
Depuis dimanche 13 avril au soir, une vague d’attaques incendiaires (et pas que) frappe la pénitentiaire et les biens de ses larbins dans une dizaine de villes du sud et de la région parisienne. Après une première synthèse détaillée publiée avant-hier, on trouvera ci-dessous un petit complément enflammé sur la troisième nuit, celle de mardi à mercredi 16 avril, où le bleu-maton a de nouveau connu un goût de cendres.
Par ailleurs, tandis qu’à côté de plusieurs objectifs ciblés ont été retrouvés des tags DDPF (qui serait d’après les journaleux l’acronyme de « Défense des droits des prisonniers français », du nom d’un canal Telegram), le ministère de l’Intérieur fait également mention de « slogans anarchistes ». Aujourd’hui, un de ses porte-voix quotidien a donné un peu plus de détails à ce propos (Le Monde, 17/4), en précisant que « à Angers notamment, des inscriptions à la bombe de peinture ont été relevées sur des façades d’habitation proches de la maison d’arrêt : « soutien aux taulard.e.s » et « la prison tue ». ».
Enfin, côté premier bilan, le procureur national antiterroriste Olivier Christen a tenu à communiquer en personne à propos de ces attaques (dans une longue interview donnée à France info,17/4) : il fait état de « 12 faits, deux contre des domiciles personnels d’agents de l’administration pénitentiaire, une attaque conduite contre des véhicules dans les parkings de l’École nationale pénitentiaire (Enap) et puis neuf faits directement contre des établissements pénitentiaires ». Géographiquement, « ce sont huit départements qui ont été touchés », dont « un tiers des faits commis dans les Bouches-du-Rhône, un tiers dans la région Île-de-France », avec un total de « 21 véhicules incendiés et une dizaine de véhicules dégradés » (sans parler du mitraillage de la porte de la taule de Toulon et l’incendie de celle des ERIS à Aix-Luynes). En conclusion, ce défenseur fanatique du terrorisme d’État et fervent adepte de la propagande blindée, a même rajouté une couche de complotisme dont il a le secret : « ça peut être des groupes de radicalisés politiques, ça peut être des groupes plus liés avec la criminalité organisée, ça peut être aussi une convergence d’objectifs et de personnes qui se manipulent les uns les autres : tout est possible ».



Questions après les attaques de prisons
Le Monde, 17 avril 2025 (extrait)
Presque partout, on retrouve le même sigle « DDPF » tagué sur les voitures incendiées ou les murs. Sur une vidéo postée sur la messagerie cryptée Telegram, des individus, dont les visages restent cachés par leur capuche, font usage de bombes de couleur noire, pour signer leurs actes. Étrangement, à la prison de Toulon-La Farlède, c’est un grand sigle rouge orangé qui comporte, cette fois, les lettres « DDFM », qui a été inscrit sur la porte grise par laquelle entrent et sortent les fourgons pénitentiaires. Simple erreur ou signature d’un autre groupe ? Mystère. « Ce sont des groupes qu’on ne connaît pas »,glisse une source pénitentiaire, surprise par cette revendication. Parmi les connaisseurs historiques des mouvements contestataires du milieu carcéral contactés par Le Monde, personne n’avait entendu parler de cette double signature.
Ces attaques s’inscrivent dans un contexte particulièrement tendu, au sein d’établissements surpeuplés (avec un taux de surpopulation moyen de 130 % qui peut dépasser les 200 % dans plusieurs prisons), où les surveillants sont régulièrement cibles de menaces ou d’agressions. Il y a un peu moins d’un mois, le vendredi 21 mars, vers 21 h 30, trois véhicules personnels d’agents pénitentiaires de la maison d’arrêt de Gradignan (Gironde), dans la banlieue de Bordeaux, étaient incendiés au moyen de cocktails Molotov. Une attaque au timing choisi : à ce moment-là, les surveillants étaient tous réunis pour participer au loto de l’amicale des personnels. « Qu’il y ait un incendie ou des tirs ne nous surprend pas tant que cela, témoigne Ronan Roudaut, délégué syndical UFAP-UNSA à la prison de Gradignan. Mais c’est le fait que ces actions soient coordonnées, au niveau national, qui est inattendu. »
Mardi matin, le garde des sceaux, Gérald Darmanin, était convaincu d’y voir la main d’organisations liées à la criminalité organisée. « La République est confrontée au narcotrafic et prend des mesures qui vont déranger profondément les réseaux criminels », a-t-il posté sur le réseau X.
Mais les services de renseignements étudient pour l’instant toutes les possibilités : si la localisation des incidents recouvre pour partie des zones notoirement gangrenées par le trafic de stupéfiants, la signature et la découverte de slogans anarchistes conduisent, elles, à la piste possible de mouvements d’extrême gauche. « Une piste très loin d’être exclue à ce stade », euphémise une source au sein de l’appareil sécuritaire.
