Sabotages et black out sur le festival de Cannes

Nuit du 23 au 24 mai 2025 : le pylône scié à Villeneuve-Loubet (Alpes-Maritimes)

[Dans la nuit de vendredi à samedi 24 mai, en pleine forêt, deux incendies volontaires se déclenchent sur le même poste électrique à très haute tension (400 000 volts) de Biançon/Saint-Cassien, situé à Tanneron (Var), vers 2h45. Le grillage a été découpé et des traces d’essence ont été découvertes sur place. 47 000 foyers sont privés d’électricité, de l’est du Var jusqu’à l’ouest des Alpes-maritimes. Puis, à 10 heures du matin, à trente-cinq kilomètres de là, c’est le pylône électrique d’une ligne à haute tension qui alimente Cannes qui vacille de plus en plus au fur et à mesure de la matinée. Situé à Villeneuve-Loubet (Alpes-maritimes), il a en effet subi des « dégradations majeures », puisque trois de ses quatre piliers « ont été sciés » : 160 000 foyers se retrouvent sans courant.

Ce double sabotage a eu pour conséquence un immense black-out dans le sud-est du territoire, notamment à Cannes, Antibes, Grasse, Vallauris, Mandelieu-la Napoule ou Saint-Cézaire-sur-Siagne. Il a coupé usines, institutions, commerces, ascenseurs, feux de circulation, distributeurs de billets, internet et télévision (via les box), réseau de téléphonie mobile Orange (la plupart des batteries de secours des antennes ne tiennent que deux heures), lignes ferroviaires (suppressions de trains entre Grasse et Cannes et retards entre Les Arcs et Antibes), commissariats (Antibes, Grasse et Cannes) ou encore projection de film du 78e festival de Cannes. Bref, comme le résume un journal local dimanche (Var Matin, 25/5) : « Réseau téléphonique hors service, circulation chaotique, gares bloquées, commerces à l’arrêt : le black-out a paralysé toute une partie du territoire, au moment ou les projecteurs du monde entier étaient braqués sur Cannes en ce jour de clôture du 78e Festival du Film. » Le courant a été rétabli à partir de 15h, et pour l’ensemble des foyers de la région que vers 16h45.

Des enquêtes ont été ouvertes par les parquets de Grasse et de Draguignan à la suite de ce ces actes de sabotage, et le préfet des Alpes-Maritimes a évidemment condamné ces « actes graves de dégradation portant atteinte à l’intégrité des infrastructures électriques ». On trouvera ci-dessous un petit aperçu des premières conséquences de ce black out anonyme, vues par la presse régionale et nationale de ce dimanche…]


Nuit du 23 au 24 mai 2025 : le poste de transformation électrique incendié à Tanneron (Var)

Des sabotages privent d’électricité 160 000 foyers
Nice Matin, 25 mai 2025 (extrait)

Retour sur une journée hors norme

Une lumière qui clignote, une box Internet qui s’éteint. Chacun a d’abord cru, dans son coin, à une coupure d’électricité dans son immeuble ou son quartier. Un désagrément réglé en quelques minutes. Mais très vite, le doute a laissé place à l’incrédulité.

En sortant de chez eux, les habitants des communes impactées ont compris, par le bouche-à-oreille, que le problème était bien plus vaste. À Cannes, comme à Grasse en passant par Antibes, Biot ou Mandelieu-la-Napoule, les portails électriques sont restés figés, forçant certains à les escalader pour sortir. La panne a frappé jusque dans l’arrière-pays avec Saint-Cézaire-sur-Siagne, Fayence ou encore Montauroux privés de courant.

En bas des immeubles, de petits rassemblements se sont spontanément formés pour échanger les maigres informations glanées ici et là, entre étonnement et inquiétude. «  Ça va durer des jours, comme au Portugal et en Espagne ?  », «  c’est une attaque terroriste  », «  ça sera rétabli avant midi  »…

Commerces obligés de fermer

De nombreux commerces ont tour à tour baissé le rideau. Sans électricité, impossible de faire fonctionner les caisses ou d’éclairer les rayons. Certains ont toutefois décidé de rester ouverts, mais uniquement pour les paiements en liquide.

«  On s’adapte, mais tout dépend de la durée  », soupirait le responsable du Carrefour de l’avenue Robert-Soleau à Antibes, inquiet pour la conservation des produits dans les frigos, mais plein d’espoir après un appel d’EDF qui lui disait «  résoudre le problème d’ici une heure  ». Tandis qu’il bloquait l’accès de son échoppe avec une pile de palettes, l’employée du magasin, Lily, rangeait les rayons à la lumière de son smartphone. «  Ça permet de souffler un peu, on n’est pas en caisse, ça laisse le temps de faire du rangement « , lâche-t-elle, positive.

Circulation chaotique, trains à l’arrêt

Si cet improbable événement a donné lieu à des apéros improvisés et permis de (re-)nouer des liens entre voisins, la situation était plus chaotique sur les routes, privées de feux tricolores ! La circulation sur certains axes très fréquentés a provoqué des scènes de confusion, chacun tentant de passer sans heurter l’autre.

Dans les gares, les trains étaient à l’arrêt. À Antibes, même la mer est devenue inaccessible : les stations de relevage d’eaux usées étant à l’arrêt, les baignades ont été interdites par précaution.

Les secours, eux, ont été pris d’assaut. «  On gère une avalanche d’appels  », confiait un officier des sapeurs-pompiers. Personnes coincées dans des ascenseurs, malades sous assistance respiratoire… Le réseau téléphonique étant perturbé, certains habitants se sont présentés physiquement aux casernes pour donner l’alerte. Des véhicules ont été envoyés en tournée, tentant de prioriser les cas les plus graves. Au poste de police principal, les agents ont géré un flot de citoyens en quête de réponses. «  À La Bocca, les gens viennent pour s’informer, mais nous n’en savons pas plus qu’eux  », confiait un officier.

