Royaume-Uni/Etats-Unis : les migrants, nouveaux cobayes de la prison électronique hors des murs

La surveillance électronique des migrants en forte hausse
La Presse (Canada), 3 juin 2022 (extraits)

Le nombre de migrants soumis en société à une forme de surveillance électronique tandis que leur dossier chemine devant les tribunaux est en forte hausse aux États-Unis, où une application téléphonique controversée utilisant la reconnaissance faciale s’impose comme l’outil de prédilection des autorités.

Les plus récentes données du service américain de l’Immigration et des Douanes (ICE) indiquent que plus de 200 000 personnes étaient inscrites en avril dans un programme d’« alternatives à la détention » prévoyant une telle surveillance, soit au moins deux fois plus qu’en décembre 2020. Environ 150 000 d’entre elles dépendaient de l’application SmartLink, comparativement à 5000 quelques années plus tôt.

Développée par une firme du Colorado, B.I. Incorporated, elle permet à la personne inscrite de rapporter régulièrement à distance sa présence aux autorités en prenant une photo qui est comparée à celle archivée au moment de son inscription. L’application relaie du même coup les données de géolocalisation de l’appareil pour confirmer où se trouve le participant.

Layla Razavi, qui dirige Freedom for Immigrants, note que l’administration du président Joe Biden veut développer le programme pour faire passer le nombre de personnes inscrites à 400 000 d’ici la fin de l’année et idéalement réduire le nombre de migrants détenus. « Je pense que c’est plus facile pour eux de vendre cette approche parce que le public a plus de mal à se faire une idée claire des problèmes découlant du recours à la surveillance électronique que de la détention », dit-elle.

Le bracelet électronique, qui a été très largement utilisé par ICE avant que l’application SmartLink ne gagne en popularité, a de lourdes conséquences pour les migrants ciblés, note Mme Razavi. Une étude menée par son organisation indique que près de 90 % des personnes soumises à cette technologie ont développé des troubles de santé mentale. Mme Razavi note que ces chiffres reflètent en partie la stigmatisation sociale découlant du port du bracelet. Nombre de personnes concluent à tort que la personne le portant est un dangereux criminel et cherchent à l’éviter.

Le recours à SmartLink est moins stigmatisant a priori, mais il ne comporte pas moins de problèmes importants, prévient Julie Mao, qui dirige Just Futures Law, une organisation de défense juridique des migrants. « Ça ne représente pas une solution de rechange à la détention, mais bien une extension du système de détention », explique-t-elle. Les migrants utilisant l’application, note Mme Mao, doivent composer avec l’idée qu’ils peuvent être suivis en continu par les autorités fédérales et le vivent difficilement.

Dans un communiqué transmis à La Presse, B.I. Incorporated maintient que ses produits respectent toutes les exigences fédérales de protection de la vie privée et ne sont pas utilisés pour « suivre les individus ou recueillir des données » non liées aux exigences d’ICE.  B.I. Incorporated affirme qu’en moyenne, 90 % des rendez-vous de suivi avec des agents d’ICE qui sont requis des participants au programme ont été faits avec succès.

Encore marginal au Canada

Les organisations canadiennes de défense des migrants consultées par La Presse voient d’un mauvais œil le développement de pratiques de surveillance électronique dans ce domaine.

La directrice générale du Conseil pour les réfugiés, Janet Dench, relève que l’imposition d’un bracelet électronique ou d’une application comme SmartLink est « extrêmement intrusive » et prive « inutilement » la personne visée d’une partie de sa liberté sans garantir qu’elle va se présenter devant les tribunaux au moment requis.

L’Agence des services frontaliers du Canada a lancé en 2018 un projet pilote dans la région de Toronto prévoyant l’utilisation de bracelets électroniques pour favoriser des solutions de rechange à la détention et a « temporairement » élargi l’application de la technologie au Québec pendant la pandémie. Il n’a pas été possible d’obtenir jeudi de chiffres de l’agence sur le nombre de migrants ayant pu être touchés.


Londres va équiper les migrants de bracelets électroniques
Info Migrants, 23 juin 2022 (extrait)

Depuis cette semaine, au Royaume-Uni, certains migrants doivent porter des bracelets électroniques, à l’image de prisonniers de droit commun. Cette mesure, faisant partie d’un projet-pilote d’une durée d’un an, peut être appliquée aux migrants visés par des procédures d’expulsion du pays et, plus largement, aux demandeurs d’asile qui arrivent à bord de petits bateaux à travers la Manche ou via des « routes dangereuses et inutiles », selon le gouvernement.

Les appareils, équipés de GPS, doivent permettre de garder « un contact permanent » avec ceux qui les portent dans le but de « suivre plus efficacement l’avancée de leur demande d’asile« , dit-on du côté du Home Office, l’équivalent du ministère de l’Intérieur. Ils doivent permettre aussi, voire surtout, de garder un œil sur leurs allées et venues pour éviter qu’ils ne disparaissent de la circulation.

Les porteurs de bracelets devront pointer régulièrement dans un commissariat ou un centre dédié à l’immigration. Selon les autorités, un couvre-feu et une mise en détention ou des poursuites pourront être décrétés à l’encontre d’un migrant qui ne se plierait pas à ces règles.

La mise en place de cette mesure s’appuie sur un document publié par les autorités en janvier 2022, qui prévoyait l’utilisation de bracelets électroniques pour des individus présentant “un risque élevé de nuisance envers la population sur la base de faits de criminalité et/ou de cas relatifs à la sécurité nationale« . Si ce document évoquait la possibilité d’en équiper certains migrants, il ne mentionnait pas les demandeurs d’asile n’ayant commis aucun crime comme cibles potentielles de cette mesure, relève le journal The Guardian.

Les mesures, toujours plus strictes, brandies par le gouvernement conservateur n’ont pour l’heure pas d’effets dissuasifs sur les migrants souhaitant rejoindre le pays. Entre le 1er janvier et le 13 juin, 777 traversées et tentatives de traversées impliquant 20 132 candidats ont été recensées, a indiqué le ministère français de l’Intérieur. Cela représente une hausse de 68 % par rapport à la même période en 2021.