
Ce jour où le plus gros sabotage jamais vécu par la SNCF
a failli faire dérailler les JO
Les Echos, 11 août 2025
CELLULE DE CRISE (1/4) – Des attaques coordonnées sur le réseau TGV ont mis la SNCF sous tension le 26 juillet 2024, en pleine ouverture des Jeux Olympiques. Malgré des efforts énormes du transporteur, 800.000 voyageurs ont été impactés durant tout le week-end. La menace sur les infrastructures critiques inquiète toujours.
La journée du 26 juillet 2024 s’annonçait depuis longtemps particulièrement délicate, mais à la SNCF, elle le fut à la puissance 1.000. Côté transports, elle marquait rituellement l’un des plus grands chassés-croisés de l’année, pour les voyageurs partant ou rentrant de leurs congés. A cela s’ajoutait, de manière exceptionnelle, la soirée d’ouverture des Jeux Olympiques, à partir de 19 h 30, une très ambitieuse parade de navires sur la Seine : ce soir-là, le monde entier aura les yeux braqués sur la capitale, et nombre de spectateurs ont choisi de longue date le train pour y assister.
Chez le transporteur national, Alain Krakovitch, le directeur des TGV et Intercités, entame ce matin-là sa semaine d’astreinte, une rotation qu’effectuent à tour de rôle onze dirigeants, pour gérer tous les sujets sensibles le cas échéant. Dès 5 h 40 du matin, son téléphone sonne : trois lignes de TGV différentes ont été attaquées par des inconnus [qui ont revendiqué leur sabotage sous le nom de Une délégation inattendue] pendant la nuit de jeudi à vendredi, entre 1 h 00 et 5 h 30, à des points très sensibles du réseau : les grandes bifurcations des voies, sur les réseaux Atlantique, Nord et Est Europe.
Plus de communication entre le sol et les TGV
Une quatrième attaque, sur l’axe sud-est, est déjouée in extremis par des agents SNCF qui font détaler plusieurs individus, à Vergigny (Yonne). Sur les trois autres sites, les saboteurs ont incendié des postes de signalisation ou coupé des fibres optiques, rendant impossible la communication entre le réseau et les conducteurs de TGV.
La SNCF a beau mener des entraînements réguliers de sécurité, comme une intrusion malveillante sur ses 3.000 km de LGV, « trois événements simultanés de ce type, ce n’est jamais arrivé », témoigne le dirigeant.
Cette nuit-là, « il s’agit de la plus grosse attaque qu’a subi la SNCF ». Par chance, à l’aube, aucun train n’est encore engagé sur le réseau national ou européen : pas de passagers bloqués en rase campagne en cette journée critique, un moindre mal. Pas de rails déboulonnés non plus. « Mais très vite, je sais que ça va être extrêmement difficile. Pour avoir vécu des vols de câbles ici ou là, je sais que le tarif, c’est en moyenne trois à cinq jours de perturbations », relate-t-il.
Ce vétéran de la maison (trente-deux années de service au compteur) coiffe alors sa seule casquette de « directeur crise système ». A lui de coordonner la crise, et avec ses collègues d’astreinte, de gérer une montagne de problèmes simultanés, techniques, opérationnels, commerciaux. Le Centre national des opérations ferroviaires (CNOF), le lieu idoine logé à la gare de l’Est, gère en premier lieu le chaos, mais très vite, les équipes se replient pour un pilotage plus serré au siège de Saint-Denis, dans la « salle nationale de crise système » : des locaux plus vastes (une quinzaine de postes de travail et une salle de réunion), utilisés pour les aléas exceptionnels, s’ils ont un impact national.
Traiter plein de sujets simultanément
« Nous avions bien prévu d’ouvrir cette salle en raison des JO le 26 juillet, mais dans l’après-midi et pas dès le matin… », se souvient le chef des TGV. Avec ses collègues (directeur des opérations nationales, directeur voyages, directeur communication de crise, représentants de SNCF Réseau, de Gares et Connexions, de la sûreté, du juridique…) il faut tout traiter en simultané : comprendre exactement ce qui s’est passé, réparer le plus vite possible, immobiliser partout les trains prévus ce matin-là, réorganiser le plan de transport en faisant rouler les TGV sur le réseau classique là où c’est possible…
Et surtout prévenir les très nombreux voyageurs prévus pour toute la journée du 26 : « Les aviser, surtout les dissuader de venir en gare. Trouver les bons mots, les bonnes explications. Même par mail ou SMS, on n’est jamais sûr de toucher tout le monde », ajoute le dirigeant, alors sans certitudes sur la durée des perturbations. Finalement, 250.000 voyageurs sont affectés par les sabotages ce vendredi 26, et plus de 800.000 sur la totalité du week-end (par des annulations de trains ou de gros retards), jusqu’au dimanche 28 inclus. Jusqu’aux lignes internationales comme Eurostar.
Sur le terrain, le rouge est mis. Les équipes de SNCF Réseau, au total des milliers d’agents de l’entreprise, seront déployées sur place en 3×8, avec leurs collègues de la sûreté et les équipes spécialisées de recherche scientifique de la gendarmerie et la police. Les câbles étant sectionnés en divers endroits, « des infos clés sont dégradées, on n’a plus de fonctionnement nominal, donc on ne peut plus engager de trains », relate Vincent Téton, qui était alors responsable des opérations et de la production chez SNCF Réseau.
Au total, 56 gares sont affectées ce matin-là par la paralysie des TGV. Par chance, aucun passager ne s’est trouvé en risque. « Dès qu’il y a une dégradation sur un périmètre donné, toute la zone passe au rouge. Dans les TGV qui roulent à plus de 300 à l’heure, le rouge est affiché en cabine de conduite, et le train est stoppé aussitôt. Toute la sécurité passive est conçue comme ça depuis cent ans, autrefois avec des câbles et contrepoids. Même si ce type d’événement avait eu lieu en plein jour, il n’aurait pas fait courir de risque à des voyageurs », assure-t-il.
Mais la pression, y compris médiatique, est grande pour la reprise du trafic normal. Après la phase de diagnostic, les agents de Réseau vont travailler plusieurs jours durant, souvent sous une pluie diluvienne, pour remplacer les grappes de fibres optiques sectionnées, « tester toutes les combinatoires spécifiques à nos métiers, puis procéder aux essais entre le sol et les postes d’aiguillage, un travail qui mobilise beaucoup de ressources », ajoute Vincent Téton.
Reprise très progressive
Au bout de tous ces efforts, la reprise sera très progressive, plus rapide sur les réseaux Nord et Est, plus laborieuse sur la LGV Atlantique (Bretagne, Sud-Ouest), car un suicide à Montparnasse a rajouté aux difficultés. Finalement, c’est seulement le lundi matin que tout est rentré dans l’ordre sur tout le réseau.
Gérald Darmanin, alors ministre de l’Intérieur, clamait le lundi 28 sur un plateau de télévision : « Nous avons identifié un certain nombre de profils de personnes qui auraient pu commettre ces sabotages très volontaires, très ciblés. » Mais un an après ces rodomontades, l’enquête n’a toujours rien donné. Selon certains spécialistes, l’opération pourrait avoir été menée par une équipe de 30 à 40 personnes, mais personne ne sait s’il s’agit d’une déstabilisation venue de l’étranger.
Le 8 mai 2024 déjà, un autre événement non ébruité était survenu : le jour de l’arrivée de la flamme olympique en France, à Marseille sur le navire « Bélem », quatre engins incendiaires et des câbles sectionnés avaient été trouvés sur la ligne à grande vitesse, entre Marseille et Aix. Une première sommation contre les Jeux.