Au Canada, de nouveaux incendies d’églises catholiques sur
des terres autochtones
Le Monde, 27 juin 2021
Deux nouvelles églises ont été incendiées, samedi 26 juin, sur des territoires autochtones de l’ouest du Canada, portant à quatre le nombre d’églises brûlées depuis la découverte d’un millier de tombes anonymes près d’anciens pensionnats autochtones gérés par l’Eglise catholique en Colombie-Britannique.
Samedi à l’aube, l’église St. Ann et l’église Chopaka, toutes deux situées sur des bandes de territoires autochtones en Colombie-Britannique, ont été incendiées à moins d’une heure d’intervalle, a fait savoir la police fédérale. « Les deux églises ont été détruites », a précisé le sergent Jason Bayda de la police montée canadienne dans un communiqué.
Ces incendies se sont déclarés deux jours après l’annonce de la découverte de plus de 750 tombes anonymes sur le site d’un ancien pensionnat géré par l’Eglise catholique à Marieval. Le mois dernier, l’identification des restes de 215 enfants près d’un autre établissement du même type avait déjà meurtri et indigné le pays, illustrant le calvaire subi pendant des décennies par des enfants autochtones dans des établissements scolaires gérés par l’Eglise catholique.
Les autorités considèrent que les incendies de samedi sont « suspects et cherchent à vérifier s’ils ont un lien avec les incendies d’églises survenus le 21 juin à Penticton et Oliver », a précisé le sergent Bayda. Les enquêtes sur les incendies survenus le 21 juin sont toujours en cours.
La découverte des tombes a ravivé le traumatisme vécu par quelque 150 000 enfants amérindiens, métis et inuits, coupés de leurs familles, de leur langue et de leur culture et enrôlés de force jusque dans les années 1990 dans 139 de ces pensionnats à travers le pays. Nombre d’entre eux ont été soumis à des mauvais traitements ou à des abus sexuels, et plus de 4 000 y ont trouvé la mort, selon une commission d’enquête qui avait conclu à un véritable « génocide culturel » de la part du Canada.
Vendredi, le premier ministre canadien, Justin Trudeau, a présenté les excuses de son pays, appelé le pape à en faire de même et n’a pas écarté l’hypothèse une enquête pénale. Lors d’un point de presse, il est longuement revenu sur les « terribles erreurs » du Canada, qui a mené pendant plusieurs siècles une politique controversée d’assimilation forcée des premières nations.
Courrier International (Le Devoir), 26 juin 2021
La Première Nation de Cowessess, dans le sud de la Saskatchewan, a annoncé jeudi 24 juin qu’elle a découvert 751 sépultures non identifiées sur le site de l’ancien pensionnat autochtone de Marieval, autrefois géré par des missionnaires oblats de l’Église catholique.
“On a toujours su qu’il y avait des tombes ici”, a indiqué le chef de la communauté, Cadmus Delorme, lors d’une conférence de presse suivie par des journalistes de partout sur la planète. “Ouvrez votre esprit : ce pays a besoin de connaître la vérité et d’entamer un processus de réconciliation. Il y aura d’autres histoires [comme celle-ci]. Voici le moment de vérité de Cowessess”, a-t-il ajouté.
Le précédent de Kamloops
La découverte est annoncée près d’un mois après celle de la Première Nation Tk’emlúps te Secwépemc, en Colombie-Britannique. La communauté a créé une onde de choc mondiale en annonçant le 27 mai que des recherches par géoradar avaient permis de trouver les restes de 215 enfants près de l’ancien pensionnat de Kamloops.
Le même type de technologie — un radar à pénétration de sol — a permis de découvrir 751 tombes près de l’ancien pensionnat de Cowessess, connu sous le nom de Marieval. Le chef Cadmus Delorme a expliqué qu’il était possible que chacune des fosses contienne plus d’un corps. En revanche, “la machine a une marge d’erreur de 10 à 15 %”, a-t-il ajouté, indiquant qu’il y a donc au moins 600 personnes enterrées dans ce cimetière. “Il ne s’agit pas d’une fosse commune”, a-t-il précisé, en déroulant des images saisies par un drone.
Sur un espace gazonné de 44 000 mètres carrés, les équipes de recherche ont installé des banderoles pour identifier les sépultures. Il s’agit de la phase 1 des recherches, réalisées grâce à une subvention de l’École polytechnique de la Saskatchewan.
Les horreurs du génocide
“Le monde nous regarde pendant que nous dévoilons les horreurs du génocide”, a déclaré Bobby Cameron, le chef de la Fédération des nations autochtones souveraines, qui représente les 74 Premières Nations de la Saskatchewan.
“C’est un crime contre l’humanité. Ce fut une attaque contre les peuples des Premières Nations. Nous sommes des gens fiers. Le seul crime que nous avons commis, en tant qu’enfants, est d’être nés Autochtones”, a-t-il ajouté.
