Guadeloupe : deuxième nuit de pillages et postes de police incendiés

Morne-à-l’Eau, 21 novembre. Le PMU après pillage et incendie

Nouvelle nuit de pillages et de violences au septième jour
de contestation en Guadeloupe

Martinique/Guadeloupe1ere/France Antilles, 21 novembre 2021 (extraits)

En Guadeloupe, la campagne de vaccination contre le Covid-19 [avec l’imposition du pass sanitaire et l’obligation vaccinale des soignants, refusés en bloc sur l’île] est venue percuter la colère sourde de nombreux habitants, dont le sentiment d’être méprisés et incompris par les autorités a fini par dépasser la peur de la contamination.

La nuit de samedi 20 au dimanche 21 novembre 2021 a été mouvementée à Pointe-à-Pitre, aux Abymes, au Lamentin à Sainte-Rose et à Petit-Bourg. Pour cette deuxième nuit d’affrontements et de pillages depuis l’instauration du couvre-feu en Guadeloupe (vendredi 19 novembre 2021), des commerces de proximité et de téléphonie, des banques, ont été visés par des pillages. « A chaque fois, une barricade placée en amont nous empêchait d’avancer », selon les gendarmes qui témoignent aussi de soupçons de « faux appels pour nous attirer ailleurs, tout comme les pompiers ». Par ailleurs, la poursuite « des violences urbaines, exactions et autres entraves à la circulation », a conduit le rectorat à suspendre lundi l’accueil des élèves « dans les écoles, collèges et lycées ». Les cours n’ont déjà pas eu lieu vendredi.

Lamentin, 21 novembre. Centre commercial de Montplaisir pillé

« Plus de 80 commerces ont été pillés » en Guadeloupe, a précisé le président de la Chambre de commerce et d’industrie (CCI) des îles de Guadeloupe, Patrick Vial-Collet, lundi sur France Inter, décrivant une « situation assez insurrectionnelle ».

Au quartier Hibiscus aux Abymes, des affrontements se sont déroulés toute la nuit. Des détonations ont été entendues. Barrages enflammés, et tirs à balles réelles sur les forces de l’ordre, sont signalés. Un pompier et un policier sont blessés. Les émeutiers ont agi dans différentes zones. Ils ont vandalisé la Caisse des écoles et plusieurs magasins du centre commercial Mont Plaisir au Lamentin.
À Grand Camp aux Abymes,  des actes de vandalisme sont enregistrés dans des magasins et dans un studio photo.
Au quartier Assainissement à Pointe-à-Pitre, des bandes de casseurs ont pillé des magasins d’alimentation.
A Goyave et à Port-Louis, les enseignes Général  Bricolage du groupe Moueza ont été vandalisées.

Le SDIS (Service Départemental d’incendie et de secours) signale que ses agents ont effectué 48 interventions la nuit dernière dont trois pour des feux de véhicules à Pointe-à-Pitre et aux Abymes. Les soldats du feu sont aussi intervenus pour des incendies dans les bureaux de police de Morne-à-l’eau et du Gosier.
A nouveau des commerces ont été vandalisés… mais pas seulement des commerces. Des individus se sont introduits dans les locaux de la police municipale du Gosier, durant la nuit ; ils ont tout saccagé, à l’intérieur et ont tenté de mettre le feu. A Lamentin, des malfaiteurs ont usé d’une pelle mécanique, pour éventrer les devantures de boutiques de la Galeries Montplaisir et du Carrefour Market, pénétrer où bon leur semblait et se servir.

La circulation toujours entravée

Par ailleurs, EDF Archipel Guadeloupe constate la dégradation d’ouvrages électriques, à proximité des barrages.
C’est le cas notamment à côté de celui érigé à Sainte-Marie, à Capesterre-Belle-Eau, où un arbre a été coupé ; celui-ci, en tombant, a sectionné des câbles électriques. Cette dégradation d’ouvrages prive d’électricité plusieurs usagers et présente des risques réels d’électrocution, voire d’électrisation, pour la population, aux abords de ces barrages.

Dans l’agglomération pointoise, mais aussi dans les points stratégiques de la Guadeloupe, occupés depuis quatre jours, les barrages sont encore positionnés.
La plupart est hermétique : nul ne peut passer au pied de Fouillole, ni au rond-point de Perrin aux Abymes et idem au rond-point de Montebello à Petit-Bourg.
Mare-gaillard, au Gosier, reste occupé, par les bandes mobilisées.
Petit-Canal, Port-Louis, Morne-à-l’Eau et Le Moule ne sont pas épargnées ; des points de blocage sont signalés, en plusieurs endroits.
Vieux-Habitants et Sapotille, à Trois-Rivières, sont bloqués également.
A Sainte-Anne, les ronds-points de Bois-Jolan et Gissac ont aussi été obstrués.

