Sri Lanka : Les manifestants qui occupent le palais entendent rester jusqu’au départ du président
AFP/RTS, 10 juillet 2022 (extraits)
Les manifestants qui ont chassé le président du Sri Lanka de son palais ont bien l’intention de continuer à occuper le bâtiment jusqu’à ce qu’il démissionne la semaine prochaine, comme il l’a promis. Ils étaient des centaines de milliers samedi rassemblés dans le quartier des résidences officielles pour montrer leur colère face à la crise économique sans précédent que connaît le pays et dont ils jugent le président Gotabaya Rajapaksa en partie responsable.
Et parmi eux plusieurs centaines ont réussi à pénétrer dans le palais présidentiel, escaladant les grilles tandis que les gardes s’efforçaient de les retenir juste assez longtemps pour pouvoir emmener le président. « Notre lutte n’est pas finie », expliquait dimanche Lahiru Weerasekara, un des étudiants à la tête du mouvement. « Nous n’abandonnerons pas tant qu’il ne sera pas vraiment parti », a-t-il déclaré aux journalistes. M. Rajapaksa, 73 ans, s’est enfui samedi par une porte à l’arrière du palais, sous protection militaire. Quelques minutes plus tard, des foules de manifestants ont franchi les grilles, bravant les forces de l’ordre munies de balles réelles, gaz lacrymogènes et canons à eau. Le président, réfugié à bord d’un navire militaire et en route pour une base militaire du nord-est de l’île, a en effet annoncé, à l’issue d’une journée marquée par d’autres coups de force des manifestants, qu’il était prêt à démissionner… mercredi prochain.
Les événements de samedi sont le point culminant des manifestations incessantes et parfois violentes de ces derniers mois face aux pénuries d’alimentation, de médicaments et d’énergie que connaît le pays, et dont les habitants rendent en grande partie responsables l’incompétence et la corruption du clan Rajapaksa, des frères qui se partageaient le pouvoir depuis plus de quinze ans. Dans ce pays autrefois à revenu intermédiaire, les trois quarts de la population en sont maintenant à réduire leur alimentation, selon les Nations unies qui ont prévenu dimanche d’un risque de grave crise humanitaire.
Samedi, les forces de l’ordre ont tenté de disperser l’immense foule rassemblée dans le quartier administratif de la capitale. Selon les autorités, quelque 20’000 soldats et policiers avaient été dépêchés à Colombo pour protéger le président. Au moins 39 personnes, dont deux policiers, ont été blessées et hospitalisées lors des manifestations, ont indiqué à Reuters des sources hospitalières.
Vendredi, les forces de l’ordre avaient imposé un couvre-feu pour tenter de décourager les protestataires de descendre dans la rue. Mais cette mesure a été levée après des menaces de poursuites contre le chef de la police formulées par des partis d’opposition, des militants des droits humains et le barreau du pays [et surtout le couvre-feu commençait a n’être pas respecté en masse].
En mai, neuf personnes avaient été tuées. Plusieurs centaines avaient été blessées lors de troubles dans le pays.
Pique-niques et fauteuil présidentiel
Mais dimanche, pour les manifestants, l’humeur était à la joie. Joie de la victoire, puisque le président a promis qu’il quitterait son poste. Mais aussi joie plus immédiate de profiter du luxe habituellement réservé aux dirigeants de l’Etat. Car ils occupent non seulement le palais présidentiel mais aussi celui du Premier ministre, et les bureaux de ces deux dirigeants. Et dimanche matin on pouvait voir la foule déambuler tranquillement dans tous ces bâtiments, profitant des fauteuils moelleux ou faisant la queue pour s’asseoir, à tour de rôle, dans le fauteuil présidentiel, admirant les œuvres d’art, essayant le piano à queue ou s’émerveillant de l’air conditionné.
A l’extérieur, certains avaient dès samedi profité de la piscine, et dimanche dans le parc de cette ancienne résidence du gouverneur de Ceylan à l’époque de la colonisation britannique, comme dans celui de la résidence du Premier ministre, des familles pique-niquaient un peu partout, et des cuisines provisoires avaient même surgi çà et là.
La situation politique, elle, restait dimanche incertaine. Le pays, qui a fait défaut sur le paiement sur sa dette en avril, est actuellement en négociation avec le FMI, qui a dit dimanche espérer « un règlement rapide » de la situation pour permettre « la reprise de notre dialogue ».
Sri Lanka : président en fuite, maison du Premier ministre incendié… ce qu’il faut savoir pour comprendre la grave crise que connaît le pays
La Dépêche, 11 juillet 2022
Le Président qui fuit son palais, la maison du Premier ministre incendiée… Que se passe-t-il au Sri Lanka ? La Dépêche revient en cinq points sur les manifestations populaires qui durent depuis des mois, poussant le président à la démission.
Une crise économique depuis plusieurs mois
Pénuries généralisées, inflation, dette colossale… Les Sri Lankais accusent le président Gotabaya Rajapaksa et son entourage d’être responsable de la pire crise économique que connaît le pays depuis son indépendance en 1948.
