Avis aux amateurs : Bouygues et les 3000 places de prison modulaires…

Crépy-en-Valois (Oise) : l’usine Bouygues où sont construites les prisons modulaires en kit

Vendredi 11 avril 2025, le ministre de la Justice Gérald Darmanin a emmené avec lui les chefs des quatre grands syndicats de la pénitentiaire (soit la CGT, le SPS, FO-surveillants et Ufap-surveillants) dans un voyage au nord de l’Allemagne, en Basse-Saxe, au sein du complexe pénitentiaire de Meppen.
Son but, comme lors d’un précédent voyage à Rochester (Angleterre) le 28 mars, était de leur présenter un nouveau modèle de prison, dite « modulaire » ou « préfabriquée », dont voici le principe tel qu’il a été décrit sur place par son constructeur allemand : « Nous avons lancé la construction en 2021 », détaille Jürgen Thiem, qui dirige l’entreprise familiale qui porte son nom basée à Leipzig et spécialisée dans la construction carcérale. « Il ne s’est écoulé que dix mois entre la conception et la livraison finale. Une seule entreprise exécute le cahier des charges et non une multitude, avec leur délai et des approximations. D’autre part, nous ne sommes pas soumis aux risques météo, facteur de retards et de surcoûts, puisque tout est construit en usine », explique le dirigeant. Après une simulation de l’ensemble en usine, les modules sont ensuite transportés par camion, « assemblés comme des Lego » puis branchés à une dalle technique en trois jours. L’achèvement des travaux d’aménagement et la mise en service ne dépassent pas douze semaines.

Deux jours plus tard, dimanche 13 avril 2025 dans un entretien accordé au Figaro, le même ministre de la Justice a continué de dérouler son plan de bataille, en annonçant la création de 3000 nouvelles places de prison d’ici à 2027-28 à l’aide de ces infrastructures pénitentiaires modulaires. Ces dernières seront installées sur des terrains déjà détenus par l’administration pénitentiaire, et a priori à l’extérieur de l’enceinte principale : il s’agira de quinze quartiers de semi-liberté – soit 1 500 places – (appel d’offre fin mai) et de dix quartiers dédiés aux courtes peines – soit également 1 500 places (appel d’offre début juin).


Enfin, lundi 14 avril, pour boucler le tout, le même ministre s’est rendu en casque de chantier et gilet orange à Crépy-en-Valois (Oise) afin de visiter l’unique site français de production de cellules de ce type (oooh, quel hasard !), installé rue de Soissons dans les anciens locaux de Poclain. Car dans ces bâtiments à l’abri des regards, une quarantaine de travailleurs de la multinationale « Bouygues Construction » turbinent déjà d’arrache-pied pour construire des blocs cellulaires grillagés comprenant une douche, un sanitaire et un espace pour un lit simple ou superposé, afin de pouvoir assembler en mode mécano les futures places de prison annoncées la veille…

La grande idée de Gérald Darmanin, c’est de classifier les détenus selon leur dangerosité. «Les gens très dangereux, on les mettra dans les [deux nouvelles] prisons de haute sécurité, a-t-il déclaré. Soit 200 personnes qui seront transférées au 31 juillet dans le tombeau de Vendin-le-Vieil (Pas-de-Calais) et au 15 octobre dans celui de Condé-sur-Sarthe (Orne). Les gens dangereux, ils iront dans les prisons classiques. Les gens moins dangereux, ils iront dans de petites prisons, des prisons de taille plus humaine.» Lors de sa visite dans l’Oise, Darmanin a par exemple cité comme relevant de la dernière catégorie les atteintes aux biens et les cambriolages, ainsi que les délits routiers et les violences conjugales. Concrètement, ces « petites prisons de taille plus humaine » seront donc des cubes en béton de 8,5 mètres carrés et de 20 tonnes pour un ou deux taulards, fabriqués dans cette usine Bouygues puis transportés et réunis sur les différents sites retenus… « Et qu’il vente ou qu’il pleuve, la production ne s’arrête pas puisque nous sommes en intérieur », a dit au ministre, en souriant, Martin Bouygues, le président du conseil d’administration du groupe éponyme.

« Tout est fabriqué sur place. Nous coulons le béton pour monter la dalle et le coffrage comprenant les quatre murs et le toit pesant une vingtaine de tonnes. Nous les assemblons ensuite grâce à un système de poulies mécanisé puis nous les transférons dans une autre unité. Les cellules sont ensuite équipées en câbles électriques puis aménagées. La seule chose que nous ne produisons pas sur place sont les portes blindées qui sont réalisées par des détenus de la prison de Val-de-Reuil », explique un chef d’équipe de l’usine guidant ces visiteurs inhabituels, déambulant parmi les ouvriers et les machines à l’œuvre.

Selon la responsable de communication de Bouygues Construction, ce système de production en totale « autonomie » permet de « réaliser 800 modules par an avec la possibilité d’atteindre les 1400 en 2026 ». Prévues pour une à deux personnes, reconnaissables à ses fenêtres à barreaux, ces cellules ont une durée de vie de 50 à 60 ans et permettront de gagner du temps, certes, mais également de l’argent. Une place de prison «classique», c’est 400.000 euros pièce. Et une place de prison construite dans une usine comme celle de Crépy-en-Valois, c’est à peu près 200.000 euros, donc deux fois moins cher.

L’État français s’inspire donc de l’Allemagne et du Royaume-Uni qui ont déjà bâti de telles structures préfabriquées. Les premières prisons en kit devraient être inaugurées dans un an et demi. « Là, nous lançons cet appel d’offres fin mai, pour avoir à partir de septembre-octobre 2026 les premières places et terminer ça début 2027 », a exposé Gérald Darmanin. Les structures issues du second appel d’offres devraient sortir de terre un peu plus tard. Le garde des Sceaux évoquait l’horizon « 2028 » dans Le Figaro, soit au-delà de l’échéance de la prochaine élection présidentielle.

Le premier site qui va accueillir une prison « nouvelle génération » à l’automne 2026 se trouve à Troyes-Lavau (Aube), et enfermera une cinquantaine de détenus supplémentaires.

[Synthèse de la presse (Figaro/Courrier Picard/Oise Hebdo), 14-15 avril 2025]

Le modèle anglais de prisons modulaires et ses blocs de métal de type containers