À son avis, les pensionnats n’étaient rien d’autre que des “camps de concentration”. Et d’affirmer devant les journalistes : « On saura du Canada qu’il est un pays qui a tenté d’exterminer ses Premiers Peuples. Maintenant, nous en avons la preuve. La preuve de ce que les survivants racontent depuis des années.”
Pas tous des enfants
Le chef Delorme s’est dit incapable de confirmer, à ce stade-ci, que toutes les personnes enterrées étaient des enfants. Les récits des aînés ont fait état d’adultes enterrés dans le cimetière, a-t-il souligné.
Il était courant que les religieux et leurs familles soient inhumés au même endroit que les élèves autochtones qui fréquentaient les pensionnats. La pratique a été documentée par la Commission de vérité et réconciliation (CVR), et certains cimetières où reposent des enfants autochtones et des membres du personnel enseignant existent toujours, notamment en Colombie-Britannique.
Le pensionnat de Marieval a été construit en 1899 par des missionnaires de l’Église catholique. Le gouvernement fédéral a financé le pensionnat à compter de 1901 et il l’a administré dès 1969. L’établissement a été fermé en 1997, après avoir été sous la responsabilité de la Première Nation de Cowessess pendant dix ans.
De zélés missionnaires
À Cowessess, un cimetière aurait été créé en 1898, dès l’arrivée des oblats, selon le récit fait par Cadmus Delorme. “Dans les années 1960, les sépultures étaient probablement identifiées”, a-t-il ajouté. “Des représentants de l’Église catholique ont ensuite enlevé les pierres tombales et, aujourd’hui, ce sont des sépultures non identifiées.”
Le fait de retirer des pierres tombales est un geste “criminel”, a-t-il dit, en formulant une conclusion que l’Assemblée des Premières nations Québec-Labrador (APNQL) a immédiatement appuyée. “Nous considérons donc qu’il s’agit d’une scène de crime”, a-t-il dit. Il s’est engagé à poursuivre les recherches. “Et un jour, il y aura un monument commémoratif et des noms sur les tombes”, a-t-il promis.
Le chef Delorme s’est par ailleurs dit “convaincu” que l’Église catholique fournira les documents d’archives nécessaires à la quête de sa communauté. “Ils n’ont pas dit non”, a-t-il déclaré. L’APNQL a aussi réclamé ces dossiers, “afin de permettre à tous de guérir une fois pour toutes”.
Une enquête publique réclamée
À ce jour, les oblats n’ont toujours pas donné accès au Codex historicus, qui détaillait les activités des missionnaires, ni aux photographies ou aux listes d’informations détaillées sur le personnel des pensionnats.
Les oblats se sont excusés en 1991 pour leur rôle dans le système des pensionnats autochtones, ce que l’Église catholique n’a toujours pas fait, malgré les appels du premier ministre Justin Trudeau en ce sens.
“Le pape doit s’excuser pour ce qui est arrivé aux enfants de Marieval”, a répondu le chef Delorme à une question d’un journaliste espagnol. Et d’ajouter : « Les excuses sont une étape du processus de guérison.”
Dans un message de solidarité avec Cowessess, la Première Nation Tk’emlúps te Secwépemc a rappelé qu’elle avait formulé la même demande au Vatican. “Nous savons trop bien ce que la communauté de Cowessess traverse”, ont aussi écrit ses représentants.
Après lui, le chef Bobby Cameron a réclamé “une enquête publique sur ce génocide”. “Nous devons trouver les raisons des décès et les noms des enfants. Notre peuple a droit à plus que des excuses et de la sympathie — bien qu’on en soit reconnaissants. Notre peuple a droit à la justice”, a-t-il affirmé.
Dans ses recherches, la CVR s’est heurtée à plusieurs difficultés pour identifier les enfants morts dans les pensionnats. “Nous ne connaîtrons sans doute jamais le nombre d’élèves qui ont trouvé la mort dans les pensionnats”, ont écrit ses commissaires dans le rapport qu’ils ont publié en 2015.
Entre 1936 et 1944, le ministère des Affaires indiennes a détruit 200 000 dossiers. Les dossiers médicaux des pensionnaires sont également éliminés sur une base régulière. Quant aux registres sur les décès dans les pensionnats, ils sont partiels : les noms de 36 % des enfants morts n’ont jamais été documentés, le sexe de 23 % des écoliers décédés est inconnu, le lieu de décès de 43 % de ces jeunes n’apparaît pas dans les registres, selon les travaux de la CVR.
Les recherches du Centre national pour la vérité et la réconciliation, qui a été mis sur pied dans la foulée de la CVR, avaient jusqu’ici permis de recenser huit élèves morts dans ce pensionnat entre 1932 et 1973 — bien que les dates de certains décès n’aient jamais été retrouvées. Selon ce que le chef Cadmus Delorme a déclaré jeudi, des enfants du sud-est et du centre de la Saskatchewan, de même que du sud-ouest du Manitoba, auraient fréquenté le pensionnat de Marieval.