Érigé sur la pointe nord de l’île danoise de Seeland, le majestueux château d’Elseneur a contrôlé pendant quelques siècles le détroit menant vers la mer baltique. Si ce monument fait aujourd’hui encore la fierté des habitants du coin, d’autres ne manquent pas de rappeler avec malice qu’il reste surtout connu en dehors de l’île pour avoir servi de cadre à une célèbre tragédie, de laquelle on ne retient généralement que le fait qu’ « il y a quelque chose de pourri au royaume du Danemark ». Qui plus est, on ne peut même pas compter sur l’actualité récente pour démentir le vieil adage shakespearien, au contraire. N’est-ce en effet pas là que le 3 juin dernier a été votée la loi permettant de dégager en masse les demandeurs d’asile du pays, en sous-traitant désormais leur « accueil » à des pays-tiers hors Union européenne le temps de l’étude du dossier (des discussions sont en cours avec l’Egypte, l’Ethiopie et le Rwanda) ? Et n’est-ce pas ce territoire du vieux continent qui a été pionnier dans l’imposition à la population d’un Coronapas dès le 21 avril, obligatoire pour les plus de 15 ans dans les cinémas, les stades, les bibliothèques, les bars ou encore… les auto-écoles et autres salons de coiffure ?
D’un autre côté, c’est également dans ce pays nordique qu’une petite suggestion anonyme a alors resurgi, offerte à tous les contestataires qui brûlent actuellement d’en finir avec ces nouvelles mesures liberticides. Une petite suggestion qui s’est même répétée par deux fois (au cas où quelqu’un n’aurait pas bien entendu) à une trentaine de kilomètres du château d’Elseneur, en touchant précisément quelque chose de pourri du royaume du Danemark et d’ailleurs. Celle-ci consiste rien moins qu’à perturber les contrôles d’identité de la police et ceux du QR code sanitaire effectués par n’importe quel autre larbin en sabotant les ondes qui connectent smartphones et tablettes à leurs indispensables bases de données en tout genre.
La première alarme pour les autorités est venue en ce sens dès le 25 mai dans le bourg de Vejby, près de la côte zélandaise de Kattegat, à environ 50 km au nord de Copenhague. Là, un incendie nocturne s’est déclaré contre une antenne-relais et son bâtiment adjacent, coupant l’ensemble des opérateurs de téléphonie mobile de la zone. Mais ce n’est pas tout, puisque les autorités ont révélé sur la pointe des pieds que l’infrastructure calcinée hébergeait en sus non seulement un radar de l’armée pour la surveillance des eaux (en l’occurrence de la Marine), mais aussi plusieurs équipements du réseau crypté de la police danoise nécessaire aux contrôles (SINE, SIkkerhedsNettet). Les enquêteurs d’abord circonspects ont vite été intrigués par la présence « d’un grand trou effectué dans la clôture à l’arrière de l’installation sécurisée », puis ont immédiatement bouclé la zone avant de la faire ratisser par des chiens toute la journée du lendemain.
La seconde alarme est venue le 15 juillet dernier dans la ville de Helsinge, située à 5 kilomètres de Vejby, lorsqu’une seconde antenne-relais est partie en fumée vers 2h30 du matin. Cette fois encore, le feu a rongé les câbles entre le bâtiment hébergeant les équipements de télécommunications et l’antenne elle-même, avant de grimper le long de cette dernière. Les autorités dépitées ont alors précisé que « tout lien avec des incendies antérieurs de nature similaire sera également inclus dans l’enquête », puis ont là aussi fait appel à de fidèles canidés (ceux à quatre pattes) pour inspecter la zone.
Tandis que les fins limiers danois, certes moins rodés en la matière que d’autres collègues européens, se penchent à présent sur la fumeuse théorie des auto-combustions d’antennes – certainement lasses de servir le contrôle policier et sanitaire ou d’assister au télétravail –, comme sur le fait qu’il puisse « simplement s’agir d’une étrange coïncidence », on pourrait de notre côté se risquer à une autre hypothèse. Et un peu plus réaliste, que diable !
Pour cela, il nous faut remonter aux mythiques skjaldmö vikings, ces guerrières au bouclier qui combattirent parfois à plusieurs centaines contre les Goths ou les Huns, selon le récit des sagas nordiques. L’une d’entre elles, peut-être la plus connue, se nommait Lagertha et avait gagné le Valhalla il y a plusieurs siècles déjà, lorsqu’elle comprit soudain qu’attendre auprès d’Odin la grande catastrophe finale n’était qu’un décalque millénariste des inepties chrétiennes. Et que quitte à finir en ce fade 21e siècle sous forme de musique électro, de jeu vidéo, de série télévisée ou pire, de fantasmes néo-nazis, autant retourner direct à Kattegat pour saccager tout ce qui avait rendu cela possible. Une fois revenue dans sa chère baie, c’est donc là, au printemps dernier, qu’elle fut écœurée par ce monde médié par toujours plus d’appendices technologiques, où trop d’êtres brandissent avec délectation l’écran de leur propre servitude. Loin de toute résignation, elle entreprit alors une fois de plus de « glisser la panique de ses amis vers le camp ennemi », comme le contait déjà l’odieux moine qui transcrivit autrefois sa légende. Si elle manquait certes de temps pour comprendre les nouveaux rapports sociaux à l’origine de tout ce merdier, il en fallut peu pour incendier avec délice les deux tours de câbles et de radars qui l’environnaient. Non seulement ces structures de télécommunication heurtaient sa propre sensibilité, non seulement elles barraient tout horizon désirable, mais elles procuraient aussi concrètement à l’ennemi les moyens d’un contrôle diffus permanent lui épargnant de nombreuses batailles.
En apprenant un peu plus tard ce que le poète anglo-saxon avait casé dans Hamlet à propos du Danemark, Lagertha ne put s’empêcher de sourire. Cheminant au bord des vagues, elle continua même de plus belle, en songeant que si l’ensemble de la planète était désormais touchée par une même pourriture technologique nous privant petit à petit de toute autonomie, le remède primitif qu’elle venait d’employer par réflexe à Vejby comme à Helsinge fonctionnait par contre toujours à merveille…
[synthèse de la presse danoise, 31 juillet 2021]