Sanipolice : et voici l’extension du contrôle d’identité par d’autres larbins

[Autre nouveauté, le projet de loi qui transforme le pass sanitaire en pass vaccinal « pour l’accès aux activités de loisirs, aux restaurants et débits de boisson, aux foires, séminaires et salons professionnels ou encore aux transports interrégionaux », notamment ferroviaires  et devant entrer en vigueur le 15 janvier, prévoit la possibilité pour les professionnels des établissements recevant du public et leurs employés [bars, restaurants, musées, bibliothèques, piscines, transports etc.] de demander une pièce d’identité à leurs clients.

La loi sur le passe sanitaire datant de mai dernier prévoyait que ce contrôle d’identité n’était réalisable uniquement par les forces de l’ordre. Cette possibilité de contrôle d’identité, déjà envisagée, avait été écartée en juillet dernier dans la loi qui a étendu le pass sanitaire aux activités de loisirs, aux restaurants et débits de boissons. En août dernier, le Conseil constitutionnel saisi par des sénateurs et des députés sur la présentation du pass sanitaire à l’entrée des grands magasins et centres commerciaux avait rejeté le recours au motif notamment que la présentation du passe sanitaire « ne s’accompagne d’une présentation de documents d’identité que lorsque ceux-ci sont exigés par des agents des forces de l’ordre ». La présidente de la commission des lois précise qu’il s’agira moins d’un contrôle d’identité que d’un contrôle de cohérence, à l’image d’une caissière qui demande la carte d’identité pour un paiement par chèque.
(AFP, 26 décembre 2021)]


Passe vaccinal : les contours flous d’un contrôle
d’identité inédit

Le Monde, 28 décembre 2021

Faudra-t-il bientôt présenter sa carte d’identité en plus de son QR code pour boire un café en terrasse ? Plus de 182 000 faux passes sanitaires ont été recensés par les forces de l’ordre depuis juillet 2021 – impossible de dire combien sont en circulation. Alors pour « renforcer la lutte contre la fraude » au futur passe vaccinal, le projet de loi examiné lundi 27 décembre en conseil des ministres entend « permettre aux personnes chargées d’en contrôler la présentation de vérifier, en cas de doute, l’identité de leur détenteur ».

« Papiers s’il vous plaît », entendra-t-on parfois à l’entrée des musées, des cinémas ou des TGV si le texte proposé par le premier ministre est adopté en l’état : « Il peut être exigé, en cas de doute, la présentation d’un document officiel d’identité. »


A ce jour, la loi, en vigueur depuis le 5 août 2021, dispose que la présentation du passe sanitaire « ne s’accompagne d’une présentation de documents officiels d’identité que lorsque ceux-ci sont exigés par des agents des forces de l’ordre ».

La question d’autoriser les restaurateurs, les organisateurs de séminaires ou les caissiers des parcs d’attractions à vérifier la cohérence du passe avec l’identité de son détenteur s’était déjà posée à l’été
, mais devant l’opposition des professionnels des secteurs concernés et de nombreux parlementaires, le gouvernement avait laissé de côté le contrôle qu’il souhaite aujourd’hui mettre en œuvre.

Les agents de sécurité embauchés massivement depuis l’instauration du passe sanitaire pour scanner nos écrans de téléphone pourraient cette fois-ci voir leur mission s’étoffer, à condition qu’une difficulté juridique soit écartée : les contrôles d’identité relèvent aujourd’hui de la compétence exclusive des officiers de police judiciaire. Matignon pourra souligner qu’il n’est pas question, dans son projet de loi, de « contrôler », mais de « vérifier », et que l’on vérifie déjà l’identité des citoyens souhaitant payer par chèque, entrer dans un casino ou voir un film interdit aux moins de 16 ans.

« Ça va plus loin qu’une simple vérification, c’est une forme de contrôle d’identité qui ne dit pas son nom, estime pourtant, sceptique, Philippe Gosselin, député (Les Républicains) de la Manche et vice-président de la commission des lois à l’Assemblée nationale, qui se penchera sur le texte dans les prochains jours. Quid en cas de fraude avérée, on empêche le client d’entrer ? Qui gère la tension que ça risque de générer ? Au-delà du fait qu’on confie une fonction à une autorité qui n’en a pas la compétence, le texte ne dit rien sur la façon dont le contrôle sera assuré. »

Cette mesure pourrait en outre, suggère le député, constituer une atteinte aux libertés individuelles. Invoquant une décision du Conseil constitutionnel datant de 1993, « qui précise l’irrégularité des contrôles d’identité généralisés et discrétionnaires », Philippe Gosselin souligne« un risque sérieux de nullité juridique et d’inconstitutionnalité ». « Tout cela paraît mal encadré, imprécis, et s’apparente à une forme de généralisation des contrôles qui n’est pas autorisée par la loi, conclut-il. Il ne suffit pas de donner une apparence légale pour que ce soit légal. »

Outre le débat juridique que la mesure ne manquera pas de soulever va se poser la question de sa viabilité d’un point de vue opérationnel. « Nous sommes pour le passe vaccinal, pour que tout le monde puisse circuler et accéder à nos établissements à peu près librement, mais vérifier l’identité va gêner considérablement les professionnels », anticipe Hervé Becam, vice-président de l’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie (UMIH), premier syndicat patronal de l’hôtellerie-restauration.

« Les gens n’ont pas forcément leur pièce d’identité à la main, ça va rajouter de la complexité et du temps aux protocoles d’accès sur de nombreux sites, confirme Arnaud Bennet, président du Syndicat national des espaces de loisirs, d’attractions et culturels. Il va falloir renforcer les équipes de contrôles pour conserver la fluidité. »

Marc-Olivier Sebbag, délégué général de la Fédération nationale des cinémas français, juge « impossible » un contrôle d’identité systématiquedans les cinémas – « Regardez le temps qu’il faut pour remplir un avion de 120 places » – mais ne voit pas d’inconvénient au dispositif « s’il est ponctuel, et non lié à des sanctions pour l’exploitant qui peut se tromper et ne pas avoir eu de doute sur une personne alors qu’il aurait dû ».

Les professionnels se montrent partagés entre refus d’une mission qui n’est pas la leur, et résignation à l’accepter afin de poursuivre l’activité. « Si c’est ça ou fermer, on le fera, grommelle Hubert Jan, président de la branche restauration de l’UMIH. Mais jusqu’où on va ? « En cas de doute”, c’est compliqué à interpréter, on est en pleine ambiguïté. »

Certaines fraudes semblent évidentes – quand le sexe ou la date de naissance sur le passe ne correspondent manifestement pas à l’identité de son détenteur –, mais que faire des cas litigieux ? Sollicités par Le Monde, le ministère de l’intérieur et le porte-parole du gouvernement n’ont pas répondu. « S’il y a bien une notion qui n’est pas définie en droit, c’est le doute », s’est étonné, sur Public Sénat, le vice-président de la commission des lois du Sénat, Philippe Bonnecarrère. Quoi qu’elle prévoie, la loi restera impuissante face aux fraudeurs aguerris : le « vrai » faux passe – valide, portant les bons nom et prénom, mais n’ayant pas été délivré dans les formes – restera impossible à détecter.