150 dernières années, l’industrie, son avidité insatiable et les déchets qu’elle produits ont transformé, empoisonné et détruit notre paysage à un rythme inédit. Les conséquences de cette avancée au pas de charge contre l’équilibre de l’ensemble du vivant apparaissent de plus en plus clairement. Le prétendu combat contre ces conséquences – résumé et réduit au concept de lutte contre “le changement climatique” – sert maintenant à légitimer le prochain assaut contre la terre mère : la dite “transition énergétique” par le bais des technologies “vertes”. Alors que la chasse aux matières premières nécessaires pour cela creuse des milliers de nouvelles blessures, non seulement dans nos paysages mais aussi partout dans le monde, en particulier dans les nombreuses colonies des différentes grandes nations industrielles, qu’elle contamine les nappes phréatiques et les sols, et qu’elles prive les gens qui y vivent de leurs moyens de subsistance, les obligeant soit à fuir, soit à travailler plus ou moins directement dans les nouvelles mines, ici comme ailleurs des milliers de nouvelles horreurs de l’époque industrielle sortent de terre, défigurant encore plus les paysages déjà tant marqués par l’industrie.
Éoliennes, parcs de panneaux solaires, routes électriques gigantesques, pipelines, centrales par pompage-turbinage, hydrauliques, à gaz, géothermie ou terminaux de GNL sont construits aussi vite que possible. Alors qu’il est partout question de remplacer les anciennes sources d’énergie par les nouvelles “renouvelables”, il s’agit manifestement – à l’instar de toutes les “transitions énergétiques” précédentes – de restructurer et de diversifier les sources d’énergie. L’industrie et l’État doivent procéder à cette restructuration car l’instauration d’une dystopie technologique totalement contrôlable et surveillée, aliénée et pilotable de manière perfectionnée, communément qualifiée de “numérisation”, augmente considérablement les besoins en énergie. D’après ce qu’on nous raconte, la digitalisation serait une aide indispensable pour “sauver le climat”.
Oui, oui, “la protection du climat” et un monde totalement technologisé ne sont pas contradictoires, comme on pourrait le croire instinctivement. Au contraire ils vont main dans la main. Dans ce contexte d’intensification – c’est du moins ce que souhaitent les patriarches de la tech – du détachement des humain-e-s de la nature au nom de la nature, un coin au sud-est de la Bavière nommé le “triangle bavarois de la chimie”, mis au service de l’industrie depuis une bonne centaine d’années en tant que “zone sacrifiée”, se voit confronté à l’un des nombreux projets, industriels et politiques, supposés protéger le climat : les politiciens à la tête de la Bavière et le consortium de la chimie Wacker voudraient installer 40 éoliennes dans la plus grande forêt des alentours, la forêt de Öttinger. Ce “plus grand parc éolien terrestre” d’Allemagne est supposé couvrir à l’avenir 10%, ou, vu les besoins en électricité croissants prévus dans les prochaines années, 5% des besoins du “triangle de la chimie”.
Après la bétonisation et la domestication des rivières du coin, l’Inn et l’Alz avec l’installation de centrales hydro-électriques, après l’empoisonnement des sols et de l’Alz, qui a tué des millions de poissons, après la contamination de la nappe phréatique et l’empoisonnement de la population locale, voici donc venu le prochain assaut contre les habitants de cette région et leur foyer. A la surprise et à la grande irritation de celles et ceux qui ont conçu ce fantastique projet-pilote de la “transition énergétique” bavaroise, et qui partaient du principe qu’une contrée dans laquelle une grande partie de la population en dépend financièrement avalerait la pilule sans problème, beaucoup d’habitants sont au contraire montés au créneau. Le fait que, par initiative citoyenne [référendum local], deux communes refusent à la majorité l’installation prévue des éoliennes sur leur territoire – il devait y en avoir 13 – a fait les gros titres au niveau national. Alors que les habitants qui avaient voté contre l’installation se faisaient traiter dans les médias de péquenauds arriérés et de nazis, Hubert Aiwanger, représentant du ministre-président bavarois et dirigeant des forêts domaniales bavaroises, à qui appartiennent les zones de forêts concernées, a remis en cause la dite “clause communale”, sur laquelle les deux communes s’étaient appuyées pour refuser les éoliennes. Il a également annoncé vouloir vérifier combien de temps un tel veto avait une valeur légale. Aiwanger et le ministre-président bavarois Markus Söder pestent d’ailleurs contre les instruments démocratiques sur lesquels de beaucoup d’initiatives citoyennes fondent de nombreux espoirs dans leur lutte pour leur territoire, et pas uniquement autour de la forêt de Öttinger – droit d’action collective, initiative citoyenne, etc.. Ils préféreraient les voir abolis le plus tôt possible. D’autres prétendent que les habitants auraient été “trop mal informés” et que la “communication” devrait être améliorée. Le message est clair : le “Non” n’est pas une option. Le parc éolien sera construit, d’une manière ou d’une autre.
