Le fameux coronavirus qui occupe depuis des mois tous les esprits possède des enzymes de réplication à base d’ARN plutôt que d’ADN, ce qui rend sa séquence génétique beaucoup moins stable et lui permet de muter rapidement. Depuis mars 2020, la variante mutante D614G du SARS-CoV-2 qui augmente sa capacité à infecter les humains (tout en étant peut-être moins virulente) est ainsi devenue majoritaire parmi les échantillons cliniques prélevés chez les malades en Europe, prenant en partie la place de ses autres versions qui ne portaient pas cette mutation avantageuse pour lui. Au total, plus d’une centaine de ses mutations ont été décrites à ce jour dans le monde, tout en restant jusqu’à présent minoritaires.
Toutefois, loin des analyses de laboratoire sur un virus à la diffusion si capitaliste (déforestation massive, concentration urbaine et économique, déplacements aériens,…), il existe également une autre série de mutations accélérées – cette fois de sa souche tricolore – qui pourraient au minimum rendre perplexe sur la direction qu’elles empruntent. En ces beaux jours de fin septembre, voici un petit aperçu sur un phénomène finalement pas si curieux que cela.
- Le virus tricolore, après une feinte indifférence pendant des mois au non-port du masque par le commun des mortels, puis en ne redoutant ici ou là les masques qu’en milieu clos, à distance rapprochée et pendant plus de 15 minutes… avant de devenir si contagieux jusqu’à l’air libre des égarés parmi les arbres campagnards ou les lampadaires urbains, a connu lundi 7 septembre une spectaculaire mutation de sa mortalité : sa survie à l’intérieur les masques lavables est passée d’un jour à l’autre de 60 à 30 °C. Et hop, c’est une révélation des pontes de l’Académie de médecine, mais rien à voir avec la généralisation forcée du masque en extérieur, au turbin et à l’école par l’État depuis début septembre, bien sûr, ni au fait que beaucoup n’allaient pas faire de machine quotidienne express à 60°C juste pour ce bout de tissu.
- Le 11 septembre, le virus tricolore a muté une seconde fois de façon radicale, puisque sa période de contagion a carrément chuté de moitié d’un jour à l’autre, contrairement au reste du monde où elle est bêtement restée identique. Et c’est ainsi que la période de quarantaine plus ou moins obligatoire pour toutes les personnes testées positives au Covid-19 et pour les cas contacts a pu passer de 14 à 7 jours d’isolement, juste avant la présentation par l’État de son grand plan de relance de l’économie à 100 milliards d’euros. A la grande joie des exploiteurs qui ont besoin d’esclaves salariés disponibles sur place avec un minimum d’interruption, tout en freinant l’augmentation continue du montant total des indemnités versées aux personnes mises en quarantaine (lui-même lié à l’augmentation du nombre de tests et donc de détections). Et puis de toute façon, mieux valent sept jours d’auto-isolement volontaire observés de façon stricte que quatorze jours pas respectés, a reconnu du bout des lèvres un responsable… où comment jusque les caractéristiques apparentes et fondamentales d’un virus sont comme le reste à la fois déterminées et guidées par les intérêts d’État du moment et le fruit d’un rapport de force permanent avec ses sujets, cette fois médié par un pouvoir médical au service du premier.
Que les savoirs soient logiquement contradictoires dans le monde scientifique avant que ne s’y établissent des consensus, que la domination détienne dans le cas qui nous occupe leur monopole, et que chaque État tranche en leur sein selon des tas d’autres critères que la santé est une chose bien comprise. Par contre, on ne voit du coup pas comment des anti-autoritaires revendiqués peuvent se soumettre de plein gré aux injonctions flicosanitaires du pouvoir comme lors du confinement en abdiquant toute pensée critique, plutôt que d’y s’opposer autonomie, auto-organisation et expérimentations individuelles. Mais patience, le virus tricolore est en train de connaître bien d’autres mutations incroyables qui vont en s’accélérant.
- Le 17 septembre par exemple, l’une d’elle s’est produite à l’intérieur des mômes –sans doute l’effet dressage de cerveaux–, qui sont devenus beaucoup moins contagieux d’un jour à l’autre. Et c’est ainsi que les instituteurs masqués entrés en contact avec un enfant de moins de 11 ans testé positif ne sont d’un coup plus devenus des cas contact à isoler… et les classes plus à fermer faute de remplaçants disponibles. Mais ce virus tricolore reste cependant paradoxalement très sélectif, faut pas exagérer : en crèche, le port du masque est ainsi devenu obligatoire pour les enseignants en présence des enfants, alors qu’ils ne devaient jusque-là le porter qu’avec les parents, histoire de ne pas traumatiser les petiots. Que de mutations virologiques en quinze jours de rentrée, où 89 établissements scolaires (école, collège et lycée) en entier et plus de 2 100 classes ont officiellement fermé, au grand dam des géniteurs qui pensaient pouvoir déléguer sans souci la gestion de leurs rejetons à l’État afin d’aller se faire exploiter en paix. Heureusement que la dernière variation infantile du tricolorovirus a pu remédier à la situation en permettant désormais la fermeture d’un minimum de classes et l’entassement d’un maximum de corps.
