Pas de confinement pour les chasseurs…

Confinement : la chasse autorisée «pour des raisons d’intérêt général»
Libération, 2 novembre 2020

Dimanche, la secrétaire d’Etat chargée de la Biodiversité, Bérangère Abba, a précisé les conditions dans lesquelles les chasseurs pouvaient continuer à tirer le grand gibier malgré l’interdiction des déplacements et activités dits non essentiels.

A l’heure du second confinement, la chasse est-elle une activité essentielle ? Si vous n’avez pas quatre heures, sachez que le gouvernement a, lui, tranché cette question sur le registre habituel du «en même temps» macronien. Pour répondre aux informations contradictoires qui circulent depuis le reconfinement vendredi, et notamment la possibilité pour les chasseurs de prendre une heure de «détente cynégétique» (sic) dans un rayon d’un kilomètre autour de chez eux (une option défendue par le président de la Fédération national des chasseurs (FNC), Willy Schraen, sur Facebook), la secrétaire d’Etat chargée de la biodiversité, Bérangère Abba, a précisé dimanche les conditions dans lesquelles la chasse pouvait être autorisée. Des «dérogations» à l’interdiction générale de se déplacer, précise un communiqué ministériel, «sur demande de l’autorité administrative» et «pour des raisons d’intérêt général».

Négociations

Un nouveau cadeau du gouvernement pour continuer à caresser dans le sens du poil les un peu plus d’un million de chasseurs (qui sont aussi des électeurs) que compte l’Hexagone ? Il faudrait préciser que cette fois-ci, contrairement au printemps, le confinement automnal vient troubler la saison de chasse, entamée depuis un bon mois. Ce qui a entraîné, de l’aveu même de la Fédération nationale des chasseurs, d’âpres négociations de plus de soixante-douze heures pour obtenir des «mesures dérogatoires permettant de réguler». «Les chasses de loisir sont interdites pendant la période de confinement, insiste le ministère de la Transition écologique contacté par Libération. En revanche, sous l’autorité et sous le contrôle des préfets de département, des opérations de régulation de la faune sauvage susceptible d’occasionner des dégâts aux cultures et aux forêts pourront être organisées.»

Autrement dit, à l’issue de consultations avec les autorités préfectorales dans le cadre des Commissions départementales de la chasse et de la faune sauvages (CDCFS), seront déterminées dans les jours qui viennent et département par département les espèces pouvant être «prélevées» (et en quel nombre) par tir à l’affût ou lors de battues administratives. Et ce au-delà du rayon d’un kilomètre autorisé. Le ministère indique par ailleurs que sont uniquement  concernés les sangliers et les grands cervidés (chevreuils, cerfs), afin de stopper la «prolifération» de ce grand gibier, mais aussi la vingtaine d’«espèces susceptibles d’occasionner des dégâts» (les anciens animaux dits «nuisibles») comme les lapins de garenne, les étourneaux sansonnets ou les pigeons ramiers. Le tout, dans le respect des gestes barrières, bien entendu. «Je ne veux pas qu’on dise que les chasseurs dérogent à quoi que ce soit et continuent de pratiquer la chasse, ce n’est pas ce qu’on a demandé. Mais si on n’y va pas, comment on va faire ?» a d’ailleurs argué le patron des chasseurs Willy Schraen dimanche, justifiant la nécessité d’éliminer 500 000 sangliers avant la fin de l’année.

Floraison de dérogations

Ces exceptions font sans surprise bondir les associations de protection de la nature. «A peine l’idée d’un confinement est engagée, que les chasseurs sont dans l’antichambre du ministère pour déroger aux restrictions. Il ne faudrait pas que ce soit l’occasion de sortir les fusils pour épanouir son besoin de tirer, fustige par exemple le président de la Ligue de protection des oiseaux (LPO), Allain Bougrain-Dubourg. On se réserve le droit d’attaquer les arrêtés en référé s’il n’y a pas la démonstration très claire des dégâts occasionnés.»

C’est que les défenseurs de la nature ont aussi le souvenir de la floraison de dérogations préfectorales (pour tirer les corvidés dans le Jura ou le sanglier dans une multitude de départements comme les Landes ou le Bas-Rhin) et ce, malgré l’interdiction générale de chasser lors du premier confinement. Ils regrettent aussi une forme de deux poids, deux mesures. «Autoriser la chasse malgré les restrictions sanitaires et alors que c’est un loisir, c’est inacceptable, déplore pour sa part Richard Holding, de l’Association pour la protection des animaux sauvages (Aspas). Même les missions scientifiques des naturalistes sont mises entre parenthèses.» Autorisés, les chasseurs, eux, n’ont plus qu’à cocher la huitième case de leur attestation Covid pour pouvoir tirer.