C’est dans ce contexte surchauffé que fin novembre apparaît une petite brochure, le “feuillet incendiaire contre le parc éolien » Elle est largement diffusée dans un grand nombre des communes directement touchées par le parc éolien et fait les gros titres. Le conseil de district discute des contenus, les différentes initiatives citoyennes prennent publiquement position dessus – et les flics enquêtent.
Mais qu’y -a-t’il dans cette brochure pour qu’elle sème à ce point le trouble ?
Laissons-la parler d’elle-même :
“Que se passerait-il si la population prononçait un Non résolu ? Un Non et basta. Un “Où cela va-t-il nous mener ? Nous ne négocions pas avec vous, allez au diable !” »
“Si maintenant … la politique est tellement corrompue que nous ne devrions d’emblée pas compter dessus … Nous ne devrions pas non plus utiliser les moyens de la politique. Ils nous habituent trop à déléguer aux autres la direction de notre histoire, au lieu de prendre nous-mêmes les choses en main; à attendre sans rien faire d’avoir le droit de tracer une petite croix sur un papier en pensant que nous pouvons ainsi décider de quelque chose. Ils nous donnent l’impression de traiter sur un pied d’égalité avec les puissants, alors qu’en réalité ils nous condamnent à la passivité et à accepter leurs plans.”
“… Il y a t’il encore une seule personne aujourd’hui pour croire sérieusement que le progrès technique rend les gens plus heureux et détendus ? Tout le progrès technique – qui pénètre toujours plus chaque aspect de notre vie – n’apporte-t-il pas pas plutôt plus d’avantages à d’autres que nous ?”
“Je dirais que le concept d’énergie est un pur projet de la domination qui ne peut être changé de manière positive. Pourquoi ne pas réfléchir plutôt à une vie dans énergie ? Cela peut peut-être sembler absurde aujourd’hui, mais pourquoi ne pas oser le saut dans l’inconnu ?
La destruction du monde se poursuit allégrement, alors que la propagande étatique raconte qu’une réduction des émissions de CO2 serait la solution, pourtant les “énergies renouvelables” continuent à dévaster la planète.”“Ça n’est peut-être simplement pas une bonne idée d’amener des gens au pouvoir, ou de les laisser l’exercer, peu importe de qui il s’agit. Peut-être le problème réside-t-il dans l’existence de tels puissants. Et puisqu’une démocratie ne change en rien ce rapport, il n’est pas étonnant qu’elle semble ne servir que les intérêts des puissants … qu’elle soit là pour imposer les plans des grands penseurs – qui ont perdu tout lien avec la réalité dans les espaces climatisés de leurs bureaux et de leurs lofts,villas et salons et qui ne s’intéressent ni aux individus, ni aux particularités d’un endroit et d’une communauté – sur le dos des gens et de leur foyer.”
Et qu’est-ce que les flics ont à voir avec ça ?
Effrayés par les références positives aux mouvements de protestation contre la construction d’une usine de retraitement d’uranium à Wackersdorf en 1986, les flics enquêtent à nouveau pour suspicion de différents “délits de presse ». Ils s’indignent ainsi de l’injure publique manifeste contre des politiciens bavarois et nationaux : l’ancien ministre de l’économie Habeck, qui n’osa pas descendre du ferry pour parler avec des paysans en colère est notamment qualifié de “serpillière” et de “lâche”, Hubert Aiwanger de “connard d’Hubsi”, de “professionnel du claquement de doigts” et de “pauvre type”. Söder se prend aussi un “pauvre type”.
Les flics lisent aussi très attentivement diverses colonnes de nouvelles qui parlent d’actes de sabotage contre des mâts de mesure éoliens, des engins de foresterie, une usine à béton à Munich et un éolienne à Berg. Ils commencent en effet à flairer le début de soupçon d’approbation de délits.
Finalement, le Parquet général crée deux formulations constituant un motif suffisant pour perquisitionner sept “objectifs” au total (dont l’un à deux reprises), pour ouvrir une instruction d’abord contre quatre, puis cinq anarchistes de la région de Munich et d’Autriche, et pour ordonner et réaliser une prise d’ADN. Le titre “Rage against the Forstmaschine” en lien avec un récit sur huit engins forestiers incendiés dans les environs de Munich et à Erlangen, et la crevaison des pneus de deux autres dans le Haut-Palatinat il y a deux hivers, a déclenché le courroux du Parquet général qui manque manifestement de sens de l’humour. Son sens de l’humour n’est pas non plus sensible à la manière de qualifier la tentative d’incendie d’une éolienne à Berg de “note de protestation enflammée d’auteurs inconnus”. Dans les deux cas, il enquête pour suspicion d’approbation d’infractions pénales.
Le Parquet général porte ses soupçons sur les cinq personnes incriminées en s’appuyant principalement sur de prétendues conclusions tirées de la surveillance dont nous avons tous deux fait l’objet avec notre entourage présumé dans le cadre de la procédure “EG-Raute”.