D’après Franceinfo, de nombreuses pénuries se sont généralisées. Manque de carburant, des pannes d’électricité quotidiennes, chute du tourisme due à la crise sanitaire mondiale… Selon la Banque centrale, les prix à la consommation ont augmenté de 54,6% sur un an en juin. L’île de 22 millions d’habitants se retrouve dans l’incapacité de payer sa dette extérieure de 51 milliards de dollars depuis avril, et négocie actuellement un plan de sauvetage avec le Fonds monétaire international (FMI). Face à ces difficultés, 86% des familles mangent moins ou sautent des repas entiers, selon le Programme alimentaire mondial.
Déjà en mai 2022, Olivier Guillard, chercheur et spécialiste de l’Asie à l’Université du Québec à Montréal, alertait sur la situation dans un entretien sur Franceinfo: « Les Sri-Lankais n’ont plus ni accès aux médicaments ni accès aux produits de base, ni ne peuvent se payer de l’électricité ou de l’essence, qui a totalement disparu depuis plusieurs semaines. »
La dynastie Rajapaksa et les pleins pouvoirs
La puissante famille Rajapaksa domine la vie politique sri lankaise depuis des décennies. C’est en novembre 2019 qu’elle revient à la présidence avec Gotabaya Rajapaksa, fils d’un ancien ministre dans les années 60.
Au moment de son élection en 2019, Gotabaya Rajapaksa fait nommer son frère, Mahinda Rajapaksa Premier ministre, ainsi que ministre des Finances, de l’Urbanisme et des Affaires bouddhistes, d’après France 24.
Mahinda Rajapaksa, avait lui-même été président entre 2005 et 2015. D’après Le Monde, sous sa mandature, le Sri Lanka avait déjà contracté d’importants emprunts auprès de la Chine pour des investissements contestés, contribuant à l’endettement du pays.
La dynastie Rajapaksa occupe tous les postes-clés du pouvoir. En 2019, le frère aîné du président, Chamal Rajapaksa, est nommé ministre de l’Irrigation, de la Sécurité, de l’Intérieur et de la Gestion des catastrophes. Son fils Sashindra reçoit un poste de secrétaire d’État à l’Agriculture. Quant au fils du Premier ministre, il hérite du portefeuille de la Jeunesse et des Sports. Cette concentration des pouvoirs, ainsi que la mauvaise gestion politique, fait rugir l’opposition et l’opinion publique.
Émeutes sanglantes en mai 2022
Cela faisait déjà plusieurs mois que la grogne populaire couvait. Outre la mauvaise gestion de la crise du Covid, le pays a été touché par une vague de huit attentats terroristes simultanés en avril 2019, causant la mort de 258 personnes. C’est dans ce contexte de ras-le-bol et d’usure populaire que, le 9 avril dernier, des dizaines de milliers de personnes manifestent pacifiquement dans le pays, réclamant la démission du président.
Mais ce dernier ne démissionne, et c’est finalement son frère, le Premier ministre Mahinda Rajapaksa, qui cède sa place le 9 mai. Des violents affrontements éclatent alors entre ses partisans et des manifestants antigouvernementaux. Le bilan est de 5 morts et de 139 blessés.
Démission du président mercredi 13 juillet
À la suite de la démission du frère du président, un proche du clan Rajapaksa, Ranil Wickremesingh, est nommé Premier ministre le 12 mai. Ayant déjà occupé ce poste à cinq reprises depuis 1993, le nouveau chef de gouvernement est d’ores et déjà contesté par le peuple sri lankais, notamment car il occupait le poste de Premier ministre au moment des attentats de 2019.
La précarité économique et sociale empirant, c’est finalement ce samedi 9 juillet qu’une manifestation décisive éclate. D’après Reuters, plusieurs centaines de manifestants ont envahi le palais présidentiel situé à Colombo, la capitale économique du Sri Lanka, ainsi que l’enceinte du ministère des Finances et les bureaux présidentiels. Le président du Sri Lanka, Gotabaya Rajapaksa, a fui son palais quelques minutes avant qu’il ne soit pris d’assaut.
Certains manifestants ont diffusé en direct sur les réseaux sociaux des vidéos montrant une foule déambulant à l’intérieur du palais, certains piquants même une tête dans la piscine présidentielle ou s’allongeant d’un air amusé dans les chambres à coucher de la résidence.
La résidence privée du Premier ministre a elle aussi été envahie en son absence, et des manifestants « y ont mis le feu » selon les services du chef du gouvernement.
La fin d’une dynastie ?
« Pour assurer une transition pacifique, le président a dit qu’il allait démissionner le 13 juillet », a déclaré Mahinda Abeywardana à la télévision. Le Premier ministre a également remis sa démission, mais quid de la succession ?
D’après Le Monde, les manifestants restent sur leur garde, tant que la démission des deux hommes politiques n’a pas été actée. Les manifestations dans la capitale pourraient durer tant qu’un nouveau gouvernement n’est pas mis en place.
En cas de démission des deux principales figures politiques du pays, c’est le président du Parlement qui doit exercer la présidence par intérim pendant 30 jours. Durant cette période, les députés devront désigner un nouveau président au sein de l’Assemblée pour assurer la fin du mandat de Gotabaya Rajapaksa, jusqu’en 2024.