Coupures, rationnement, délestages : il y a de l’électricité dans l’air

Téléphone et internet en première ligne en cas de
coupures de courant en France
Le Figaro, 2 septembre 2022

Les opérateurs télécoms s’inquiètent pour la continuité de leurs services en cas de rupture d’alimentation. Les propos d’Agnès Pannier-Runacher, la ministre de la Transition énergétique, au sortir du Conseil de défense sur l’énergie vendredi, n’ont en rien rassuré les opérateurs télécoms. Quel sort leur sera réservé en cas de coupures de courant ? Seront-ils épargnés si des mesures de délestages étaient mises en place ? Le problème est simple : sans électricité, leurs équipements ne fonctionnent pas. Et sans les équipements des opérateurs, plus de téléphone fixe ou mobile, ni de connexion à internet.

«Les télécoms seront épargnés. Les mâts ont des batteries à autonomie limitée, on ne peut pas se permettre qu’un relais téléphonique soit éteint, en cas d’urgence», affirme une source gouvernementale. La France compte plus de 53.000 « points hauts » dédiés à la téléphonie mobile, avec des particularités géographiques. Ceux qui sont implantés dans des villes – c’est-à-dire la très grande majorité – sont généralement installés sur des toits d’immeubles. Ces sites sont généralement équipés d’onduleurs qui garantissent une tension électrique constante et sont dotés de petites batteries. Leur autonomie varie de quelques minutes à une ou deux heures, selon leur taille. Tout dépendra donc de la durée des coupures d’alimentation, si coupure il y a. En outre, tous les sites ne disposent pas de batteries.


Seuls les pylônes situés dans des zones isolées disposent des groupes électrogènes ; mais ils sont l’exception qui confirme la règle. Pourquoi ne pas étendre cette solution ? Elle est évidemment trop coûteuse et trop dangereuse, sans même parler de la pollution générée par un groupe électrogène, alimenté par un moteur diesel. «De même, il est impossible de déployer des batteries au pied de toutes les 70 000 antennes pour des raisons de coût en général, et de poids quand elles sont posées sur des toits d’immeubles», prévient Liza Bellulo, secrétaire générale de Bouygues Telecom et présidente de la FFTélecom (Fédération française des télécoms).

Les conséquences de l’extinction des antennes pourraient aussi être délicates sur le plan technique. « C’est un équipement assez sensible qui est fait pour être alimenté 24 heures sur 24. Après une coupure brutale et deux heures sans électricité, les antennes risquent de ne pas redémarrer correctement », explique la présidente de la FFT. Une réunion entre les opérateurs, Enedis et RTE (Réseau de transport d’électricité) est prévue la semaine prochaine pour essayer de trouver une solution technique et éviter un scénario catastrophe.

Il faudrait donc qu’en cas de coupure, les installations des opérateurs télécoms soient épargnées. «À ce jour, il n’y a pas de solution technique pour isoler les pylônes des opérateurs», reconnaît un proche du dossier. Ce qui signifie que si jamais une zone était coupée, tous les équipements présents sur cette zone seraient concernés. Toutefois, Enedis précise que «des installations d’opérateurs télécoms peuvent être définies par les préfectures comme étant à exclure des procédures». Mais cela implique des délais de prévenance et des concertations.

Les équipements situés dans les centres de stockage de données (serveurs, routeurs, cœur de réseau…) sont eux, mieux protégés. Les data centers disposent de groupes électrogènes. Certains acteurs du secteur ont même commencé à s’équiper en cuves supplémentaires pour accroître leurs réserves de fuel. Au cas où… De plus, une grande partie des installations sont redondées, pour garantir la continuité du service, en cas de panne. Le réseau fixe devrait donc offrir une meilleure résilience aux coupures que le mobile, à un détail près. Cette fois, cela se joue chez les utilisateurs.

Pour disposer d’internet chez soi, il faut une box. En cas de coupure de courant, elle fera comme tous les autres appareils électriques de la maison : elle ne fonctionnera pas. Pour passer un coup de fil, il faudra donc se rabattre sur son portable, à condition que l’antenne relais la plus proche ne soit pas elle-même privée d’électricité. Au final, en cas de coupure de courant, seuls les foyers qui disposent encore d’un téléphone branché sur le vieux réseau commuté, avec une prise en T dans le mur, devraient encore pouvoir passer des appels. Mais cela concerne à peine plus de 10 % des abonnés, ce vieux réseau étant peu à peu débranché.


Quels sont les scénarios examinés lors du Conseil de défense énergétique ?
France Info, 2 septembre 2022 (extrait)

Signe de la gravité de la situation, ou en tout cas de la volonté de l’exécutif de la dramatiser : Emmanuel Macron applique le modèle du Conseil de défense à la crise énergétique, pour la toute première fois. Ce Conseil de défense, qui est amené à se réunir régulièrement et pourrait être suivi de points presse, est le point d’orgue d’une séquence commencée avec la petite phrase d’Emmanuel Macron sur « la fin de l’abondance ».

La France a normalement de quoi faire face à un hiver classique, mais la situation pourrait se compliquer en cas de pics de grand froid. Le mot d’ordre est donc de se préparer à tous les cas de figure, pour éviter le black-out, et ajuster en conséquence les décisions politiques.

