En plein mois de juillet 2024, paraissait un article titré Grise mine dans les labos de la plaine du Pô…, qui revenait à la fois sur lesdites « Nouvelles techniques génomiques » (NTG) en cours de développement, et sur un fait promis à un bel avenir : le premier sabotage d’un essai à l’air libre de ces nouveaux OGMs. Un bel avenir de faulx et de pinces coupantes en effet, car pourquoi ce genre de sabotages s’arrêteraient-il en aussi bon chemin, alors que les mains qui manipulent les fameux ciseaux génétiques Crispr/Cas9 continuent, elles, à faire du vivant leur laboratoire à ciel ouvert ? Après les deux-cents plants de riz OGM 2.0 saccagés en juin à Mezzana Bigli (province de Pavie), nous voici donc face à une seconde bonne nouvelle en provenance d’Italie – ce qui n’est pas si courant.
Depuis le 30 septembre dernier, les blouses blanches du département de biotechnologie de l’Université de Vérone cultivaient avec amour une variété très spéciale de Chardonnay, plantée dans la Valpolicella, petite zone viticole située à l’est du lac de Garde. L’institution était plutôt fière de sa parcelle expérimentale au milieu des autres cultures de San Floriano, puisqu’il s’agissait rien moins que de « la première plantation en plein champ en Europe de vignes obtenues grâce aux technologies d’évolution assistée (TEA)*, confirmant l’avant-garde internationale de la recherche dans le secteur vitivinicole menée par [notre] groupe de génétique agricole » et bla bla bla. Oui, bla bla bla, parce qu’il faut peut-être parler de tout cela au passé, suite à la visite ravageuse rendue par un petit groupe d’inconnus à la parcelle universitaire, la nuit de mercredi à jeudi 12 février.
Concrètement, après qu’une ouverture ait été pratiquée dans la clôture de la parcelle vidéosurveillée de 250 mètres de long, l’ensemble des 10 plants de vigne concernés ont été saccagés (cinq génétiquement modifiés, plus les cinq autres qui servaient de témoin), conduisant David Bolzonella, directeur du département de biotechnologie de l’université de Vérone, à devenir des plus pessimistes : « L’acte de vandalisme est grave et, pour l’instant, nous ne savons pas si et quand l’expérience pourra reprendre ». Quant au petit monde des politiciens et des empoisonneurs en gros et au détail, ils ont aussitôt crié à l’obscurantisme, notamment en présentant ces Nouvelles techniques génomiques (NTG) comme « un moyen sûr et durable de contrer les effets du changement climatique et des maladies des plantes et d’augmenter la productivité de l’agriculture italienne », dixit la Confédération générale de l’agriculture italienne (Confagricoltura). Transformer le génome des plantes pour tenter de les adapter à un environnement qu’on rend soi-même chaque jour davantage toxique, tout en préservant son taux de profit, voilà bien au moins une chose qui reste claire dans la bouche des agro-industriels.
Mais venons-en à cette bonne nouvelle concernant les sabotages d’OGM de deuxième génération, directement venue d’un membre de la majorité au pouvoir. C’est un certain Luca De Carlo, Président de la 9e commission permanente du Sénat italien –celle chargée de l’industrie et de l’agriculture–, qui a expliqué ainsi la différence entre le sabotage de juin contre les plants de riz de l’Université de Milan, et celui effectué la veille contre les plants de vigne de l’Université de Vérone : « L’attaque de cette nuit est – si c’est possible – encore plus grave que celle survenue à Pavie, parce que dans le cas des cultures arboricoles comme la vigne, la difficulté pour obtenir des variétés issues de Techniques d’évolution assistée (TEA) est beaucoup plus importante : si attaquer une parcelle de riz signifie jeter en l’air cinq années de recherche, dans des cas comme celui-ci, on parle d’au moins deux décennies… » **
Bon, même en se disant que cet énergumène exagère, parce qu’il a surtout en tête de faire supprimer la géolocalisation publique des parcelles OGM, son conseil demeure néanmoins fort instructif : pour ruiner des années de recherche d’un seul coup, par exemple faute d’allumettes ou de labo sous la main – un simple coup de pince est parfois suffisant…
Peronospora nigra,
15 février 2025
Note
* Plutôt que les appeler OGM (organismes génétiquement modifiés, ce qu’ils sont pourtant, même en l’absence de transgenèse), leurs promoteurs italiens préfèrent les renommer TEA (technologies d’évolution assistée), pour sous-entendre qu’il pourrait s’agir de simples mutations comme il s’en produit dans la nature, qui auraient « juste » été un peu accélérées et orientées… Dans le cas de ce Chardonnay modifié, les blouses blanches ont par exemple supprimé à l’aide du ciseau CRISPR plusieurs lettres du gène de susceptibilité (au mildiou) DMR6, qui inhibait la production d’une molécule (l’acide salicylique), elle-même considérée comme pouvant renforcer les défenses immunitaires de la plante.
L’entreprise universitaire créée en 2020 et qui conduit ce projet, EdiVite, prévoit d’ouvrir une deuxième parcelle expérimentale dans la région de Padoue en 2025 puis de commencer à vinifier en 2026, ainsi que de tester en plein champ d’autres cépages génétiquement modifiés, comme le Glera utilisé pour le prosecco.
** Pour compléter l’évaluation des travaux de démolition nocturnes, voici ce qu’a déclaré le 14 février 2025 Vittoria Brambilla, professeure de botanique générale au département des sciences agricoles et environnementales de l’université de Milan et responsable du projet Ris8imo, celui saboté en juin 2024 : « une partie du riz a été récupérée et a mûri, mais les dégâts sont importants : nous avons perdu une année de travail ».