[Reçu par mail, 28/05/24]
Solidarité avec l’insurrection kanak !
Après l’adoption par le Sénat français d’une loi électorale visant à pérenniser la colonisation de la Kanaky, l’archipel s’embrase. Le 13 mai, à l’appel des organisations indépendantistes, des rassem-blements sont improvisés partout sur le Caillou, des barrages sont installés sur les axes routiers et des grèves entamées dans les principaux secteurs économiques. Rapidement la situation tourne vers la révolte ouverte. Dans l’après-midi, une mutinerie éclate dans la prison principale de Camp-Est et à la tombée du soir, des insurgés kanaks multiplient les barricades, s’affrontent aux forces de l’ordre et mettent le feu à des dizaines de bâtiments officiels et commerciaux.
Le lendemain, l’État instaure le couvre-feu, mais rien ne semble freiner le raz-de-marée kanak. Gendarmerie et police sont débordés, les attaques incendiaires font tâche d’huile. A Nouméa, dans les quartiers des colons, des milices loyalistes installent des barrages. Souvent armés, les loyalistes se coordonnent entre quartiers et avec les forces de l’ordre pour contenir le feu insurrectionnel. Confronté à cet embrasement diffus qui dépasse largement les structures et les consignes des organisations indépendantistes, l’état d’urgence est déclaré. Renforts policiers et militaires sont acheminés en toute urgence vers l’archipel. L’armée sécurise les ports et les aéroports, de nombreuses personnes fichées sont assignées à résidence, des réseaux de communication numérique sont bloqués. Le jeune étudiant kanak Jybril (19 ans) est tué d’une balle dans le dos par des colons dans le quartier Tindu à Nouméa. Dans la zone industrielle de Ducos, Chrétien (36 ans) et sa cousine Stéphanie (17 ans) sont exécutés par un colon. Les insurgées font aussi état de nombreuses blessées plus ou moins graves, touchées par des gendarmes ou des miliciens loyalistes. Du côté de l’État, un gendarme est mort lorsque le véhicule de service est pris pour cible par des insurgés à Mont-Dore. Deux jours plus tard, un colon qui a tiré sur des insurgées près d’un barrage est tué par des tirs de défense.
Pendant que des centaines de barrages sont érigés à Nouméa et sur les axes routiers stratégiques ailleurs sur l’île et que des dizaines de bâtiments et d’usines sont pris pour cible par des incendiaires (banques, concessionnaires, institutions, supermarchés, usines et entreprises, le centre minier de Kouaou est attaqué par des insurgés kanak. Le convoyeur de la mine de nickel, un tapis roulant qui descend le minerai de la mine vers le quai de chargement en bord de mer, sur une longueur de 11 kilomètres, est incendié et détruit, les pompiers n’ayant pu intervenir pour limiter les dégâts. Ailleurs, des engins miniers sont incendiés. Mais c’est peut-être surtout l’usine de transformation du nickel, ce métal prisé dans les alliages à usage militaire et technologique, exploité par le géant minier français Eramet, qui risque de briser la filière d’extraction dont l’Etat français ne voudrait à aucun prix être privée. Les trois fours de cette usine pyrométallurgique doivent en effet être alimentés en minerai 24h/24 sous peine d’être irrémédiablement endommagés. Avec les mines à l’arrêt et tout transport de minerai empêché par les barrages des insurgés, la tension est à son comble parmi les industriels du nickel. C’est d’ailleurs l’autre volet de la nouvelle loi électorale : depuis le début de l’année, l’État français essaye de faire passer un Pacte Nickel avec les industriels et les institutions politiques locales pour pérenniser l’extraction et le raffinage du nickel calédonien. Le Pacte, toujours en négociation, prévoit d’importants apports financiers de l’État pour augmenter la compétitivité du secteur en le couplant étroitement aux programmes de fabrication de batteries électriques en Europe, ainsi qu’un important investissement dans les infrastructures énergétiques, aujourd’hui défaillantes. En échange, les industriels s’engageraient à augmenter la production et moderniser les usines et les mines. Les négociations sur le Pacte avaient donné lieu à une forte mobilisation avec manifestations et barrages de la part de tribus kanak et d’indépendantistes qui le considèrent comme un renforcement de la prise de l’État français sur l’île.
Après quelques jours, avec le réseau routier bloqué, les supermarchés et entrepôts détruits, le port en grève, des pénuries de denrées alimentaires ne tardent pas à faire leur apparition. Pour les uns, c’est le moment d’aller se ranger dans des longues queues d’attentes devant les ventes et distributions organisés sous la protection des forces de l’ordre et des milices et d’implorer le retour de l’ordre ; pour les autres, c’est toute une expérience d’autonomie insurgée et d’expropriation, ainsi que de conflits et de contradictions, qui se fraye un chemin dans le vide laissé par l’absence de marchandises et de l’État.
