Sur le dispositif de balances officielles nommé « participation citoyenne »

[Chaque semaine, des articles de la presse régionale relatent que telle ou telle commune a signé un protocole de « participation citoyenne » avec l’État, un dispositif créé par une circulaire du ministère de l’Intérieur en 2011 et relancé par une seconde en 2019. Ce dispositif public signé entre mairies, préfectures et gendarmerie/comico entend se substituer petit à petit à celui lancé au début des années 2000 par l’entreprise privée du marché de la sécurité, connue sous le nom de « Voisins vigilants ».
L’objectif institutionnel de « Participation citoyenne » est de désigner quartier par quartier dans chaque village et commune des « citoyens référents » bénévoles choisis par le maire, qui pourront signaler en permanence via un canal direct privilégié avec un officier de gendarmerie, toute situation qu’ils trouveraient « anormale » (critère officiellement retenu). Et qui pourront aussi créer leur propre cercle de balances anonymes au sein du voisinage (« L’adhésion des citoyens référents pourra être recherchée au sein des structures locales associatives ou informelles telles que les conseils et les associations de quartier » récite par exemple la circulaire ministérielle). Sûr que ça fait certainement mieux de les nommer « référents citoyens » plutôt que collabos ou délateurs… A ce jour, près de 6 000 municipalités ont adhéré à ce protocole d’une durée de trois ans renouvelable : trois exemples récents avec les villes de Champagnole (Jura), Locmiquélic (Morbihan) et Eppeville (Somme).]


Vous êtes invités à devenir « les yeux de la gendarmerie »
dans votre quartier

Le Progrès, 4 mars 2024

C’est un dispositif inédit pour la ville et pour ses habitants. La brigade de gendarmerie de Champagnole et la mairie cherchent des volontaires pour détecter et pour faire remonter aux forces de l’ordre tout acte de délinquance constaté ou suspecté. C’est ce qu’est venu expliquer le major Sébastien Bressand, qui dirige la communauté de brigades Champagnole-Nozeroy, au conseil municipal réuni jeudi 29 février, en mettant d’entrée les choses au clair. « L’objectif n’est clairement pas que les habitants fassent des patrouilles à notre place. Ils sont nos yeux sur le terrain. »

La vidéosurveillance, aussi développée soit-elle, ne peut pas tout voir. Le dispositif de participation citoyenne est perçu comme un outil supplémentaire pour lutter contre les actes de petite délinquance. Comme quoi ? Le maire Guy Saillard se charge des exemples concrets. « Le but n’est pas de dénoncer son voisin parce qu’il a tondu le samedi jusqu’à 18 h 30 au lieu de 18 heures. Mais moi ça m’est déjà arrivé de relever la plaque d’immatriculation d’un fourgon suspect dans mon quartier. C’est de ça qu’on parle. »

Pas question pour les futurs référents de jouer au cow-boy : en cas d’urgence ou de fait grave, l’appel au 17 reste de rigueur. Les volontaires seront sensibilisés aux réflexes à adopter s’ils sont témoins d’une situation anormale et leur moralité sera évidemment vérifiée.

La participation citoyenne est déjà mise en place à Mignovillard et à Nozeroy, mais elle sera bien plus utile à Champagnole, ville de 8 000 habitants où ont lieu les deux tiers des interventions des gendarmes. Concrètement, c’est au conseil municipal de trouver des volontaires d’une manière ou d’une autre, une réunion d’information étant envisagée. Les référents seront une dizaine dans l’idéal, et leur nom ne sera pas dévoilé publiquement.

« C’est vraiment quelque chose qui peut être utile mais pour que ça soit efficace, il faut que les habitants ne soient pas tous du même quartier, détaille le major Bressand, qui sera l’unique interlocuteur des futurs référents. Et ça ne doit pas être un fardeau. On ne demande pas aux gens de s’investir dans cette mission. On observe tous des choses dans nos déplacements quotidiens. »

La police municipale sera également pleinement intégrée au dispositif. Le protocole prévoyant la mise en place de ce dernier pour une durée de trois ans, avec présentation annuelle des résultats, a été adopté à l’unanimité par le conseil municipal. L’apposition d’une signalétique spécifique dans la ville est également prévue.


Dans le Morbihan, ton voisin is watching you
Libération, 26 février 2024
A Locmiquélic, comme dans 6 000 autres villes françaises, un «protocole de participation citoyenne» sollicite des volontaires pour signaler aux forces de l’ordre toute «situation anormale». Un dispositif fascisant pour les uns, civique pour les autres.