Mais là encore, cette éventualité laisse plusieurs spécialistes dubitatifs. « Que l’extrême gauche puisse incendier des voitures, ça peut arriver, mais tirer à la kalachnikov, ce n’est pas du tout dans leur habitude, confie, au Monde, une source bien informée. Enfin, l’extrême gauche est par nature internationaliste, jamais elle ne signerait une action au nom des “prisonniers français”. »
Dans le Sud-Est, particulièrement touché par ces actions concertées, un magistrat reconnaît « manquer, à l’heure actuelle, d’une grille de lecture pour décrypter ces événements ». Un connaisseur des milieux libertaires n’écarte pourtant pas l’idée d’une convergence entre un noyau actif de militants contre l’enfermement dans les centres de rétention administrative et les prisons avec de jeunes membres du narcobanditisme qui, à leur sortie de détention, se politiseraient. Il y voit pour preuve la coexistence de deux modes opératoires, l’incendie étant la marque des actions passées de mouvements libertaires, les tirs de kalachnikov, celle du narcobanditisme.
Le durcissement des conditions de détention pousse à des formes d’action de plus en plus violentes à l’intérieur comme à l’extérieur, estime un avocat marseillais, qui constate « un recours toujours plus grand à l’isolement, et, bien avant la circulaire Darmanin sur les activités ludiques et provocantes, une privation pour certains détenus de ces temps hors de leur cellule ». Le centre pénitentiaire marseillais des Baumettes a d’ailleurs connu, durant plusieurs jours au mois d’août 2024, un mouvement collectif avec des départs de feu simultanés dans des cellules du quartier disciplinaire. Trois prisonniers ont été condamnés, le 1er octobre 2024, à trois et quatre ans de prison. Les détenus, dont certains liés au narcobanditisme, voulaient notamment dénoncer un refus de transfert vers un autre établissement et des violences commises par des agents pénitentiaires. « Mettre le feu, ce n’est pas la meilleure des choses à faire, mais je ne regrette pas car leur boulot c’est d’être surveillant, pas de frapper les détenus », avait lancé l’un des jeunes prisonniers, qui avait allumé une revue de mots croisés contre la porte de sa cellule.
Après les attaques contre les prisons, le flou demeure sur l’identité des commanditaires
Le Monde, 17 avril 2025
Narcobanditisme ou ultragauche, le Parquet national antiterroriste n’écarte aucune piste à ce stade. Redoutant une contagion, l’administration pénitentiaire a relevé au maximum les niveaux de précaution et de contrôles entourant la sécurité des établissements.
Savait-on, au sein des prisons françaises, que de telles attaques étaient en train de s’organiser ? Certains détenus étaient-ils dans la confidence ou l’opération a-t-elle été pensée et orchestrée entièrement depuis l’extérieur ? C’est une des nombreuses questions auxquelles le renseignement pénitentiaire, la police et la justice cherchent des réponses, alors que la nuit du mercredi 16 au jeudi 17 avril a été plus calme que les deux précédentes. Le bilan fait état, depuis le 13 avril, de 30 véhicules détruits ou endommagés à l’occasion d’une dizaine de faits. Et presque partout le sigle « DDPF » tagué sur les murs ou les voitures, pour « Défense des droits des prisonniers français ». Interrogé jeudi matin sur Franceinfo, le procureur de la République antiterroriste, Olivier Christen, a indiqué qu’il n’y avait « pas de piste qui soit privilégiée ».
Passé l’effet de surprise des attaques, et malgré le flou entourant l’identité des commanditaires comme celle des exécutants, l’administration pénitentiaire a relevé au maximum les niveaux de précaution et de contrôles entourant la sécurité des établissements autant que celle du personnel. Une visioconférence à l’ampleur inédite, mardi 15 avril en fin d’après-midi, réunissant le ministre de la justice, les directeurs d’établissement et les responsables de l’administration pénitentiaire, en a précisé les modalités : renforcement des rondes et des contrôles d’identité autour des établissements, patrouilles renforcées, mais aussi consignes d’une discrétion maximale des surveillants tant dans leurs déplacements que sur les réseaux sociaux.
Redoutant des scénarios de contagion du mouvement, y compris à l’intérieur des prisons, l’administration pénitentiaire a pris contact avec les préfets et les procureurs de la République pour prévenir de nouveaux actes malveillants. « Les ERIS [équipes régionales d’intervention et de sécurité] sont en état d’alerte et présentes autour des établissements, les fouilles de cellules ont été renforcées », assure-t-on à l’administration pénitentiaire.