Les renforts policiers et militaires sont immédiatement employés pour évacuer et démanteler les barrages. Le dimanche 19 mai, une vaste opération de la gendarmerie détruit par moins de 60 barrages sur la route reliant Nouméa à l’aéroport international de Tontouta. L’objectif n’est pas seulement de rétablir la circulation, les barrages où fleurissent les drapeaux d’une Kanaky libre et indomptée sont aussi des foyers d’auto-organisation et de regroupement, de redistribution de denrées parmi les insurgés, d’échanges et de rencontres qui ne se laissent pas si facilement contrôler ou diriger par qui que ce soit (y compris les autorités coutumières ou des structures politiques indépendantistes).
En parallèle, après avoir qualifié les organisations anticoloniales kanak comme des structures mafieuses, l’Etat s’emploie pour que les politiciens kanak appellent au calme, dénoncent les violences, reviennent à la table de négociations. Des tractations sont entamées, des dirigeants politiques et syndicaux sont achetés (ou, le cas échéant, menacés), la presse est mobilisée pour décrier « la spirale de la violence » et de représenter l’insurrection comme une flambée émeutière sans lendemain, gangrenée par des pillards opportunistes et des bandes criminelles. En même temps, les loyalistes et leurs milices, armes à la main, suppléent activement les forces de l’ordre.
Le 23 mai, le chef de l’État français se déplace dans sa colonie de la Nouvelle-Calédonie et promet le rétablissement de l’ordre, coûte que coûte. Les formations politiques indépendantistes acceptent le délai de la mise en fonction de la nouvelle loi électorale proposée par le président en échange de leur concours à faire revenir le calme colonial. Dans la rue et sur les barrages cependant, les combats continuent. Un autre insurgé kanak (48 ans) est abattu par des tirs d’un gendarme hors service qui tentait de forcer un barrage à Koutio (Dumbéa). « L’ordre républicain sera rétabli en Nouvelle-Calédonie quoi qu’il en coûte », avait déclaré il y a quelques jours le Haut-Commissaire Louis Le Franc, en présence du commandant des forces de gendarmerie et du directeur de la police territoriale. De nouvelles structures industrielles sont prises pour cible par des insurgés kanak : un datacenter, une grosse entreprise de BTP, une usine de tubes en plastique, 300 véhicules d’un énorme concessionnaire… Dans la prison, une centaine de cellules ont été saccagés ou incendiés par des mutins, conduisant au baluchonnage par voie aérienne de dizaines de prisonniers vers la seconde prison de l’archipel, située à Koné au nord de l’île. Au lendemain de la visite du président de l’État français, la Chambre de Commerce et de l’Industrie calédonienne a publié un compte-rendu pour chiffres les dégâts : 350 sites industriels ou commerciaux ont été détruit. Du côté des grandes enseignes de la distribution (Carrefour, Super U, Intermarché exploitées en franchise par quelques familles), près de 90 % de leurs magasins ont été détruits ou lourdement endommagés. De nombreuses maisons et propriétés de colons ont été attaquées et pillées. Ainsi, le 25 mai, des dizaines de colons métropolitains ont dû être évacué par voie de mer du quartier résidentiel Kaméré assiégé par des kanaks.
Le 28 mai, fort des opérations militaires et policières contre les insurgés et les appels au calme des principales formations politiques indépendantistes qui démobilisent en partie leurs militants, l’État décide de ne pas prolonger l’état d’urgence, tout en maintenant le couvre-feu.
L’embrasement de la Kanaky, les méthodes de lutte insurrectionnelle mise en pratique, le dépassement des cadres politiques et syndicaux, l’expérience d’une autonomie insurgée sur les barrages et dans l’action offensive, la reconnaissance entre insurgés et insurgés se battant ensemble pour déjouer le joug colonial et une Kanaky libre : tout cela continuera à hanter l’État colonial, les milices loyalistes et les exploitants des mines de nickel. D’autres territoires occupés par l’État français ou indirectement contrôlés pourraient s’y inspirer pour déclencher les hostilités. Alors, ici aussi, ne restons pas les bras croisés devant l’insurrection pour une Kanaky libre. Colonisée pour servir à la projection de puissance militaire français dans le Pacifique, creusée afin d’extraire le nickel nécessaire pour tenir à flot cette société industrielle et écocidaire, soumise pour y imposer la vision marchande et étatique du monde, de la nature et de la vie, accaparée pour y installer des colons racistes et leur culture de domination, la Kanaky ne peut se libérer que par l’action insurrectionnelle. Nous y rajouterons nos efforts pour couper les maillons industriels, étatiques et coloniaux qui enchaînent la Kanaky à l’État français, de l’industrie minière aux forces répressives, des consortiums énergétiques aux entreprises du bâtiments, des grandes enseignes aux banques. Notre solidarité ne peut pas qu’être verbale et symbolique : elle doit se concrétiser dans l’action contre les intérêts français.
Soyons du côté de l’élan de libération qui embrase la Kanaky.
Solidarité avec les luttes de libération.
Autonomie, résistance et sabotage.
anarchistes solidaires