Deux petits ports situés à chaque bout du bourg, un marais qui abrite des dizaines d’espèces d’oiseaux migrateurs, des commerces de proximité, un Ehpad et, depuis quelques semaines, dix habitants nommés «référents» de la gendarmerie. Locmiquélic, situé dans la rade de Lorient, au niveau de l’embouchure des fleuves côtiers du Blavet, du Scorff et du Ter, a tout d’une commune paisible pour les 4 200 personnes qui y vivent. Ces référents doivent être les yeux et les oreilles de la gendarmerie dans le village.

Marc Chaty, 65 ans, est le premier d’entre eux. Il est lui-même ancien officier de gendarmerie. «C’est une commune agréable mais il existe de la délinquance, des cambriolages, des incivilités, des dégradations ou des tags», assure celui qui s’est marié avec une fille du coin dans les années 80 et habite la commune depuis bientôt sept ans. A l’occasion d’une réunion publique avec quelques dizaines d’habitants, organisée par les autorités sur les cambriolages, l’ex-gendarme, également élu au conseil municipal, évoque l’idée d’adhérer au dispositif. Un an plus tard, fin novembre 2023, Locmiquélic signe donc un «protocole de participation citoyenne». Une photo et un article parus dans le quotidien régional Ouest-France immortalisent l’instant. Le maire, Eric Paturel, le sous-préfet et un officier de gendarmerie prennent la pose. «L’idée est d’apporter une aide aux gendarmes qui sont débordés, ils croulent sous la paperasse», argumente Paturel, 60 ans.

Le document signé ce jour-là mentionne que le dispositif dans lequel s’engage la commune a pour objectifs de développer «une culture de la sécurité» chez les Locmiquélicains et de «renforcer le contact entre la gendarmerie nationale et les habitants». Les référents choisis par le maire sont invités à informer les forces de l’ordre quand ils sont «témoins d’une situation anormale».

Près de 70 communes du Morbihan ont signé ce même document, et environ 6 000 en France, selon la Direction générale de la gendarmerie. «On a un peu de trafic de drogue, comme partout. C’est de la petite délinquance, mais il ne faut pas que ça devienne de la grande délinquance, justifie le maire sans étiquette. On est dans un pays où on a toujours tout minimisé.»

Une vision de Locmiquélic critiquée par d’autres élus. Car la commune bretonne est effectivement loin d’être un haut lieu de la délinquance. «Ici, le gros problème est que les automobilistes roulent à 35 km/h au lieu de 30», illustre l’ancienne maire socialiste, Nathalie Le Magueresse, 63 ans, désormais élue de l’opposition et «choquée» par l’image de sa commune véhiculée par le dispositif. «Il n’y a pas d’agressions ici, je n’ai jamais vu une mamie se faire agresser», complète son colistier Patrice Jehanno, 50 ans, cuisinier dans le collège de Riantec, commune mitoyenne. Ce dernier estime que ce dispositif n’a «aucun intérêt» : «On est dans un village, on fait les choses naturellement quand on voit quelque chose qui ne va pas.»

Le lieutenant-colonel Sébastien Coirier, 49 ans, numéro 2 de la gendarmerie dans le Morbihan, l’admet : «Locmiquélic, c’est pas Chicago.» Mais, dit-il, «ce dispositif ne cherche pas à imposer quoi que ce soit, c’est du volontariat, et ce n’est pas parce qu’il n’y a pas d’infraction qu’il ne peut pas y en avoir». L’officier supérieur voit ces partenariats signés avec des communes du département comme un «facilitateur de lien avec la population». «Ce sont des personnes qui vont être sensibilisées aux questions de sécurité et vont se faire le relais auprès de la population, détaille-t-il. Il s’agit de responsabiliser le citoyen dans la coproduction de sécurité.»

A Locmiquélic la mise en place de ce «protocole de participation citoyenne» se fait surtout dans une totale opacité. La mairie a choisi dans le secret les habitants qui endossent le rôle de référent. Un mystère même pour les élus de l’opposition. Malgré plusieurs relances, la mairie refuse également de nous les présenter. «Les référents veulent rester discrets et mettre en place leur réseau», justifie, sans rire, le maire Eric Paturel. L’ancien gendarme Marc Chaty complète : «On n’a pas souhaité communiquer leurs noms mais ils peuvent se présenter dans leur quartier.» Ce brouillard qui entoure la mise en place du dispositif inquiète Patrice Jehanno : «Il ne faut pas que ces gens prennent une sorte de pouvoir, d’aller tout le temps vérifier ce qu’il se passe chez l’un, chez l’autre.»