En revanche, en début de journée, le passage était possible à Mahault, à Pointe-Noire, à l’entrée de la route de la Traversée, qui fait le lien entre la Côte-sous-le-vent et l’agglomération pointoise.
Les automobilistes passaient difficilement, à Rivières des Pères, à Basse-Terre, ce matin.

Gosier, 21 novembre. Le poste de police municipale après passage des émeutiers

Les personnes mobilisées usent de centaines de voitures, désormais des carcasses calcinées, pour bloquer toute circulation, mais aussi de bennes à ordures, de déchets divers et de branchages, puisqu’ils n’hésitent pas à abattre des arbres, pour alimenter leurs barricades.

Comparutions immédiates

Des audiences de comparution immédiate vont se tenir dès ce lundi 22 novembre 2021 plusieurs individus seront entendus au tribunal correctionnel de Pointe-à-Pitre pour leur implication potentielle dans le chaos causé, ces derniers jours. Cinq personnes sont placées en détention, une a été déférée pour  « violence volontaire avec arme sur une personne dépositaire de l’ordre publique »  et les autres pour « vols aggravés ».

Dix autres prévenus sont en garde à vue ce dimanche matin. Les forces de l’ordre ont interpellé la nuit dernière (samedi à dimanche).

Colin Petit-Bourg, 21 novembre. Feue la boutique Orange

Pour rétablir l’ordre, le gouvernement a envoyé 200 policiers et gendarmes supplémentaires en Guadeloupe et une cinquantaine d’agents du GIGN et du Raid.


Sur les barricades de Guadeloupe en plein couvre-feu
Le Parisien, 22 novembre 2021Palette de bois, blocs de béton, et même machine à laver, tout est bon pour multiplier les barrages, faire régner le désordre et monnayer les passages de véhicules. Nous avons passé la nuit au Gosier avec une vingtaine d’insoumis guadeloupéens que rien ne semble arrêter.
C’est une haute muraille de tôles ondulées baptisée « la frontière », qui fait office de bouclier géant en travers de la route. « On est coupés du monde, la police ne passe pas ! » défie Loïc, 31 ans, charpentier en colère et barricadier de « l’équipe de nuit ». « Il y a aussi une équipe de jour et ceux qui ne dorment jamais », décrypte son voisin. Il est 22 heures, samedi soir, dans le quartier Mare-Gaillard au Gosier, à une dizaine de kilomètres de Pointe-à-Pitre. L’heure, en principe, du couvre-feu décrété par le préfet et en vigueur depuis vendredi, de 18 heures à 5 heures du matin. Dans la moiteur créole, une vingtaine de bloqueurs hors de contrôle écoutent pourtant du « bouyon » à fond les décibels — un style musical en vogue au rythme très rapide et aux paroles crues — tout en montant la garde.Ici, comme dans des dizaines d’autres communes de l’archipel, des manifestants, en grève illimitée pour protester, entre autres, contre l’obligation vaccinale des soignants, ont érigé des barrages. À Mare-Gaillard, « le coin le plus chaud du Gosier », « la frontière » est précédée de chaque côté de barricades composées d’une machine à laver, de palettes de bois, de panneaux de signalisation, de blocs de béton ou d’une épave fumante de coupé Skoda. « On invente des choses, on a planté des clous sur les planches pour mettre les policiers dans l’embarras, pour que leurs pneus crèvent », avance un couche-tard en claquettes. Ici règne l’anarchie.Des pointeurs laser verts pour donner l’alerteDes guetteurs équipés de pointeurs laser verts peuvent donner l’alerte à tout moment. Tout véhicule qui s’approche de trop près a droit a son caillassage. On n’y a pas échappé lors de notre première tentative. Les « rebelles » qui affirment être « pacifiques » portent une cagoule ou planquent leur visage avec un tee-shirt quand ils nous parlent. Ils vérifient à plusieurs reprises nos cartes de presse, nous suspectant d’être des « policiers en civil ». Parmi eux, un carreleur, un éboueur, un électricien, un maçon, un agent d’entretien des espaces verts. Ils ont majoritairement la vingtaine et habitent chez papa et maman. « Nos parents ont peur pour nous quand on est sur le barrage, mais ils savent que le combat est juste », défendent-ils. Les barricadiers jurent boire modérément. « Juste de la bière ! On ne se saoule pas, tout le monde doit être sur le qui-vive », soutiennent-ils, alors que certaines haleines dégagent plutôt des effluves de rhum.Il n’y a que des hommes en action, pas de femmes. « Elles préfèrent être à l’écart, elles font la cuisine », réplique la bande de machos. Une berline réussit à parvenir jusqu’au barrage. Elle doit rebrousser chemin. Son chauffeur est inconnu des contrôleurs en chef. Inutile de négocier. Certains véhicules sont tout de même autorisés à contourner les obstacles, à franchir, avec un léger coup de volant, les amoncellements d’encombrants, ou à emprunter des sentiers parallèles.« On laisse passer les gens du quartier, tout le personnel médical, les pompiers. Mais pas la police ! S’ils débarquent avec leurs fusils, nous, on leur balance des pierres », menace Loïc. Cela fait « trois jours » qu’il n’a « pas vu les flics » pour « débarrer », comprenez « dégager le barrage ». « On a juste observé l’hélicoptère et des drones tourner, ils sont carrément débordés. C’est exactement ce que l’on cherche à faire pour que Macron plie sur l’obligation vaccinale des soignants », avoue-t-il. « La police a peur de nous », se félicite son copain. « En fait la police, c’est nous », proclame un troisième larron.

