Avis aux amateurs : les flics des piscines et le monde qui va avec

C’est l’histoire d’une sucess story made in frrrance qui vaut bien quelque éclairage, montrant en passant qu’il n’est pas forcément besoin d’aller chercher de grands méchants chinois ou américains souvent inaccessibles pour trouver au coin de la rue les technoflics du quotidien qui nous pourrissent la vie.

Cette histoire commence par un type, Jérôme Menière, ingénieur de formation à Centrale, qui a su utiliser ses réseaux pour associer à sa start-up Vision IQ créée en 1995, des chercheurs du Ceremade (Centre de recherche en mathématiques de la décision, CNRS) ou de l’Inria (Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique). Son plan ? Développer la vision par ordinateur (VPO), alors balbutiante, ce qui a donné en 1999 un logiciel composé d’une quinzaine d’algorithmes brevetés. En guise d’application pratique, dénommée Poséidon, cette vingtaine de mathématiciens, d’ingénieurs et d’informaticiens se sont concentrés sur le problème de la détection rapide des noyés dans les piscines publiques (entre 50 et 80 par an sur des millions de passages, dont quelques décès) en surfant sur la vague sécuritaire de demandes de garanties quasi absolues. Ils ont ainsi combiné caméras de vidéosurveillance sur et sous l’eau avec traitement et analyses par ordinateur de leurs images en flux continu afin de lancer des alertes noyades aux maîtres-nageurs : variations de lumière en surface comme en profondeur, distinction entre le nageur de son ombre, différenciation entre un apnéiste et un noyé, analyse en temps réel des mouvements de nageurs dans la piscine et des structures et volumes du bassin à partir d’une perspective en 3D, etc.
Un joujou policier coûteux qu’il allait maintenant falloir vendre, en proposant d’échanger le simple plaisir urbain de nager contre le fait de devenir une cible en maillot de bain épiée sous toutes les coutures par les yeux de l’Etat. Et au tournant du siècle, les caméras à chaque coin de rue, cela n’allait pas encore de soi partout, alors pensez dans les piscines municipales !

Sur ce, le directeur de Poséidon, Thierry Boeglin, est donc allé faire son marché après chaque drame de noyade de môme, comme à Bruxelles en avril 2000, pour tenter de refourguer son système à plusieurs centaines de milliers d’euros, ce qui a par exemple fonctionné sur les édiles belges des villes de Bruxelles dès 2004 (à Neder-over-Heembeek, Laecken et Marolles, pour 650 000 euros) ou Nivelles et Braine-le-Comte. En passant, cela a d’ailleurs conduit Bruxelles à interdire l’apnée dans ses piscines communales, « même de courte durée » sous peine d’expulsion (du genre je me bouche le nez et je compte combien de temps je tiens sous l’eau), parce que ça foutait trop le dawa dans les algorithmes si sophistiqués de Poséidon et de son alarme. Aujourd’hui, environ 300 grands bassins publics dans une quinzaine de pays sont désormais équipés de Poséidon, qui se targue d’être le monstrueux « Troisième Œil » des maître-nageur.

Parallèlement, toutes sortes de gros fonds d’investissement comme le Crédit Lyonnais, la Caisse des Dépôts et Consignations ou Air Liquide ont financé la start up, moins intéressés par les noyades que convaincus du futur d’une technologie de vidéosurveillance de foules en milieu opaque (ici l’eau).Vision IQ et son fameux algorithme Poséidon ont aussi intéressé des investisseurs, comme MG international (spécialisée dans les systèmes de sécurité) basée à La Ciotat qui l’a rachetée en 2006, et qui est elle-même devenue en 2009 la filiale France du groupe israélien de technologies Maytronics, qui s’occupe de robots, d’alarmes et de couvertures automatiques de piscine.

Rien de bien extraordinaire jusque là dans cette histoire de thunes sur fond sécuritaire, direz-vous, sinon que Poséidon allait tout de même garder son autonomie pour continuer de se développer avec un siège et un laboratoire de chercheurs à côté de Paris, grâce à son potentiel technologique particulier qui s’est révélé tout entier avec la pandémie actuelle et l’accentuation du contrôle social numérique qui s’en suit. Car là, il ne s’agit plus d’éviter une dizaine de noyades mortelles en piscine publique par an parce l’œil humain serait trop lent (sic), mais bien de la mise en place d’un système de surveillance général et automatisé du corps et du comportement de chaque individu, pour le contraindre à se plier à des diktats policiers du pouvoir.