- Le 18 septembre, découverte importante : on a trouvé à Nice une nouvelle souche du virus tricolore, qui est non seulement sensible au son vibrionnant qui s’échappe des baffles (interdiction « de la diffusion de musique amplifiée sur la voie publique »), mais aussi à une molécule nommée alcool dès la nuit tombée –sans doute l’effet vampire– (interdiction de la vente d’alcool à emporter et de la consommation d’alcool sur la voie publique après 20h). Une souche locale de coronavirus toutefois légèrement différente de celle présente à Toulouse, où son extrême contagiosité à l’alcool plutôt qu’au banana split commence au beau milieu de la journée –certainement une question d’intensité de soleil entre sud-ouest et sud-est– : la consommation alcool vient d’y être interdite par le préfet dans l’espace public de toute la ville de 13 heures à 6 heures du matin. Dans le Pas-de-Calais, c’est la même, mais entre 17 heures et 8 heures puisque le virus s’y lève plus tard – certainement l’effet briques rouges.
- C’est d’ailleurs stupéfiant le nombre de souches locales qui apparaissent en ce moment dans ce vil pays : à Caen, la dangerosité du virus tricolore est liée à certains types de brins d’herbe lunaires comme ceux qui poussent à l’ombre des forteresses, puisque l’accès prisé « aux pelouses et plantations situées à l’intérieur et à l’extérieur des remparts du Château » vient d’être interdit le 19 septembre de 18h à 6h… et ce jusqu’au 31 décembre tant qu’à faire (jusqu’à la disponibilité d’un vaccin était certainement trop grossier). Mais à Lyon, à l’inverse, les rayons de l’astre blanc semblent plutôt atténuer sa contagiosité, puisqu’entre 2h et 4h du matin le masque n’y est pas obligatoire en extérieur. A Dijon comme ailleurs, la variante locale du virus est quant à elle si capricieuse qu’une simple bascule du postérieur peut faire toute la différence : à partir du 21 septembre, il sera interdit « de garder une station debout dans les bars et restaurants», mais chacun pourra continuer de consommer de façon concentrée en restant sagement bien assis. Idem en Indre-et-Loire à partir du 21 septembre, où les « soirées dansantes » y compris avec masques sont interdites, mais pas de serrer côte à côte des boulons toute la journée, puisque la souche virale du coin s’y diffuse mystérieusement à partir des variations ostensibles du bassin. A Besançon, la souche franc-comtoise du virus est aussi très spéciale, en étant là-bas sensible à l’alignement constant entre les pieds et la mâchoire : il n’est autorisé depuis le 31 août de manger un sandwich dans la rue (ou de fumer une cigarette) que « de manière statique » et à bonne distance de tout autre être humain. A Narbonne, contrairement aux autres villes du pays, on se trouve également face à une variante qui intéressera certainement les virologues du monde entier, puisqu’ici sa dangerosité est liée au cuir unique de ses ballons et au coton particulier de ses kimonos : l’ensemble des équipements sportifs municipaux (gymnases, dojos et les salles de danse) ont été fermés jusqu’au 31 octobre, un point c’est tout.
- Enfin, on remarquera non seulement que l’étrange virus hexagonal donne une maladie au genre indéfini –comme en italien– puisque l’usage masculin initial résiste encore à l’imposition académique et médiatique du féminin (le/la covid), mais surtout que sa propagation immédiate est miraculeusement inférieure à celle de ses homologues de souche anglaise et madrilène. Au-delà des traits invisibles fixés sur le papier par des siècles de mariages royaux ou de guerres, les rassemblements autres que travail/école/consommation viennent en effet d’être là interdits à plus de 6 personnes… quand ici c’est le nombre de 10 qui est déterminant à Marseille, Bordeaux, Lille et Nice (soit pas de « réunions privées » en intérieur ni de « rassemblements festifs ou conviviaux sur la voie publique » de plus de dix individus sans autorisation). La variante tricolore du virus apprécie certainement et très scientifiquement les chiffres non seulement pairs mais aussi ronds.
Bien évidemment, au delà de toute ironie, aucun inventaire à la Prévert des mesures listées ci-dessus n’ont à voir avec le coronavirus, mais tout avec la gestion politique de l’ordre public et du dressage des corps et des esprits par l’État. Comme le révélait encore logiquement le 10 septembre la très officielle Agence flamande de Soin et Santé, c’est évidemment au travail et à l’école que les infections au covid-19 ont principalement lieu, soit exactement les lieux que le pouvoir entend laisser ouverts à tout prix, quitte à sacrifier toute liberté formelle en milieu non-clos comme la rue.