Autre problème, quelle «situation anormale» pourrait amener un habitant à faire un signalement à la gendarmerie ? Les conventions signées par les communes se limitent à ce terme flou. «C’est la personne référente qui apprécie ce qui est anormal», rétorque Marc Chaty, sans donner plus de critères qui permettraient aux habitants de savoir ce qui pourrait intéresser les autorités. «On fait le tri, le cas le plus typique est le renseignement sur une personne qui semble faire un repérage», expose pour sa part le lieutenant-colonel Coirier.

«Mais qui a envie d’aller surveiller chez les autres ?» s’interroge Hélène Nio, 50 ans, secrétaire dans une école de la ville voisine de Languidic, élue au conseil municipal sur la liste de l’ancienne maire socialiste. «Ce n’est pas une mesure fascisante, c’est une mesure de bon sens, un esprit civique», défend Eric Paturel. «C’est encadré par l’Etat et on en reste là», abonde Marc Chaty, qui assure qu’il ne s’agit pas de favoriser la création d’une milice. «C’est pour faire plaisir aux gens qui trouvent que la ville n’est pas propre, que les jeunes sont des cons, qu’il y a de l’insécurité, mais c’est du fantasme, tacle Olivier Pedron, 73 ans, retraité et membre d’une liste municipale qu’il qualifie avec dérision de bobo-écolo-gaucho-doux rêveurs. Ça ne sert absolument à rien à part rassurer les gens dont l’activité principale est d’avoir peur.» Dans les prochains mois, l’ancien gendarme Marc Chaty souhaite recruter cinq référents supplémentaires. A ce jour, aucun signalement n’est arrivé aux oreilles de la gendarmerie.


On recherche des référents à Eppeville
Journal de Ham, 28 février 2024

C’est lors d’une réunion publique, le 19 février, que la gendarmerie de Ham ainsi que la municipalité d’Eppeville ont présenté aux citoyens le dispositif « Participation Citoyenne » qui sera très prochainement mis en place.

Ce dispositif permet aux citoyens d’une commune d’alerter les forces de l’ordre, en cas d’événement suspect dont ils seraient témoins. Chaque quartier se voit attribuer un référent, sur la base du volontariat. « Il ne s’agit pas pour les volontaires de faire justice eux-mêmes. Ils sont un relais entre les citoyens, la mairie et la gendarmerie » avertit le Major Laurent Gaudefroy.

Le Major rappelle également que chacun a un rôle à tenir : « Pour les mairies : mise en relation, supervision et mise en relation, pour la gendarmerie : analyse des informations, information de la population, recueil des informations, interventions ciblées. En ce qui concerne les référents : établir ou renforcer les contacts de voisinage, vigilance, attention et informations à la gendarmerie. Pour être clair, le référent n’a pas pour vocation d’abuser de son pouvoir pour harceler un voisin avec qui, il aurait des différends, par exemple, de tels comportements ne seront pas tolérés. »

Christophe Vassent, maire d’Eppeville, explique le choix de mise en place de ce dispositif : « Les habitants doivent réapprendre à communiquer entre eux. Aujourd’hui, avec les réseaux sociaux, on remarque que la communication disparaît entre les gens, la municipalité et la gendarmerie. »

Le Major insiste sur le fait qu’il y a une volonté d’être plus efficace. « En signalant des individus ou actions suspects… On pourra peut-être éviter certains cambriolages. Il ne faut pas oublier qu’aujourd’hui, les cambrioleurs ne se gênent pas pour faire leurs méfaits de jour comme de nuit. On veut aussi éviter les publications sur les réseaux sociaux lorsqu’un délit est commis ou soupçonné. Les délinquants sont sur ces réseaux, ils peuvent voir ces alertes. » Il continue en mettant en garde contre les comportements à risques : « Il en va de même pour les départs en vacances : Même s’il est possible de nous prévenir via le programme »tranquillité vacances« , il faut absolument éviter les publications sur les réseaux concernant son présent… »

La municipalité invite les personnes intéressées à devenir référent ou souhaitant des informations complémentaires, à se faire connaître en mairie.