Des capteurs utilisés pour la géothermie ont été dérobés,
puis incendiés
Le Quotidien jurassien/Le Temps (Suisse), 19 avril 2024
Les résidents d’un quartier au sud de Bassecourt ont connu un début de nuit agité mercredi 17 avril. Peu après 23 h, ils ont été dérangés par des bruits d’explosion. « Il y avait comme un incendie au milieu de la route! », raconte un habitant. Alors que ce feu a duré de longues minutes et dégagé une épaisse fumée, ce témoin a ensuite découvert que le feu avait touché un tas d’appareils électroniques.
« Ma première réaction a été de penser qu’on avait mis le feu à une boîte de feux d’artifice », confie l’homme qui a appelé la voirie communale le lendemain matin. Il s’agissait au contraire de plusieurs géophones utilisés en ce moment dans le cadre de la campagne de mesures géophysiques réalisée dans la vallée.
Depuis le 9 avril, des camions vibreurs parcourent la vallée de Delémont pour recueillir des mesures géophysiques dans le cadre du projet de géothermie profonde [de 4 à 5 kilomètres sous-terre pour produire de l’électricité] prévu sur la commune de Haute-Sorne, en vue d’un forage exploratoire qui débutera en mai. Ces camions provoquent des vibrations, et le sous-sol réfléchit de différentes manières ces ondes selon la nature et structure de la roche. Ce sont des capteurs plantés dans le sol, les géophones, disposés à intervalles réguliers, qui captent ensuite en surface les signaux renvoyés et enregistrent les données… et qui ont donc été dérobés puis incendiés.
Ce projet de géothermie profonde, contesté par une partie de la population, prévoit la construction d’une centrale géothermique. Il pourrait aboutir en cas de résultats positifs sur une production d’électricité qui permettrait d’alimenter plus de 6000 ménages. Le budget global est de l’ordre de grandeur de 100 millions de francs suisses.
Dix ans de lutte contre le fracking en Haute-Sorne
Renversé, 30 décembre 2023 (extrait)
Des nouvelles sur la situation actuelle du chantier de géothermie pétrothermale profonde et de la lutte contre le fracking au Jura, avec un résumé des principaux arguments de l’opposition.
L’été dernier avait lieu un camping pour protester contre la construction d’une centrale électrique à géothermie profonde à Glovelier au Jura. Le camping s’est terminé sur une action lors de laquelle une cinquantaine d’opposant·e·s au projet ont abbatu les clotures et planté un arbre sur le site concerné. Deux manifestations, importantes à l’échelle du canton, ont eu lieu cette année. Les travaux en vue de réaliser les premiers forages ont pourtant commencé en octobre. Que l’on ne s’y trompe pas ! Ce projet s’inscrit dans la lignée des grands projets inutiles, nocifs pour l’environnement et dangereux pour les habitant.e.s de la région.
Qu’est-ce que la géothermie profonde pétrothermale (GPP) ? L’entreprise Geo-Energie Suisse prévoit d’utiliser la méthode de la fracturation hydraulique (fracking) pour créer des espaces dans le sous-sol. De l’eau pourra alors être injectée via le puits foré, chauffée dans l’espace souterrain (où la température est élevée grâce à la chaleur venant du centre de la terre), puis remontée par un autre puits et utilisée pour produire de l’électricité.
Ce projet s’inscrit donc dans une logique plus « extractiviste » que la géothermie à laquelle on pense en premier, où l’eau chaude remonte jusqu’à la surface. La promesse d’une énergie « illimitée » est mise en avant, soi-disant parce qu’ainsi on pourrait extraire de l’énergie du sous-sol partout, même là où les roches profondes sont sèches. Ceci passerait par une transformation du milieu afin qu’il soit exploitable, en d’autres termes il s’agit de géo-ingénierie. La dénomination de renouvelable est d’ailleurs questionnable, car au bout d’une vingtaine d’années la roche sera trop refroidie pour pouvoir encore produire de l’électricité. Il faudra alors fracturer ailleurs et construire de nouvelles centrales.
En effet, pour arriver en 2050 à produire 7 % de l’électricité nationale grâce à la géothermie, comme le projette la confédération, il faudra construire au moins une centaine de centrales comme celle de Haute-Sorne. Et les habitant·e·s de la Haute Sorne sont très inquiet·e·s des dégâts potentiels sur les habitations, les outils de travail et les infrastructures. Ce projet – dit expérimental – prévoit de fracturer la roche à une profondeur de cinq kilomètres sous terre, selon des méthodes similaires au fracking utilisé pour l’extraction du pétrole et du gaz de schiste. Ce qui risque fort de déclencher des séismes, comme ça a été le cas lors de la plupart des expériences précédentes, notamment à Bâle en 2009 et à Pohang (Corée du Sud) en 2018, deux cas où Géo-Energie Suisse était impliqué. Pour mieux faire passer la pilule, les promoteur·ices parlent dans leurs documents de “stimulation hydraulique” plutôt que de fracking !
Les agriculteur·ices de la région s’inquiètent également. Les ressources en eau sont menacées par le projet. Lors de la fracturation initiale, la consommation en eau sera telle que les autorités sont en train de remodeler le réseau de distribution d’eau et de détourner des sources de leur usage actuel : un bon exemple d’accaparement de l’eau. De plus, les forages et la gestion des boues de forage ne sont pas sans risque de contamination dans cette région karstique où le sous-sol comporte de nombreuses fissures et des circulations d’eau souterraine complexes. Enfin, les puits seront étanchéifiés avec des joints de béton injecté, qui à long terme (après la fin de l’exploitation) vont vraisemblablement se dégrader sous l’effet du temps et des conditions extrêmes à ces profondeurs. Les composés chimiques toxiques naturellement présents dans certaines couches géologiques risquent ainsi de contaminer les aquifères dont dépendent l’agriculture et les écosystèmes de la région.