Au final, avec la recrudescence du nombre de personnes touchées par le covid-19 à travers toute l’Europe en cette rentrée, le pouvoir dessine un tableau de mesures tout aussi arbitraires que celle du grand confinement de mars, mais avec une variante de poids. Cette période a en effet si bien marqué les esprits qu’elle sert désormais à la fois de chantage et de cadre pour que tout continue en pire comme avant. Chantage pour faire accepter la panoplie infinie de « mesures locales » de contraintes et de restrictions de libertés formelles déployées avec le grand concours préfectoral lancé fin août (c’est ça ou le retour du confinement de printemps, nous prévient-on) ; cadre marquant, puisque tout cela a moins à voir avec une logique strictement sanitaire qu’avec un ordre économique et de préservation du pouvoir. Maintenir les écoles ouvertes coûte que coûte pour que des dizaines de milliers d’élèves n’échappent pas à la domestication étatique comme en mars-avril et que leurs géniteurs puissent continuer d’enrichir des patrons au turbin en étant débarrassés d’eux en journée. Maintenir coûte que coûte une exploitation flexibilisée, en jouant sur tous les autres aspects moins essentiels au capital (avec pour crime suprême les déambulations et rassemblements sauvages non marchands ou contestataires), quand il est évident que si l’on voulait s’intéresser à la diffusion du virus, ce sont les milieux clos et confinés comme les prisons et commissariats, les bagnes industriels, les transports maison-boulot-dodo ou les temples de la consommation, qui sont les plus contaminants. Tous lieux déjà ordinairement à raser sans pitié.
Mais la question n’est évidemment pas là, et se pose de manière opposée des deux côtés de la barricade : non pas comment survivre avec le virus au prix d’une surmortalité statistique pendant que se renforcent la dépossession et la domination (notamment policière, technologique et patriarcale), mais comment vivre malgré le virus à travers l’auto-organisation et l’autonomie individuelle… pour y faire face, attaquer et tout arrêter. Une question décidément urgente avec les restructurations en cours de l’ennemi, notamment économiques, mais aussi des durcissements autoritaires qui se profilent une fois de plus sous forme de confinements locaux différenciés. En tout cas si les 850 000 habitants des quartiers pauvres et périphériques de Madrid qui ne sont autorisés à quitter un périmètre fixé par les autorités que pour se rendre au travail, chez le médecin ou accompagner les enfants à l’école nous disent par exemple quelque chose. A partir de lundi 21 septembre, l’entrée et la sortie dans ces quartiers sera ainsi interdite pendant quinze jours, sauf pour ces raisons-là (avec les parcs et jardins publics fermés à l’intérieur, et les magasins et restaurants ouverts en capacité réduite).
Après la bulle sociale inventée en Belgique, voici donc venue la «zone sanitaire» semi-close créée en Espagne ou le concept de «coupure de circuit» (circuit break) lancé en avril à Singapour et repris ces derniers jours en Angleterre comme niveau intermédiaire qui mixte les deux avant « l’option nucléaire » (le reconfinement total), soit en réalité un confinement partiel : tandis que les rassemblements sont à présent limités dans toute l’Angleterre à « six personnes de deux foyers différents maximum » tant en intérieur qu’en extérieur, les 1,5 million de personnes résidant à Newcastle, Sunderland et Durham doivent par exemple se contenter depuis le 18 septembre de fréquenter leur seul et terrible « foyer familial » (à l’exception du travail, bien sûr), sans compter le couvre-feu à 22h à 5h du matin (en gros tout est fermé pour rendre les rues désertes). Cela donne par exemple comme explication dans un journal : « Une famille de cinq ne sera autorisée à rencontrer qu’un grand-parent à la fois, et un foyer de six ou plus ne pourra rencontrer personne » (The Telegraph, 20 sept). Avec bien sûr contrôles afférents et amendes qui devraient monter jusqu’à 10 000 £ à compter du 28 septembre en cas de violation de l’auto-isolement obligatoire, soit suite à un test positif soit sur simple injonction du National Health Service (NHS).
Comme le disait en mars dernier un tract parisien sorti pile à la veille du grand confinement et titré Le pire des virus.. l’autorité, « Un virus est un phénomène biologique, mais le contexte où il naît, sa propagation et sa gestion sont des questions sociales. En Amazonie, en Afrique ou en Océanie, des populations entières ont été exterminées par les virus apportés par les colons, pendant que ces derniers imposaient leur domination et leur manière de vivre. Dans les forêts tropicales, les armées, les commerçants et les missionnaires poussèrent les gens – qui auparavant occupaient le territoire de manière dispersée – à se concentrer autour des écoles, dans des villages ou des villes. Cela facilita énormément la diffusion d’épidémies ravageuses. Aujourd’hui la moitié de la population mondiale habite en ville, autour des temples du Capital, et se nourrit des produits de l’agro-industrie et de l’élevage intensif. Toute possibilité d’autonomie a été éradiquée par les États et l’économie de marché. Et tant que la méga-machine de la domination continuera de fonctionner, l’existence humaine sera toujours plus soumise à des désastres qui n’ont pas grand chose de « naturel », et à leur gestion qui nous privera de toute possibilité de déterminer notre vie. À moins que… dans un scénario toujours plus sombre et inquiétant, les êtres humains décident de vivre comme des être libres même si c’est juste pour quelques heures, quelques jours, ou quelques années avant la fin – plutôt que de s’enfermer dans un trou de peur et de soumission. »