Psychologie de l’extrémisme pour les imbéciles
Oui, l’intrigue concoctée par les flics et qu’ils nous ont servi ce soir là contenait tous les éléments d’un film d’action à suspens dramatique sur des “extrémistes” : une cachette secrète en forêt, un fanatique illuminé et sa petite femme soumise, un “cercle interne” comme seul contact avec le monde extérieur, une arrestation spectaculaire et des flics intègres qui tentent de stopper les deux et, si possible, de les remettre dans le droit chemin. Matière de premier choix pour la prochaine série Netflix.
Pourtant, alors que l’arrestation nous avait offert une belle scène d’action bien ficelée – même si trop courte pour un film –, l’interrogatoire qui suit est décevant par manque de talent de certains protagonistes et des personnages trop clichés.
Oui, après que l’audition officielle ait été extrêmement courte en raison du refus de notre part de toute déclaration, les flics, hommes avec l’homme, femmes avec la femme, se sont montrés très loquaces et personnels, nous racontant une histoire intéressante : nous nous serions caché-e-s dans la forêt et seul un cercle choisi aurait pu y avoir accès. Par les écoutes effectuées les derniers six mois dans la cabane, les flics seraient parfaitement informés sur ce cercle. C’est ce cercle qui allait être convoqué pour témoigner et où il y aurait certainement quelqu’un pour “vouloir sauver sa tête”, il y en avait toujours. D’ailleurs la relation qui nous lierait serait tout à fait toxique. En effet Manuel serait un ardent fanatique, sans scrupules et égocentrique. Il n’en aurait rien à foutre des gens en général et de sa copine en particulier, dont il aurait détruit sans le moindre égard la vie et les rêves pour l’embrigader dans son agenda. La dévalorisant en permanence, il serait parvenir à la rendre complètement soumise. D’aspect extérieur négligé (les poils sur le corps !) et intérieurement brisée, elle ne pourrait toujours pas s’avouer avoir été trompée à ce point là par lui. Et cela, bien qu’elle soit féministe. Mais les flics aimeraient bien l’aider à s’en sortir. Ça serait tellement dommage d’aller en taule pour les idées d’un autre.
Wow! Le grand jeu. Si seulement la performance d’acteurs des flics n’avait pas été tellement en retrait. En effet, le sermon moralisateur d’un côté et la rhétorique de la solidarité féminine de l’autre n’ont pas voulu déployer tous leurs effets. Le ton sonne trop étudié pour cela, comme le sermon d’un prêtre catholique.
Et cela, bien que pour cette scène-clé ils aient été jusqu’à enrôler des professionnels dans leur troupe, sous la forme de hauts fonctionnaires de la commission de police criminelle. Mais comme ça arrive souvent avec des apparitions spéciales de professionnels dans une troupe d’amateurs, si le savoir-faire est de premier ordre, ça cafouille dans le texte.
Ils se donnent pourtant du mal pour étayer cette image avec des “preuves” : en l’assortissant de citations tirées des écoutes dans la cabane, sorties de leur contexte et détournées au petit bonheur la chance, en faisant référence à un agenda qu’ils avaient déjà volé lors d’une perquisition en lien avec l’affaire “Zündlumpen” en 2022, et à des conversations téléphoniques de proches mis sous écoute.
Par ailleurs ils nous assuraient qu’ils ne nous laisseraient plus tranquilles toute notre vie durant si nous ne changions pas de style de vie. Et que nos cabanes seraient évidemment détruites.
Beaucoup de menaces, beaucoup de diffamations, la stratégie est claire : ils veulent exercer une pression psychologique, faire peur, semer le doute et la discorde, et mettre à l’épreuve toutes nos relations, dans l’espoir de toucher un point faible et de provoquer une rupture.
En mettant dans le viseur de la répression les personnes qui nous ont rendu visite dans notre cabane, ainsi que leurs colocations, ils tentent de nous isoler de nos amis et de nous détacher l’un-e de l’autre, par la séparation spatiale de la détention et les mensonges éhontés sur notre compte.
Se pourrait-il vraiment que quelqu’une soit juste utilisée par un homme ? Est-il vraiment possible qu’une femme cherche juste à plaire à quelqu’un ? Comme nous l’ont raconté plusieurs codétenu-e-s, dessiner l’image de cette sorte de relation est manifestement une méthode d’interrogatoire courante lorsque des partenaires de vies se font arrêter ensemble.
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Ce texte a été écrit dans des conditions difficiles, où nous étions séparé-e-s dans des taules différentes, où la communication entre nous était souvent volontairement freinée (une lettre mettait entre 3 et 6 semaines). Et même après 6 mois de détention, nous n’avons pas eu le même accès à tous les éléments du dossier d’instruction. Dans la description de la répression, nous nous sommes limité-e-s à ce que permet notre perspective, tout en sachant qu’il y aurait encore bien d’autres aspects et histoires à raconter, et en supposant que d’autres compléteront éventuellement notre récit.
Avec amour et un feu encore flamboyant au cœur
Nathalie et Manuel
prisons de Aichach & Stadelheim, août 2025