Kouaoua/Goro (Nouvelle-Calédonie) : nouveaux sabotages de l’industrie du nickel

Kouaoua : plusieurs véhicules volés et incendiés sur la mine SLN
Les Nouvelles Calédoniennes, 20 décembre 2020

Le centre minier de la côte Est a connu une intrusion et des dégradations dans la nuit de samedi à dimanche [19 au 20 décembre] indiquent la gendarmerie et le métallurgiste. Sept véhicules ont été « dégradés », trois autres ont été « incendiés » et quatre ont été « volés », précise ce dimanche matin la direction de la SLN, qui fait également état de la « destruction d’une partie des installations de sécurisation ». La gendarmerie a ouvert une enquête.

Il y a une dizaine de jours, la serpentine avait été incendiée une nouvelle fois. Le convoyeur de minerai avait brûlé sur près de 1,5 kilomètre de long.


Un nouvel incendie sur la mine de Goro
La1ere, 21 décembre 2020

Tout juste une semaine après l’incendie de lundi dernier et au lendemain de la levée du Plan particulier d’intervention (PBI), Vale NC confirme qu’un autre incendie est survenu sur la mine de Goro cet après-midi.

D’après Vale NC, sur les coups de 13h30 aujourd’hui, dix individus se sont introduits sur la mine de Goro au niveau de la fosse minière. Ils auraient incendié entre deux et trois petits engins miniers, dont un concasseur, des pneus et des tuyaux. Dans un communiqué, Vale NC détaille que ce groupe d’individus a «caillassé des personnes d’une société sous-traitante qui procédaient à la sécurisation de leurs engins, et ont déclenché plusieurs incendies dans la fosse minière, sur des engins, des tuyaux et des pneus.»

La gendarmerie, les équipes d’intervention et les pompiers sont intervenus très rapidement. Le feu est maîtrisé. « La situation est, actuellement et une nouvelle fois, sous contrôle.» Lundi dernier, un incendie avait déjà ravagé les installations du centre industriel. Un acte de vandalisme qui avait ravagé une dizaine d’engins, un stock de pneus, une partie du bâtiment administratif ainsi qu’un côté des ateliers de maintenance et du magasin d’outillage. 


Incendies à Vale : le FLNKS condamne
La1ere, 16 décembre 2020

Sur le terrain politique, ces méfaits autour de l’usine de Goro et des mines sont unanimement condamnés par les loyalistes, mais aussi du côté des indépendantistes et notamment du FLNKS. Le front qui fait partie du Collectif usine pays et qui prend aujourd’hui en main les discussions autour du dossier Vale, condamne.

Pour Victor Tutugoro, président de l’UPM (Union progressiste en Mélanésie), parti en charge de l’animation du bureau politique du FLNKS, ces exactions ne font pas partie du combat mené par le front sur le dossier Vale : « Comment voulez-vous que l’on porte notre modèle économique si tout est brûlé demain? Ce n’est pas ça notre combat. Celui que l’on porte aujourd’hui, il est autour d’abord de la vente de l’usine de Vale NC. Quelle que soit la multinationale qui vient exploiter, il faut que la ressource appartienne bien au pays » -Victor Tutugoro, du BP du FLNKS

Toujours selon le porte-parole du FLNKS « il y a toujours une part de jeunes [qu’ils] ne maîtrisent pas, qui ne sont pas dans les actions du FLNKS » : « Les jeunes mineurs on ne veut pas qu’ils viennent, parce que c’est comme ça qu’on arrive à des choses comme ça. L’immense majorité de nos militants suivent les mots d’ordre et malheureusement, il y a des dérapages comme dans toutes les mobilisations. C’est dommageable pour la cause que l’on porte« , Victor Tutugoro, du BP du FLNKS


Nickel : pourquoi la vente d’une usine de Vale plonge la Nouvelle-Calédonie dans le chaos
Les Echos, 20 décembre 2020

Depuis plusieurs semaines, des tensions rythment la vie du Caillou. Principalement au sud, où des barrages routiers ont été montés, l’accès aux sites industriels a été bloqué, une station-service a été incendiée. Des individus se sont introduits dans l’usine de la société Vale à Goro, sabotant les installations et infrastructures. La situation est telle que policiers et gendarmes ont dû intervenir à plusieurs reprises pour déloger les intrus, ils ont même ouvert le feu lors de l’évacuation de l’usine de Goro.