Revendication politique
Selon plusieurs sources internes à différentes prisons, un projet d’actions concertées à l’intérieur de plusieurs établissements avait d’ailleurs circulé récemment. « Le but, c’était que les ERIS n’aient pas le temps de réagir pour leur permettre de faire entendre leurs revendications », confie une source bien informée. « La première réaction de mes clients a été de dire que ces attaques ne les étonnaient pas du tout. Avec le durcissement des conditions de détention depuis plusieurs mois, ils se doutaient que ce genre de mouvement allait arriver », confie un avocat pénaliste au surlendemain d’une visite au centre pénitentiaire de Vendin-le-Vieil (Pas-de-Calais), choisi par le garde des sceaux, Gérald Darmanin, pour devenir l’une des deux futures « narcoprisons », des établissements ultrasécurisés qui réuniront à partir de juillet les narcotrafiquants les plus dangereux.
L’enquête, conduite sous la direction du Parquet national antiterroriste, ne fait que débuter, mais elle s’intéresse d’ores et déjà à un compte baptisé « DDPF », toujours pour « Défense des droits des prisonniers français », créé sur la plateforme Telegram dans la nuit du samedi à dimanche, c’est-à-dire avant même que les premières voitures ne soient incendiées. Un texte de revendication politique y a été posté pour « dénoncer les atteintes à nos droits fondamentaux auxquels le ministre Gérald Darmanin compte porter atteinte ».
Cette courte tribune lançait un appel à « tous les détenus qui doivent se mobiliser et se réveiller » : « L’heure est grave, nous entrons dans une ère dangereuse et inquiétante pour l’avenir de la population carcérale. » Elle dénonçait la réduction du nombre de promenades, le coût des cabines téléphoniques, la suppression des activités qui « dérègle le processus de réinsertion ». Puis elle lance une violente charge contre les surveillants « qui nous frappent, qui violent certains détenus, exercent des pressions physiques et psychologiques : la plupart des suicides sont dus à l’agressivité de l’administration pénitentiaire et à sa déontologie »…
Même si le projet de « narcoprisons » n’est pas mentionné dans le texte, Gérald Darmanin fait figure de bête noire : « Depuis l’affaire Amra [le trafiquant Mohamed Amra, dont l’évasion, en mai 2024, avait causé la mort de deux agents pénitentiaires], que la majorité des détenus n’ont pas cautionnée, la mort de ces gars-là, pourquoi se servir d’Amra pour faire du mal aux 82 000 autres détenus ? Ça n’a ni queue ni tête. La guerre, c’est vous Darmanin qui l’avez déclenchée, nous on veut juste que les droits de l’homme soient respectés. »
Différents modes opératoires
Des revendications de ce genre peuvent-elles être portées par les organisations liées au narcotrafic, comme la puissante DZ Mafia ? Le gang marseillais a déjà fait la démonstration qu’il était capable d’utiliser les codes qui ne sont pas nécessairement les siens. Dans une vidéo en forme de « conférence de presse », diffusée le 9 octobre 2024 pour démentir son implication dans l’assassinat d’un chauffeur de taxi, la DZ Mafia s’est mise en scène, avec cagoules et armes à feu, en singeant les mouvements nationalistes corses.
« On peut être un petit peu interrogatif sur le lien entre ces faits et l’évolution très ferme de la politique de lutte contre la criminalité organisée qu’a décidée le garde des sceaux et que nous sommes en train de mettre en œuvre », a prudemment déclaré, mercredi sur BFM-TV, le directeur de l’administration pénitentiaire, Sébastien Cauwel. « Le trafic a d’abord besoin de calme pour prospérer. Je ne vois pas du tout l’intérêt de la DZ Mafia à enclencher un rapport de force avec l’Etat pour défendre la condition des détenus », analyse, de son côté, un ancien détenu qui, aujourd’hui, intervient en prison.
La tâche des enquêteurs est compliquée par les différents modes opératoires qui semblent avoir cohabité. Au centre pénitentiaire de Toulon-La Farlède, les rafales de kalachnikov sont clairement la signature de la criminalité organisée, liée au trafic de stupéfiants. En revanche, à Angers notamment, des inscriptions à la bombe de peinture ont été relevées sur des façades d’habitation proches de la maison d’arrêt : « soutien aux taulard.e.s » et « la prison tue ».
Une affichette faisant référence à la mouvance antifasciste dans la région a également été retrouvée sur place, avec un appel à une réunion publique le 25 avril. Des références qui renvoient à la mouvance de l’ultragauche. Mardi soir, un homme soupçonné d’avoir relayé sur Telegram un message incitant à commettre des dégradations a été interpellé dans l’Essonne. Mais il n’est pas suspecté à ce stade d’être lié au mystérieux groupe DDPF et sa garde à vue a été levée. Les « investigations se poursuivent », a indiqué le parquet.