Quand une panne en Croatie manque de provoquer
un black-out dans toute l’Europe
Orange, 1er février 2021
Le 8 janvier, un disjoncteur d’un poste électrique croate a sauté et provoqué la scission du réseau électrique européen en deux, menaçant ainsi l’Europe d’un black-out géant, rapporte Le Figaro. C’est une histoire qui aurait pu très mal finir. Pour commencer, il faut préciser que l’Europe de l’électricité fonctionne comme une vaste plaque de cuivre, tout d’un bloc, qui va de Lisbonne au Portugal, jusqu’aux confins de la Turquie, et du Péloponnèse jusqu’au Danemark. Cette vaste taille lui garantit une grande source d’approvisionnement, mais expose davantage quand un rouage s’enraye. C’est ce qu’il s’est passé le 8 janvier.
Ce vendredi, il pleut à Ernestinovo, un village croate qui abrite une station électrique de 400.000 volts qui connecte les lignes haute tension provenant de Hongrie, de Serbie et de Bosnie, raconte dimanche 31 janvier Le Figaro. A 14h04 et 25 secondes, pour une raison inconnue, deux disjoncteurs sautent, stoppant ainsi le flux d’électrons. Mais l’électricité qui se propage à la vitesse de la lumière cherche un autre chemin. La tension monte sur les connexions voisines et 23 secondes plus tard, un disjoncteur serbe saute, puis un autre en Roumanie trois secondes plus tard. Le flux électrique est en effet trop puissant pour la contenir. À 14 h 04 et 54 secondes, sept lignes à haute tension et un transformateur, de la côte adriatique à la frontière roumano-hongroise, se déconnectent.
A 14h05 et 08 secondes, toutes les grandes lignes électriques reliant l’Europe du sud-ouest à l’Europe du nord-est ont disjoncté. Dans la partie occidentale du réseau, il manque 6.000 mégawatts, l’équivalent de 6 réacteurs nucléaires. Alors la fréquence du réseau électrique baisse. Or, elle doit toujours être maintenue à 50 hertz dans toute l’Europe, car tous les appareils électriques sont conçus pour fonctionner sur ce niveau. En cas de décalage, tout se dégrade jusqu’à entraîner un black-out général.
Une heure de scission
En France, dans la salle de contrôle national de RTE, le gestionnaire du réseau de transport d’électricité, à Saint-Denis, en région parisienne, la carte d’Europe change de couleur : les pays du Sud-Est passent du vert à l’orange, puis de l’orange au rouge. Un mécanisme d’urgence se déclenche en moins de cinq secondes et plusieurs gros sites industriels français sont mis hors circuit. « Si la fréquence descend en dessous d’un certain niveau, des barrières de défense sont érigées automatiquement pour éviter que la fréquence continue de s’effondrer jusqu’à ce que le système électrique se retrouve par terre », explique Jean-Paul Roubin, directeur de l’exploitation de RTE. La même chose se produit en Italie, qui bénéficie du même système d’urgence de protection. En une seconde, le réseau économise 1.700 mégawatts.
Mais ça ne suffit pas. Une téléconférence express est alors lancée, avec une dizaine de pays, et en 10 minutes un plan d’action est prêt à être mis à exécution. Des centrales au gaz sont lancées en France et les centrales nucléaires et hydroélectriques qui le peuvent sont appelées à augmenter leur puissance. Les Autrichiens activent de leur côté de grandes capacités hydroélectriques. La fréquence sur le réseau remonte.
De l’autre côté, au sud-est, c’est l’inverse : la fréquence est trop forte. Des centrales turques s’arrêtent de tourner pour la faire redescendre. Une heure plus tard, les fréquences nord et sud se sont suffisamment rapprochées et les deux plaques peuvent être rebranchées. À 15 h 07 et 31 secondes, l’Europe électrique est finalement réunifiée.
Les gestionnaires des réseaux européens ont ainsi fait face à leur plus grave crise depuis celle du 4 novembre 2006, lorsqu’une ligne passant au-dessus du fleuve Ems, en Allemagne, avait été mise hors tension pour laisser passer sans danger un navire de croisière. Mal maîtrisé, l’événement avait provoqué une coupure de courant chez 15 millions d’Européens.