L’info est tombée dans un journal spécialisé que pas grand monde ne lit, sauf les intéressés (justement), et nous est fournie par un type généralement plus discret, mais qui a jugé que l’heure était suffisamment grave pour sonner l’alarme.
C’est donc dans le mensuel L’Usine Nouvelle du 14 avril 2025, auquel le général Philippe Susnjara, responsable de la Direction du renseignement et de la sécurité de la défense (DRSD), a décidé de livrer une interview, qu’on apprend qu’il existe une « radicalisation de certains groupuscules antimilitaristes », et que cela a pour conséquence fort intéressante de « potentiellement enrayer les hausses de cadence de production impulsées par les donneurs d’ordre en pleine économie de guerre ». Et histoire de filer quelques tuyaux aux amateurs du genre, un autre journaliste économique ajoutera le lendemain sur une radio d’Etat, que « ce sont les PME du secteur qui sont les plus exposées. Elles sont plus nombreuses, moins protégées que les grands groupes, et souvent mal préparées. »
Enfin, côté chiffres, le grrrrand général a filé un ordre de grandeur à son problème, en estimant qu’entre 2023 et 2024 « les attaques physiques ont augmenté de 50% » contre les entreprises de la base industrielle et technologique de défense (BITD). Puis l’Usine Nouvelle a cité deux exemples concrets de sabotages du complexe militaro-industriel, qu’il aurait été dommage de laisser à ses seuls lecteurs sans leur donner la publicité qu’ils méritent : « à l’été 2024, un acteur exportant du matériel militaire vers l’Ukraine à par exemple été victime d’une intrusion avec découpe du grillage de son site, s’en sont suivis quatre jets de cocktails Molotov. Autres cas concrets ? Depuis deux ans, un grand donneur d’ordre français constate une hausse préoccupante des incendies chez ses sous-traitants, en France et dans d’autres pays d’Europe ».
[Synthèse de l’Usine nouvelle/France Inter, 14-15 avril 2025]
«Il y a une hausse des actions de malveillance contre les industriels de la défense», indique le général Philippe Susnjara, directeur de la DRSD
L’usine Nouvelle, 14 janvier 2025 (extrait)
L’Usine Nouvelle – Les acteurs de la défense sont-ils de plus en plus touchés par des actes de malveillance ?
Général Philippe Susnjara, directeur du renseignement et de la sécurité de la défense (DRSD) – Il y a deux phénomènes simultanés. Le premier : devant la situation internationale anxiogène et la prise de conscience des menaces croissantes, les entreprises comprennent qu’il y a un vrai besoin de nous faire remonter les informations. Traditionnellement, les entreprises n’aiment pas parler lorsqu’il leur arrive un problème. Elles avaient plutôt tendance à le passer sous silence. Aujourd’hui, elles sont plus enclines à faire remonter les sujets. Cette tendance contribue mécaniquement à une augmentation des incidents déclarés. Mais dans le même temps, il y a aussi une augmentation des actions de malveillance. On peut estimer qu’au niveau de la BITD, entre 2023 et 2024, les cyberattaques ont augmenté de 60% et les attaques physiques de 50%. Cela correspond à plusieurs centaines d’incidents chaque année.
Quels sont les types d’actions menées sur le sol français ?
Il peut s’agir de survol de sites par des drones. Il arrive qu’un survol soit effectué par un individu qui ne connaît pas la règlementation. Mais lorsque trois drones survolent un site en pleine nuit, il n’y a pas de doute quant à l’intention. On peut aussi évoquer des incendies et la difficulté dans ce cas est celle de l’attribution. Est-ce accidentel ou intentionnel ? Et dans ce dernier cas, cela peut être lié à un conflit social, à des mouvements antimilitaristes ou à des personnes qui agissent au profit d’un État pour dégrader notre capacité. Enfin, les vols d’ordinateurs et de téléphone, ainsi que les intrusions sur sites, sont aussi en augmentation.
Ces actes sont-ils susceptibles d’entraver la hausse des cadences de production des industriels en pleine économie de guerre ?
Effectivement, c’est un risque. À ce jour, cela n’a pas eu de conséquences au niveau des capacités de production. Mais c’est un risque qui doit être pris en compte.
Dans quelle mesure ces actions peuvent être attribuées à des objectifs pro-russes ?
Aujourd’hui, c’est difficile à dire. Les actions que nous avons pu attribuer sont plutôt le fait de groupuscules antimilitaristes ou anti-guerre, liés à l’ultra-gauche. Car elles ont été revendiquées sur des sites internet. L’attribution à la Russie n’a pour l’heure pas été caractérisée. Mais je n’ai pas de doute que des individus aient tenté des actions pour le compte de ce pays. Il y a eu des cas avérés en Allemagne et en Pologne, il n’y a pas de raison que certains n’aient pas essayé en France.
Mais comment se prémunir face aux menaces physiques ?
Il faut cartographier ce qui est sensible ou non au sein de son entreprise. Pour certaines entreprises, ce sont les modes de production même qui sont particulièrement sensibles, et doivent donc être mieux protégés. C’est là où se trouve la plus-value, que l’entreprise doit accentuer la protection. Cela peut concerner des outils, des machines et même des individus. Il ne faut pas pour autant transformer le site de l’entreprise en «Fort Knox», c’est inutile, mais il faut assurer une ségrégation spatiale. Il faut trier les gens sur le volet pour savoir qui peut accéder à tel ou tel endroit. Il faut des badges d’accès. Même dans les petits locaux de start-up. Et surtout, la priorité, c’est l’humain. Parce que la faille, même à notre époque, c’est le comportement humain. On ne met pas n’importe quelle clé USB sur un réseau. On ne laisse pas traîner des documents sensibles. On ne raconte pas sa vie dans le train.