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Comme pour d’autres entreprises sécuritaires qui sont actuellement en train de se rincer avec la covid-19, en proposant bracelets électriques pour la distanciation, caméras infrarouges à détection de chaleur corporelle, Lidar de suivi des individus dans une foule ou autre drones, Poséidon n’est pas donc pas restée inactive pendant le Confinement, et a fait le grand saut lucratif attendu par ses investisseurs : elle a perfectionné son système « anti-noyade » pour le mettre au service du flicage sanitaire, en transformant ses algorithmes d’analyse d’images partout où ses caméras étaient déjà installées. Dans son système, puisque la jauge étatique de fréquentation des piscines est passée à 80% maximum, chaque personne sera désormais comptée et suivie à l’écran, permettant à l’accueil de refuser du monde ou d’en faire rentrer au compte-goutte. Quant à la distanciation physique de 1,5 m entre nageurs ou aquagymeurs, elle fait à présent l’objet d’un voyant rouge ou vert qui s’affiche sur un grand panneau lumineux. Au bout de 10 secondes de non-distance adéquate par un seul individu, l’affichage public passe immédiatement au rouge en grillant aux yeux de tous que quelqu’un s’est permis de violer la sacro-sainte règle.

Et puisque la vidéosurveillance de Poséidon repose notamment sur le traçage individuel des comportements, c’est ensuite sur l’écran personnel du maître-nageur que s’affichent les impudents, puisque ce dernier lui fournit à la fois en direct l’image, le nombre et la position exacte des nageurs dans le bassin, mais cercle également de jaune tous ceux qui ne respectent pas la juste distanciation. A ce stade, la procédure de sermonage ou d’éjection des récalcitrants du bassin n’est pas encore automatisée, et elle requiert toujours la pénible intervention physique d’un humain, certes bien aiguillé par sa machine. Mais gageons que ce n’est qu’une question de temps, puisqu’il existe déjà dans certaines villes comme Nice des drones qui peuvent te suivre en te donnant des ordres.

Thierry Boeglin est bien sûr fier des résultats du machine learning de ses logiciels pratiqué pendant le Grand Confinement (pour distinguer par exemple une planche en mousse immobile d’un nageur qui se repose quelques secondes ou boit un coup en fin de ligne), rendu possible par des capteurs mais aussi par une « combinaison de caméras classiques et infrarouges pour positionner exactement les nageurs dans le bassin. » Et comme il faut bien commencer quelque part, mais qu’autant que cela se fasse en l’expérimentant directement sur la peau des principaux intéressés –à savoir la population turbulente des quartiers pauvres–, c’est la piscine Rosa Parks de Clichy-sous-Bois, en Seine-Saint-Denis, qui a été choisie pour servir de laboratoire au nouveau Poséidon depuis le 29 juin dernier. Grâce à 16 caméras perchées au-dessus du grand bassin, sans compter celles sous-marines, les moutons seront enfin bien gardés et l’ordre technopolicier pourra espérer régner en paix… en tout cas tant qu’elles ne subiront pas le même sort que celles situées à l’extérieur ! Depuis fin juillet, enfin, et cela n’étonnera personne, c’est à la piscine municipale parisienne Alfred-Nakache de Belleville (20e) que les nouvelles possibilités offertes par Poséidon ont été étendues.

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Selon les mythes de la grèce antique, lors du partage du monde ayant suivi la victoire des Olympiens sur Cronos et les Titans, Poséidon reçut la souveraineté sur les mers. Résidant dans un palais d’or au fond de l’océan, il en sortait sur un char tiré par deux chevaux aux sabots d’airain, entouré de créatures marines plus stupéfiantes les unes que les autres. Qu’il ait misérablement fini par désigner un système numérique dont l’objet est en somme de fliquer de petits humains qui s’ébattent dans des bassins chlorés, en dit déjà long sur le génie de ceux qui l’ont conçu. Pourtant, bien qu’incarnant à sa manière tout un monde d’autorité dont les tentacules technologiques ne cessent de nous envahir au quotidien, ce Poséidon-là n’est ni un mythe ni même un dieu tout droit sorti de l’imagination de ses adulateurs. Il n’est en réalité qu’un enchevêtrement de capteurs photographiques, de cellules infrarouges et de circuits imprimés reliés par de bon vieux câbles qui, à l’inverse du vieux grec, craignent autant les tridents aiguisés avec amour que les feux ardents déchaînés avec colère. Avis aux amateurs !


Poséidon Technologie
(branche de
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3 rue nationale, 92100 Boulogne-Billancourt
Directeur-cofondateur : Thierry Boeglin

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Z.I. Athélia IV
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