Tripoli (Liban) : émeutes de la faim contre le confinement [mis à jour]

Liban : mourir de faim ou du Covid-19, la colère gronde
face à un confinement synonyme de pauvreté

Euronews/La Presse (Canada), 27 janvier 2021

C’est un confinement synonyme d’agonie. A Tripoli au Liban, les forces de l’ordre font de nouveau face à des manifestants en colère. Deuxième nuit d’affrontements qui ont fait au moins 45 blessés selon la Croix-Rouge libanaise, par des tirs de balles en caoutchouc de l’armée, déployée en masse. Dans un communiqué, l’armée libanaise a indiqué que 31 soldats avaient aussi été blessés lors des affrontements. L’armée a par ailleurs arrêté cinq personnes soupçonnées d’avoir « vandalisé des propriétés publiques et privées, incité à des émeutes et attaqué les forces de sécurité », indique le communiqué. Lundi 25 janvier déjà, au moins 30 autres personnes avaient été blessées dans des affrontements similaires dans cette ville.

Mardi 26 janvier, des jeunes ont lancé des cocktails Molotov, d’autres ont tenté de prendre d’assaut le principal bâtiment administratif de la ville (le Sérail), et  la voiture personnelle d’un membre des Forces de Sécurité Intérieure a été incendiée. Ailleurs dans le pays, des routes ont été bloquées par des protestataires.


Grande métropole du nord, Tripoli était déjà l’une des villes les plus pauvres du Liban avant la flambée du nouveau coronavirus et les divers confinements décrétés par les autorités en près d’un an, qui ont aggravé les conditions de vie de ses habitants.

De nombreux résidents, notamment des journaliers, se sont retrouvés sans revenu depuis l’entrée en vigueur le 14 janvier d’un des confinements les plus stricts dans le monde, incluant un couvre-feu 24h/24, en vue d’enrayer une progression exponentielle des contaminations et soulager les hôpitaux saturés, dans un pays déjà en pleine crise économique. « Je ne peux même pas acheter du pain », a déploré Abdallah al-Bahr, un manifestant de 39 ans.  « Nous allons mourir de faim ou du coronavirus », a ajouté ce père de trois enfants à l’AFP.

Les autorités libanaises ont prolongé jusqu’au 8 février un confinement strict, décrété au départ jusqu’au 25 janvier. Le confinement s’accompagne d’un couvre-feu permanent et d’une fermeture des commerces. Des exceptions, pour le personnel médical ou les journalistes, et des attestations de sortie sont prévues pour certains déplacements.

Mais dans un pays où l’économie s’est effondrée, la pauvreté et la faim inquiètent beaucoup plus que le virus. « La douleur a poussés les gens dans la rue. Rien n’a changé, nous voulons changer totalement le système. Ce que nous avons vu aujourd’hui, c’est la douleur du peuple et ce que vous avez vu, c’est notre douleur, la faim et la pauvreté » souligne Rashwan Safwan, un habitant de Tripoli.

En dépit de lourdes amendes, ils sont nombreux à braver quotidiennement les interdits. Car s’ils ne travaillent pas, ils ne mangent pas. 230 000 ménages défavorisés recevraient une aide financière de l’Etat. D’après l’ONU, plus de la moitié des Libanais vit aujourd’hui sous le seuil de pauvreté et près du quart dans l’extrême pauvreté.

Dans un Liban frappé depuis plus d’un an par des restrictions inédites sur les retraits bancaires, une dépréciation de la monnaie nationale, des licenciements massifs et des baisses salariales, les retombées sociales du confinement sont désastreuses. Sans oublier les manquements de la classe politique, inchangée depuis des décennies et accusée de corruption et d’incompétence, qui sont dénoncés par une grande partie de la population.


Sur la troisième nuit d’émeute…

Nouvel accès de fièvre dans la rue tripolitaine,
une soixantaine de blessés

L’Orient le jour, 27 janvier 2021 (extrait)

Une soixantaine de personnes ont été blessées mercredi soir lors de nouvelles violences qui ont éclaté entre des protestataires et les forces de l’ordre devant le sérail de Tripoli [siège du gouvernorat], portant à près de 150 le nombre de blessés en trois jours alors que les habitants de la grande ville du Nord manifestent pour la troisième soirée consécutive contre le confinement strict et l’absence d’aides étatiques, qui rendent leurs conditions de vie toujours plus difficiles. Des sit-in et manifestations ont également été organisés dans d’autres régions du Liban, sans toutefois virer aux émeutes. Cette colère a éclaté alors que le pays du Cèdre traverse une crise économique et financière inédite dans son histoire moderne, marquée par une hyperinflation et des licenciements massifs. Plus de la moitié de la population vit désormais dans la pauvreté.

Comme les autres jours, c’est devant le sérail de Tripoli que les tensions ont éclaté. Les jeunes manifestants qui s’y étaient réunis ont d’abord canardé le bâtiment de pierres, comme les jours précédents, avant de lancer des matières inflammables à l’intérieur d’un des postes de surveillance installé à l’entrée du bâtiment, auquel ils ont mis le feu. Des cocktails molotov ont également été balancés par dessus le mur entourant le sérail et l’un d’eux a atteint un des véhicules surmonté d’un canon à eau stationné dans l’enceinte du bâtiment gouvernemental, qui a brièvement pris feu. Les manifestants et la brigade antiémeute se sont par la suite affrontés à coups de pierres et de cocktails molotov que lançaient les protestataires et de gaz lacrymogène, de canons à eau et de balles en caoutchouc à l’aide desquels ripostaient les forces de l’ordre.

Ces échauffourées, qui se poursuivaient tard en soirée, ont fait au moins 67 blessés, dans les rangs des contestataires comme des forces de l’ordre, selon la Croix rouge libanaise, présente sur les lieux. Quinze d’entre eux ont dû être transférés dans des hôpitaux voisins. Les Forces de sécurité intérieure ont indiqué dans un communiqué que neuf de leurs agents avaient été blessés, dont l’un grièvement, par l’explosion d’une grenade de type militaire. Mardi soir, les affrontements dans la ville avaient fait au moins 45 blessés selon la Croix-Rouge libanaise. L’armée avait, elle, annoncé sur son compte Twitter que 31 soldats avaient été blessés.

Sur la place al-Nour, haut-lieu de la contestation depuis le soulèvement du 17 octobre 2019, des protestataires, plus pacifiques, ont scandé des slogans contre les responsables politiques et réclamé que les dirigeants corrompus rendent des comptes. Certains sont partis de la place al-Nour pour une procession dans les rues de la ville, au rythme d’hymnes révolutionnaires.