Caen (Calvados) : Société nucléaire, société policière

Trognon, 1er décembre 2024

Mardi 19 novembre, deux compagnons sont interpellés en plein centre-ville de Caen par plusieurs équipages de flics dont la BAC. Après une fouille rapide du véhicule avec lequel ils circulent et une prise d’identité autorisées par un arrêté exceptionnel couvrant le secteur de la gare, ils sont embarqués au commissariat central.

Sur place, les flics les informent qu’ils sont placés en garde à vue pour « entrave à la circulation d’un train ». Ils apprennent alors que leur voiture a été aperçue près de deux heures plus tôt à proximité des voies de chemin de fer qui traversent la ville. Ils devineront que les flics les soupçonnent d’avoir voulu stopper ou ralentir un transport de déchets nucléaire CASTOR se dirigeant vers l’Allemagne. En effet, la veille 4 colis Castor contenant des combustibles nucléaires retraités à La Hague ont été acheminés au terminal de Valognes. Ce 19 novembre, le convoi s’est élancé vers Philippsburg encadré de flics, en passant par Caen. Depuis quelques semaines, un appel à mettre des bâtons dans les rails de l’industrie nucléaire circule sur des sites militants.

Au poste, les compagnons comprennent que les flics sont en pleine construction d’une petite histoire : il s’agit de les impliquer dans une tentative de sabotage. Le moindre outil, le moindre tract présent dans la voiture deviennent des preuves à charge. Les flics scotchent sur de vieux morceaux de bois, puis sur du vinaigre blanc qu’ils pensent inflammable (si, si !), saisissent un vieux texte antinucléaire et un autre anarchiste. Des preuves infaillibles on vous dit.

L’un des compas demande à ce qu’une amie soit prévenue et à ce qu’il puisse s’entretenir avec elle, comme il est dorénavant possible en garde à vue. Elle ne reçoit aucun coup de fil, mais les flics informent pourtant le compagnon qu’elle a été contactée.

Durant cette garde à vue, la colocation d’un des compagnons est perquisitionnée au motif d’établir son identité. Les flics en profitent, malgré le rappel du compagnon qu’ils doivent s’en tenir à sa chambre et aux pièces communes, pour fouiller les chambres des colocataires. Là, une seconde équipe, pour certains masqués, intervient et prend des photos, sans qu’il ne soit précisé au compa de qui il s’agit.

Mercredi en fin de matinée, le premier compagnon sort enfin après 19h de garde à vue, et doit attendre encore plus d’une heure pour qu’on lui restitue sa voiture. Pour le second compagnon, c’est seulement en fin d’après midi après 24 h de garde à vue qu’il est enfin autorisé à sortir.

La procédure est toujours en cours et donnera peut-être lieu à un procès. L’un des compagnons est déjà convoqué en janvier pour refus de signalétique. Cette charmante nuit au poste a pour origine une entrave à la circulation d’un train… dont la circulation n’a à notre connaissance, et c’est bien malheureux, jamais été entravée. Mais chez nos braves inspecteurs Clouzot, c’est sans doute une preuve décisive à ajouter à la présence de vinaigre blanc…

Cet arsenal répressif continue de nous révolter malgré sa banalité dans le contexte répressif actuel, et dans un contexte plus spécifique de relance du programme nucléaire qui vise à prolonger l’existence de réacteurs de plus en plus vieillissants, à construire une nouvelle série de réacteurs EPR, mais également à investir massivement dans la recherche nucléaire et dans le nucléaire militaire et ses mille et un raffinements pour anéantir la planète.

Nous gardons en mémoire qu’en matière de nucléaire, l’État n’a jamais badiné avec les flics et la répression. Nous nous souvenons de Vital Michalon soufflé en 1977 par une grenade offensive et des nombreux-ses blessé-e-s de Malville, de Sébastien Briat happé par un train de déchets nucléaires en 2004, du compagnon dont les tendons avaient été sectionnés par une meuleuse et des autres blessé-e-s en 2010 lors d’un blocage de convoi nucléaire à Caen, des blessé-e-s du camps anti-THT de Montabot de 2012, ou plus récemment des inculpé-e-s de Bure…

Si l’État a ainsi accompagné son programme nucléaire d’une armée de flics, c’est que l’industrie nucléaire joue un rôle central dans son développement récent. Au cœur du mode de production énergétique, de l’armement et de la politique coloniale puis post-coloniale, il s’est imposé comme une de ses fondations les plus importantes. Le bon fonctionnement de l’exploitation capitaliste et de la domination étatique repose sur cette infrastructure énergétique et militaire. La nouvelle génération écologiste née des luttes contre le réchauffement climatique devrait s’en souvenir : le nucléaire ne répond pas au problème climatique, il participe de l’ossature du monde qui fabrique ce réchauffement, et qui peut précipiter notre anéantissement. Un monde où l’État et le capital mêlent leurs intérêts pour faire perdurer leur domination.

Nous ne pouvons que regretter que les déchets issus de l’industrie nucléaire qui empruntent régulièrement routes et voies ferrées ne rencontrent plus les oppositions déterminées qu’ils ont rencontrées jadis, et qu’encourager à ce qu’elles s’expriment de nouveau par les gestes ou les formes de mobilisation que leurs protagonistes jugeront nécessaire, sans chefs, ni états majors. Pour notre part, nous restons déterminés, et cette répression sur des camarades antinucléaires n’entame en rien cette détermination, à en découdre avec le nucléaire et son monde.

Notons pour terminer, que les flics qui escortaient le convoi de déchets nucléaires ont eux-mêmes entravé la circulation, en blessant quatre personnes lors d’un accident (dont trois flics et un personne dont la voiture a fait des tonneaux), à Teurthéville-Hague le 20 novembre.

On espère que le temps dédié à surveiller le trou du cul de nos compas a servi à d’autres personnes qui veulent lutter contre le nucléaire et son monde à passer sous les radars.

Des antinucléaires.