Certains restaurants ont improvisé. À Istanbul Kebab à La Bocca, la cuisson est passée au charbon. «  Pas de frites, mais on continue à servir  », expliquait un employé. Non loin de là, au McDonald’s, l’ambiance était tout aussi détendue : «  On a tout nettoyé, maintenant on joue aux cartes  », racontait un salarié à la mi-journée. En centre-ville un coiffeur cannois a déplacé son salon sur le trottoir pour continuer à recevoir ses clients.

Pour certains, cette déconnexion forcée a été une épreuve. Pour d’autres, une pause bienvenue. «  Une journée sans téléphone, sans réseaux sociaux, sans télé et sans sollicitations… Ça fait du bien, finalement.  »

Au Palais des festivals, les groupes électrogènes en action

Projections interrompues, Palais des festivals dans le noir, des salles évacuées jusqu’au Cineum de La Bocca… Les projections ont été particulièrement compliquées pour ce dernier jour du 78e Festival de Cannes. La projection matinale du film «  Sirât  » de l’Espagnol Oliver Laxe a été interrompue. Les salles du Palais ont été plongées dans le noir pendant une dizaine de minutes.

Le navire amiral du Festival «  a basculé sur un système d’alimentation électrique indépendant  », a indiqué le Festival, soit trois groupes électrogènes, pour «  maintenir tous les événements et projections prévues [hier], dans des conditions normales  ». Et la cérémonie de clôture s’est déroulée tout à fait normalement.

Le Cineum évacué

«  Vers 10 h 15, on a eu une coupure en plein milieu de la projection d’un film au Cineum, livrait notre journaliste Alexandre Carini présent au cinéma de La Bocca, dans lequel sont projetés des films en compétition. Ils ont annoncé une panne générale dans toutes les salles du complexe. Au bout de dix minutes ils ont demandé d’évacuer les salles. Tout le public a attendu à l’extérieur.  »

Les professionnels du Festival, photographes et journalistes notamment, ont vite convergé vers le Palais pour tenter de trouver une connexion Internet afin de continuer à travailler. Un phare au milieu de cette  » nuit  » tombée en plein jour sur Cannes.


L’ombre du vandalisme sur le Festival de Cannes
Le Parisien, 25 mai 2025 (extrait)

Le Festival a connu une dernière folle journée. Un peu avant 10 heures, tous les festivaliers en salles de projection ont vu le film s’arrêter net. À l’heure du déjeuner, le bureau du Festival publie un communiqué rassurant : « Le palais des Festivals a basculé sur un système d’alimentation électrique indépendant, ce qui permet le maintien de tous les événements et projections prévus aujourd’hui, y compris la cérémonie de clôture. Nous vous remercions de votre patience et votre compréhension. »

Scènes de science-fiction dans les hôtels

Les journalistes et tous les accrédités travaillant sur le Festival — sauf ceux coincés dans les ascenseurs ou à l’intérieur de leurs résidences verrouillées par des portes électriques — affluent au palais, seul endroit de la ville où l’on peut se brancher. C’est la course aux prises pour recharger son ordinateur ou son téléphone.

Dehors, c’est un peu le chaos, en tout cas dans les hôtels, y compris les palaces où semblent se jouer des scènes de science-fiction. Les ascenseurs ne fonctionnent pas, escaliers et couloirs sont plongés dans l’obscurité. Les restaurants ont fermé, la nourriture est bonne à jeter avec la chaleur, les boulangeries et les supermarchés aussi. À 14 heures, tout Cannes cherche de quoi se restaurer. Dans le palais des Festivals, l’ultime distributeur de nourriture est pris d’assaut, la dernière pasta box disparaît.

Mais où est passée Jennifer Lawrence ?

Pendant ce temps, Thierry Frémaux, le délégué général, se demande comment contacter les équipes des films qui figureront au palmarès. Aucun réseau téléphonique ne fonctionne à l’extérieur du palais, certains agents eux-mêmes ont perdu de vue leurs « talents », comme on dit. Jennifer Lawrence, à l’affiche de « Die, My Love », de Lynne Ramsay, sélectionné en compétition officielle, ne serait pas localisable, de même qu’Ari Aster, le réalisateur de « Eddington », également en compétition officielle.

Face à cette situation de crise, Thierry Frémaux fait prévenir tous les agents, attaché(e)s de presse ou distributeurs, logés à quelques minutes du palais, de se déplacer en personne en début d’après-midi au bureau du protocole, pour être informés de la nécessité d’être présents dans la salle en cas de sélection au palmarès. Dans toute l’histoire du Festival, les équipes de films primés n’ont jamais été prévenues aussi tard, à 15 h 15. Ce qui laisse à peine plus de trois heures aux lauréats pour se maquiller, préparer un discours et s’habiller.

Selon nos informations, les délibérations des jurés, qui se déroulent sur les hauteurs, à la villa Domergue, auraient également pris du retard en raison de la panne. Même si les jurés sont traditionnellement coupés du monde, téléphones éteints, il faut bien qu’ils transmettent ensuite leur palmarès. Habituellement, les rumeurs les plus fondées circulent vers 13 heures. Mais à cette heure-là, ce samedi, aucune fumée blanche. Puis tout s’accélère, comme la dernière demi-heure d’un film. Le retour du courant dans la ville, annoncé pour midi, puis pour 14 heures, revient progressivement. Vers 17 heures, tout semble prêt. Après beaucoup de sueur, un coup de blush. À la fin, c’est toujours le glamour qui gagne.