Et en Ile-de-France aussi…
La région Île-de-France mise sur la géothermie profonde
Le Figaro, 30 mars 2024 (extrait)
Sous les 30 tonnes du camion, une plaque vient se coller au sol. Le poids lourd se soulève, le sol se met à vibrer, 48 secondes. La plaque remonte, le camion redémarre dans la nuit d’une rue déserte de Meudon, dans les Hauts-de-Seine. Dix mètres plus loin, il s’arrête et refait trembler le sol.
De nombreux Franciliens les ont vus- ou entendus – passer ces dernières semaines : trois camions vibreurs sillonnent jusqu’à mi-avril le sud et l’ouest de l’Île-de-France, sur 280 kilomètres, dans le cadre de la campagne Geoscan. Lancé par la région, l’Ademe et le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), ce projet à 3,5 millions d’euros vise à identifier le potentiel du sous-sol francilien en matière de géothermie profonde. Une technique qui consiste à puiser l’eau chaude des profondeurs pour alimenter les réseaux de chaleur urbains, que ce soient les bâtiments collectifs, les industries ou même les piscines, avant de la renvoyer sous terre.
Si la géothermie dite « de surface », qui se joue à quelques mètres sous nos pieds, permet par exemple de chauffer les maisons individuelles, « au-delà de 200 mètres, on parle de géothermie profonde : plus le forage descend, plus la température augmente. On gagne environ 30 °C par kilomètre de profondeur », note sur place Norbert Bommensatt, référent national géothermie profonde à l’Ademe.
Les trois camions vibreurs de la société S³ génèrent des ondes acoustiques qui vont se propager dans le sous-sol et permettre de l’imager, jusqu’à 3 000 mètres de profondeur. « Nous sommes un peu les échographes de la Terre », explique Julien Wallendorff, chef de projet chez S³. La vitesse à laquelle l’onde se propage dépend de la roche, et, « dès qu’il y a un changement de vitesse, il y a un écho et une partie de l’onde remonte à la surface et est enregistrée par les capteurs, indiquant que l’on passe d’une couche à une autre », précise Alexandre Stopin, géophysicien au BRGM. Ces capteurs, de petits cubes orange et blanc, sont déployés tout le long du parcours des camions.
Ces derniers circulent de nuit pour éviter les embouteillages et les bruits de la ville qui viendraient parasiter le signal émis. Par mesure de sécurité, les vibrations varient et sont surveillées en permanence pour rester en dessous de seuils de sécurité ; elles sont par exemple moins fortes quand l’engin passe à proximité d’un bâtiment historique.
Les données récupérées sont ensuite corrélées à celles issues de forages ponctuels afin d’obtenir une vision encore plus précise de la succession des différentes couches. « On connaît les formations que l’on cherche, mais on a besoin de mieux les caractériser », précise l’hydrogéologue Camille Maurel, chef du projet Geoscan au BRGM. Mais que cherchent vraiment les experts ? « Des couches aquifères, un peu semblables à des éponges, où l’on va pouvoir venir puiser de l’eau chaude. La cible principale est l’aquifère du Dogger, située à environ 1 700 m de profondeur, qui date du Jurassique (environ 150 millions d’années) et recèle une eau à environ 80 °C. »
Cent six communes vont ainsi être sondées afin de savoir où des projets de géothermie profonde peuvent être développés. La région mise sur cette source d’énergie locale, renouvelable et disponible en continu comme axe majeur de sa transition énergétique, avec en vue l’objectif de neutralité carbone à horizon 2050. Les données acquises grâce aux camions vibreurs seront ajoutées à celles, plus anciennes, « issues majoritairement de l’exploration pétrolière dans les années 1970-1990 », selon le BRGM, qui espère obtenir une cartographie finale l’an prochain.
Le Bassin parisien possède plusieurs atouts favorables au développement de la géothermie profonde : c’est un bassin sédimentaire, avec un sous-sol doté de plusieurs couches aquifères superposées. Il est densément peuplé, ce qui permet d’amortir les coûts de construction d’une centrale, estimés entre 10 et 15 millions d’euros (sachant que le forage du puits prend en moyenne 90 jours non-stop). Et surtout, « il n’y a pas de problème de sismicité » dans la région, assure le BRGM. Ce point n’a rien d’anodin : un projet de géothermie profonde a dû être abandonné en Alsace en 2020 après une série de séismes plus ou moins intenses attribués aux activités de forage.
« À vrai dire, le seul risque ici est financier : celui de ne pas trouver un gisement aussi important qu’escompté », résume Fanny Branchu, du BRGM. Norbert Bommensatt rappelle toutefois que l’Ademe a mis en place un fonds de garantie qui indemnise 90 % du coût du forage en cas de ressource insuffisante.
Pour le particulier, le coût d’une telle énergie ne sera pas radicalement plus bas que celui du gaz, par exemple. Mais il ne fluctuera pas au gré des crises internationales. Pour les collectivités, implanter une centrale est donc onéreux, « mais une fois implantée, point de grosses cheminées qui fument : la géothermie est très discrète, à tel point que beaucoup de Franciliens ne savent même pas qu’ils sont déjà chauffés grâce à cette source d’énergie », explique le référent de l’Ademe. Pas de problème d’acceptabilité, donc.
Au niveau national, la France entend augmenter de 40 % le nombre de projets de géothermie profonde lancés d’ici à 2030. Plusieurs sont en réflexion, notamment dans le Bassin aquitain doté d’atouts similaires à ceux de l’Île-de-France.