Ces violences, essentiellement du fait d’indépendantistes et de Kanaks, ont été « fermement condamnées » par les autorités sur place, mais aussi en métropole par le Premier ministre, Jean Castex, interrogé à l’Assemblée par un député évoquant une situation « au bord du chaos politique économique et social ». Le ministre des Outre-mer, Sébastien Lecornu, multiplie les appels au dialogue et se dit prêt à accueillir les responsables indépendantistes du FLNKS. Ces derniers ont d’ailleurs fini eux aussi par condamner les violences.

Tout est lié à la vente de l’usine de nickel, exploitée par Vale. Le groupe brésilien a décidé de quitter la Nouvelle-Calédonie après avoir accumulé depuis 2014 près de 2 milliards de dollars de pertes. Par ailleurs, le géant du fer, secoué par la rupture d’un barrage minier au Brésil ayant entraîné la mort de 200 personnes, a décidé de se recentrer sur ses activités rentables. Après l’échec des négociations avec une junior australienne, Vale a étudié une autre offre, composée à 50 % d’intérêts calédoniens, à 25 % du négociant suisse Trafigura, le reste revenant à une société multipartite. Ce projet est soutenu par la province du Sud, propriétaire du sous-sol, mais aussi par l’Etat français.

Les indépendantistes du FLNKS, mais aussi le collectif Usine du Sud = usine pays et l’instance coutumière autochtone de négociation (Ican) dénoncent la présence du négociant de matières premières Trafigura au sein du consortium. Ils ne veulent pas abandonner les richesses de la Nouvelle-Calédonie à « une multinationale suisse » éclaboussée par des scandales . Ils oublient au passage que dans le nord de l’archipel, ils s’étaient associés au suisse Glencore , dont la réputation est loin d’être moins sulfureuse. Afin « de protéger le gisement de Goro des velléités croissantes de multinationales étrangères », les opposants mettent en avant le projet porté par la Sofinor, représentant les intérêts de la province du Nord [dirigée par les indépendantistes kanak], et leur partenaire coréen Korea Zinc, qui a préféré jeter l’éponge après les tensions.

Cette opposition se double d’une opposition politique qui structure l’histoire de la Nouvelle-Calédonie entre les provinces du Nord, contrôlées par les Kanaks et indépendantistes, et le Sud, où est située l’usine, dirigé par les loyalistes. La politique locale est intimement liée au nickel, qui figurait déjà au centre des revendications indépendantistes lors de la négociation des accords de Matignon en 1988 et de l’accord de Nouméa en 1998. Ces accords, qui ont mis fin à des années de tensions dans les années 1980, visaient entre autres à rééquilibrer le partage des richesses de la Nouvelle-Calédonie et à privilégier la création de valeur ajoutée sur l’archipel. Le Caillou sort d’un deuxième référendum sur l’indépendance où le « non » l’a emporté de justesse.

Que représente le nickel pour l’archipel ?

C’est la principale source de revenus en Nouvelle-Calédonie, qui concentre près de 25 % des ressources mondiales de ce métal servant à fabriquer l’acier inoxydable et les batteries de voitures électriques. Sur les trois principaux sites, l’extraction et le traitement du minerai emploient près de 6.000 personnes.

Les retombées économiques ne sont toutefois pas à la hauteur des espérances, comme le résume une habitante de Goro : « Il y a eu beaucoup de transformations depuis la construction de l’usine, l’environnement social s’est dégradé et la majorité des jeunes n’a pas trouvé de place dans le secteur minier. La situation est plus compliquée qu’avant. »

Le nickel calédonien est en outre exposé à la concurrence à bas coûts de l’Indonésie, des Philippines et de la Chine. Ces pays montent en puissance dans la production pour répondre à la demande liée à l’essor des voitures électriques. Les usines calédoniennes sont d’autant plus vulnérables qu’elles sont peu compétitives en raison du coût astronomique de l’énergie sur cette île située au milieu du Pacifique, mais aussi du coût de la main-d’oeuvre et des exigences environnementales plus strictes. La SLN, filiale d’Eramet, enchaîne les plans de restructuration , tandis que les autres sites n’ont jamais été rentables ou atteint leurs objectifs de production.

Enfin, bien que le minerai soit une source importante de revenus pour l’île, son extraction et son traitement génèrent d’importantes pollutions , notamment pour les populations locales qui vivent à proximité des sites industriels. L’usine de Vale qui pratique l’hydrométallurgie – cela consiste à purifier le minerai avec de l’acide – est située à deux pas des habitations kanakes. Plusieurs fuites ont déjà été constatées.