Premier stade : ces appels répétés à la sobriété pour que chacun fasse un peu plus attention à bien couper le wifi et baisser le chauffage. Deuxième étape : au cas par cas, des coupures d’électricité pour les entreprises qui consomment le plus. Troisième type de décision : une baisse de tension généralisée à l’ensemble du réseau, avec des conséquences cette fois pour tout le monde. Wifi moins performant, lumière un peu plus faible et des téléphones portables qui mettraient un peu plus de temps à se récharger.

Enfin, dernier niveau : le rationnement. Formule utilisée par Elisabeth Borne, la Première ministre, devant le Medef. Pas de coupure de gaz pour les ménages, mais éventuellement des coupures d’électricité avec des quartiers plongés dans le noir pendant quelques heures.


Électricité : comment fonctionnent les «délestages tournants», possibles cet hiver ?

Le Figaro, 1er septembre 2022

Élisabeth Borne n’a pas exclu le scénario catastrophe de coupures de courant chez les particuliers, «si toutes les mauvaises hypothèses se conjuguent».

Si elle a exclu de possibles coupures de gaz chez les particuliers cet hiver, Élisabeth Borne n’a en revanche pas fermé la porte à des «délestages tournants» sur l’électricité quand les températures baisseront. «Ça peut arriver si toutes les mauvaises hypothèses se conjuguent, si la Russie coupe ses approvisionnements (de gaz), si jamais il y a des tensions sur le GNL (gaz naturel liquéfié) […], s’il y a un hiver très froid», a averti la première ministre sur le plateau de l’émission «Quotidien» sur TMC mardi.

Ces coupures sont décidées par RTE, le gestionnaire du réseau de transport d’électricité, pour garantir l’équilibre entre offre et demande d’électricité et ainsi éviter le «black-out». «Solution de dernier recours», souligne Patrice Geoffron, directeur du Centre de géopolitique de l’énergie et des matières premières (CGEMP) de l’Université Paris-Dauphine, elles sont encadrées par certaines règles.

Comme l’a indiqué Élisabeth Borne sur le plateau de TMC puis sur France Inter ce jeudi matin, les coupures sont limitées à deux heures par foyer. Déclenchées par le distributeur d’électricité, soit Enedis, elles ne peuvent survenir qu’entre 8h et 13h et entre 17h30 et 20h30. Des quartiers entiers peuvent être coupés à tour de rôle. «On est à chaque fois sur des blocs de 80.000 à 100.000 ménages», estime Julien Teddé, directeur général du courtier en énergie Opéra Énergie, ajoutant que les foyers concernés «sont prévenus la veille à 18h».

Certains bâtiments considérés comme satisfaisant «des besoins essentiels de la nation» ne sont pas concernés par ce dispositif de dernier recours. L’arrêté du 5 juillet 1990 en fait la liste. On y trouve les hôpitaux, cliniques et laboratoires, les installations de signalisation et d’éclairage de la voie publique «jugées indispensables à la sécurité», ainsi que les sites industriels stratégiques, en particulier ceux «qui intéressent la défense nationale». C’est à chaque préfet de faire la liste des usagers non délestables dans son département.

En plus de ces clients prioritaires, les préfets, indique l’arrêté, peuvent établir «des listes supplémentaires d’usagers qui, en raison de leur situation particulière, peuvent bénéficier, dans la limite des disponibilités, d’une certaine priorité par rapport aux autres usagers, notamment en cas d’urgence». On pense notamment aux malades à haut risque traités à domicile, par exemple sous respirateur artificiel. «Au préalable, on a identifié des consommateurs sensibles, a pointé Élisabeth Borne sur France Inter. On veut s’assurer qu’on ne va pas couper l’électricité chez quelqu’un qui a un appareil médical. Tout ça est recensé pour qu’il n’y ait pas des drames du fait de ces coupures.»

Le précédent du 4 novembre 2006

Toutefois, les malades à haut risque qui ne sont pas inscrits par le préfet sur la liste supplémentaire d’usagers prioritaires peuvent subir des coupures en cas de forte tension sur le réseau électrique, confirme Enedis. Mais, pour éviter les conséquences terribles que pourraient avoir de tels délestages, ceux-ci peuvent bénéficier d’un système d’information particulier. Il s’adresse aux patients à haut risque vital (PHRV), soit les patients sous respirateur ayant une autonomie inférieure ou égale à quatre heures par jour, ainsi que les enfants nourris par intraveineuse. «D’autres catégories de malades, comme les insuffisants rénaux en dialyse à domicile, peuvent être concernées», précise Enedis.

Si la France devait procéder à des délestages chez des particuliers cet hiver, ce serait une première depuis plus de quinze ans. La dernière fois, c’était le 4 novembre 2006, et les coupures volontaires avaient touché toute l’Europe de l’Ouest. Dans la soirée, pendant une heure, près de 5,7 millions de foyers français ont été coupés du réseau (et plusieurs autres millions d’Européens), à cause de la mise hors tension, volontaire, d’une ligne électrique de 400.000 volts en Allemagne, qui avait été avancée d’une heure.