Outre le passe sanitaire et l’obligation vaccinale, ces « insoumis » dénoncent les coupures d’eau, le manque de travail, la hausse des carburants. Et la flambée du prix de la bouteille de gaz, qui coûte « 28 € ». « On en a toujours besoin pour faire nos bokits (sandwichs guadeloupéens frits dans une casserole d’huile). Tu crois qu’on va chez McDo, nous ? », interpelle Anthony, qui porte un maillot de foot à la gloire de Manchester United. Ils ne sont pas près de lever le camp. « Ce n’est que le début de la révolte. La seule réponse qu’on a pour le moment de la métropole, c’est de nous envoyer le Raid et le GIGN. Ça fait des années qu’on subit, alors on est en train d’exploser, comme une cocotte-minute qui a trop chauffé. C’est toute notre rage qui sort », répète Loïc.

À une poignée de kilomètres de là, aux digues dressées dans « le bourg » du Gosier, l’atmosphère est plus tendue et pique les yeux. « C’est la lacrymo de la BAC », peste un jeune cagoulé, un joint de marijuana à la bouche. Des pierres dans la main, l’un de ses compères antillais, complètement défoncé, nous insulte… en anglais.

Le vaccin, « la goutte d’eau qui a fait déborder le vase »

Un brasier de poubelles éclaire une statue blanche indéboulonnable de pélican. « Elle, on n’y touche pas, c’est l’emblème de notre commune », martèle Siro. L’un de ses camarades qui sue à grosses gouttes dans son imperméable nous fouille, nous palpe, vérifiant même qu’on ne dissimule pas une caméra dans la monture de nos lunettes. Des ados patrouilleurs au guidon de scooters enchaînent les rondes dans les parages pour repérer les forces de l’ordre. « On ne fait que des barrages ici, pas de pillages », dit Nino, bombant le torse.

Un contestataire plus bavard que ses compagnons nous dévoile que moyennant un « forfait à 2 ou 5 €, on peut laisser passer les gens ». De tous les bloqueurs qui nourrissent ce piquet de grève nocturne, aucun n’est vacciné. « On n’est pas des cobayes. Se faire ou non piquer, c’est une liberté », s’indigne Kevin. « Le vaccin, c’est un viol ! Et il y a des effets secondaires de merde, on a beaucoup de décès à cause de ça en Guadeloupe », prétend Nino, qui « bosse dans le BTP ». Donovan croit, lui, qu’il est « immunisé contre tout ». « On a l’habitude de nos plantes, on se soigne avec les remèdes de nos grands-mères », souffle-t-il. Ils veulent savoir si, nous, on a eu nos injections de Pfizer. On leur répond oui. « Courage les gars, dans six mois, vous êtes morts ! », pronostique l’un d’eux, mort, lui, de rire.

Pour eux, « le vaccin est la goutte d’eau qui a fait déborder le vase ». « On en a marre du système qu’on nous impose. Notre île n’est pas à nous, elle appartient aux békés (Blancs créoles descendant des premiers colons) », accuse Nino.

Non loin de là, des gendarmes casqués équipés de flash-balls déblayent à la main une barricade abandonnée comme on en croise tous les 500 m dans le coin. Des riverains, bloqués au volant de leur voiture, peuvent enfin rentrer chez eux. « Allez les gars, on se désengage, embarquez dans les véhicules, on continue ! » encourage un officier sous un palmier. Dans la nuit de samedi à dimanche, 38 personnes ont été interpellées sur l’île.