Les politiciens kanak et leurs mines
Nickel, les illusions perdues des indépendantistes
Les Echos, 6 août 2019 (extraits)

Sur le barrage de voitures brûlées et de branchages qu’ils ont érigé à l’entrée du gisement de Méa, une cinquantaine d’habitants de la commune de Kouaoua, sur la côte est de l’île, s’oppose depuis le mois d’août à l’ouverture par la SLN (Société Le Nickel) de nouvelles mines destinées à remplacer celles en fin de vie. Installés dans un campement de fortune, ces Kanaks, minoritaires dans la population mais très déterminés, se relaient jour et nuit pour en bloquer l’activité. Les tribus installées au pied de ces mines, exploitées depuis près d’un siècle par cette filiale du groupe Eramet, cherchent à défendre des lieux sacrés et protéger leur garde-manger de ces projets d’extensions. Rivières engravées, baies rougies par les boues dévalant des massifs dénudés à chaque forte pluie : elles dénoncent la détérioration de leur environnement. Et les emplois créés (400 directs et induits à Kouaoua) ne suffisent plus à contenir leur colère.

« On n’a pas d’argent pour aller au magasin. Pour manger on se sert dans la nature, on va à la chasse, à la pêche, alors on lutte pour notre biotope, clame Marie-Johanna, l’une des jeunes barragistes, titulaire d’un baccalauréat technique de secrétaire comptable. On n’est pas tous faits pour travailler à la mine, on veut pouvoir développer l’agriculture, faire des petits projets pour la commune. On ne veut pas travailler à Nouméa. » Mais, pour l’instant, la première victime de leur mouvement est leur village, dont la mairie, des commerces, la station-service et le dispensaire ont été vandalisés. Dans les rues de Kouaoua, désormais désertes, règne le silence. Leur porte-parole, Hollando, dénonce un système qui a semé la zizanie dans les tribus. « Un accord pour l’ouverture de ces mines a été signé en 2013 entre la SLN et les coutumiers, mais l’argent n’a pas circulé. Les vieux l’ont pris sans se gêner », accuse-t-il ouvertement. Cet accord prévoyait une série de compensations et d’évitement des zones sensibles en échange des nouveaux gisements. « L’argent est un pouvoir, une capacité à faire autre chose en dehors du clan, au-dehors de la famille, il a déséquilibré l’organisation sociale de la tribu », constate également Pascal Naouna, dirigeant d’une entreprise de roulage sur mines à Poya, sur l’autre versant de la chaîne montagneuse, et membre de la tribu de Ouaté. « Des responsables coutumiers se sont transformés en chefs d’entreprise et cela a eu un impact négatif sur notre société, parce que le raisonnement n’est pas le même. Dans le monde coutumier, le consensus nous permet de sortir des conflits, alors que, dans une société économique, c’est plutôt celui qui détient la majorité des parts qui décide. » Pour la SLN, la situation est périlleuse : outre les dégâts sur ses installations, estimés à quelque 12,5 millions d’euros, l’entreprise s’inquiète pour la production à venir : « On se prépare une année 2019 très difficile, car sans le nickel de Kouaoua on aura des problèmes pour alimenter les fours », explique un cadre.

Jadis cantonnés dans les postes subalternes de l’industrie minière, les indépendantistes kanaks avaient fait de leur entrée dans le secteur du nickel une priorité de leur combat. Les accords de Matignon, signés le 26 juin 1988 au lendemain de la tragédie d’Ouvéa, leur ont mis le pied à l’étrier grâce à l’acquisition, sous la pression de l’Etat, de la Société Minière du Sud Pacifique (SMSP) du député loyaliste Jacques Lafleur. Ce fut le début d’une nouvelle aventure. A la veille d’un référendum d’autodétermination attendu depuis trente ans, de nombreuses illusions sont tombées. Des voix se font entendre de plus en plus fort pour dénoncer la pollution engendrée par l’exploitation minière, et le creusement des inégalités entre les bénéficiaires du boom et ceux qui sont restés en marge. Car, malgré tous les efforts de rééquilibrage, la province Sud, dirigée par les non-indépendantistes, concentre toujours 75 % de la population et 80 % de l’activité économique. Selon l’Institut des statistiques et d’études économiques de la Nouvelle-Calédonie (Isee-NC), 17 % des Calédoniens vivent en dessous du seuil de pauvreté. « L’argent du boom s’est évaporé en Australie, en Nouvelle-Zélande, au Vanuatu ou en France. Il a été capté par une minorité et n’a pas été réinvesti sur place », se désole un indépendantiste, qui reconnaît que les Européens n’ont pas été les seuls à placer leur argent à l’extérieur. Quant à la manne que les usines devaient déverser sur les populations pour les aider à diversifier leurs activités, elle est reportée à de lointaines échéances, tributaires des imprévisibles fluctuations du marché mondial des matières premières.

Avec l’acquisition de la SMSP des Lafleur, ils sont devenus d’importants exportateurs de minerai. Mais cette société ne détenait pas de mine prometteuse. En préalable à la conclusion de l’accord de Nouméa, le 5 mai 1998, Eramet (dans lequel l’Etat est actionnaire à hauteur de 26 % et qui détient via la SLN 53 % de la superficie minière de la Nouvelle-Calédonie) échangeait, là encore sous la pression, le massif du Koniambo dans le Nord, à la teneur très élevée en nickel, contre le massif de Poum, bien moins riche, et une soulte. La SMSP s’alliait au canadien Falconbridge pour construire, dans le nord de la Grande Terre, une unité de transformation du minerai d’une capacité de 60.000 tonnes par an. « Ce que nous essayons de faire avec l’usine du Nord, c’est un développement harmonieux qui créera le rééquilibrage du pays. On l’utilise pour l’indépendance, peut-être, mais l’indépendance est décidée par le peuple, et si le peuple est heureux, il saura lui-même décider », expliquait Paul Néaoutyine, le président indépendantiste de la province Nord. La SMSP s’unissait avec Posco pour la construction, en Corée du Sud, d’une usine métallurgique alimentée par le minerai calédonien, d’où l’impérieuse nécessité d’une ressource abondante. Dans le même temps, le canadien Inco, soutenu par les loyalistes de la province Sud, lançait la construction d’une usine de même capacité à l’autre bout du pays. La SLN perdait ainsi son monopole séculaire sur la transformation de la principale ressource du pays et la Nouvelle-Calédonie entrait de plain-pied dans la mondialisation.

Alors que les cours du nickel atteignaient un sommet historique (24,54 dollars par livre en mai 2007), l’anglo-suisse Glencore [pour les indépendantistes kanak] et le brésilien Vale [pour les colons loyalistes] remplacèrent les industriels canadiens avec d’ambitieux objectifs de rentabilité. La construction des usines connut des déboires, qui firent prendre des années de retard à leur entrée en production et exploser les coûts. Partenaire à 51 % dans le capital de l’usine du Nord, la SMSP [de la province Nord dirigée par les indépendantistes] laissa Glencore financer la quasi-totalité de l’investissement, gageant, pour de nombreuses années, les bénéfices à venir. Les tribus kanaks et les villages situés à proximité des usines ont toutefois bénéficié des retombées du nickel sous forme d’emplois, de contrats de sous-traitance et d’accords compensatoires. « L’industrie minière a participé à l’élévation du niveau social de la population. Elle a permis de développer de nouvelles connaissances, a offert de nouvelles opportunités de métiers aux jeunes, a développé la culture de l’hygiène et la sécurité, les connaissances environnementales, financé la recherche et mis des contraintes et des réglementations pour protéger la nature », souligne Georges Mandaoué, ancien membre du Parti travailliste (PT, indépendantiste), aujourd’hui responsable des relations communautaires pour Vale.

Pendant ces années d’euphorie, peu d’attention a été portée à la montée en puissance du « pig iron » (fonte brute) chinois, ce métal fabriqué à bas coûts à partir de minerai à faible teneur, pas plus qu’à l’augmentation des exportations de nickel de l’Indonésie et des Philippines. La chute des cours et la difficile montée en puissance des usines ont brutalement mis en lumière le niveau élevé des coûts de production calédoniens par rapport à leurs concurrents. Accumulant les pertes, les trois entreprises métallurgiques du territoire ont drastiquement réduit les contrats de sous-traitance. L’absence d’une véritable stratégie de diversification de l’économie et d’un fonds souverain pour les générations futures s’est alors cruellement fait sentir. La Chambre territoriale des comptes a révélé le lourd endettement des provinces par le biais de garanties données à des engagements hors bilan. « Si ces garanties sont appelées un jour, cela posera de sérieux problèmes, estime un proche du dossier. Mais il existe localement un fort sentiment que cela ne sera jamais le cas », tempère-t-il, en soulignant le caractère éminemment politique des décisions d’investissement en Nouvelle-Calédonie. Comme en témoigne l’effacement, en 2013, de 293 millions de prêts accordés par l’Etat en 1975 et 1984 pour compenser la baisse des cours du nickel.

Lucide, Georges Mandaoué s’inquiète. « On a 51 % des dettes, pas de bénéfice, et s’il y a l’indépendance, on aura cette charge sur le dos », dit-il à propos de l’usine du Nord. « Comment pourra-t-on négocier avec des banques détenues par ceux que l’on aura mis dehors ? » Le résultat du référendum, s’il n’est pas en faveur de l’indépendance, pourrait au moins le soulager sur ce plan.