Etats-Unis/Union Européenne : les camps de la démocratie font le plein

Au Texas, un centre pour migrants mineurs surpeuplé,
où “les maladies pullulent”

Courrier international, 24 juin 2021

Une nouvelle étape semble avoir été franchie dans la précarité des conditions d’accueil des mineurs isolés. Le centre de détention de Fort Bliss, situé à El Paso, au Texas, est composé d’au moins douze tentes gérées par l’armée américaine. Plus de 2000 migrants mineurs originaires d’Amérique centrale (principalement du Salvador, du Guatemala et de Honduras) y sont entassés dans des conditions si critiques que “certains enfants tentent de s’ouvrir les veines”, témoignent des employés du centre dans une enquête vidéo publiée par la BBC.

Ces derniers mois, des images filmées dans le camp de détention pour mineurs de Donna, également au Texas, avaient déjà soulevé l’indignation. Mais les vidéos capturées en cachette par le personnel de Fort Bliss montrent une détresse plus grande encore.

“Il y a un nombre significatif de jeunes qui ont le Covid-19”, explique un employé du centre sous couvert d’anonymat. Lorsqu’ils sont contaminés, leurs lits sont retirés et ils sont placés dans l’une des tentes destinées aux enfants malades, “surnommées Covid-City”. “Je pense que le surpeuplement est la raison principale qui explique la propagation des maladies”, confie l’homme interrogé par la BBC. En plus du coronavirus, précise la chaîne britannique, “des foyers de grippe et d’angine streptococcique ont aussi été signalés depuis l’ouverture du camp, fin mars”.

Le centre fait face à une infestation de poux, à tel point qu’une tente a dû être confinée, avec 800 jeunes filles à l’intérieur.

La BBC a pu recueillir le témoignage d’un adolescent de 15 ans qui a passé 38 jours enfermé dans le centre. “Je voyais les jours passer et j’étais abattu : je pensais que je ne sortirais jamais de là, raconte-t-il. Dans les pires moments, j’étais à deux doigts de me suicider.” Lorsqu’il est arrivé à Fort Bliss, le jeune garçon a rapidement contracté le Covid-19, qui l’a rendu “gravement malade”, rapporte le média. Une fois guéri, il a été renvoyé dans une tente surpeuplée “et est retombé malade”. L’adolescent rapporte l’attitude méprisante de certains membres du personnel à l’égard des jeunes : « Nous leur avons demandé des médicaments, ils nous ont regardés de travers, et à chaque fois ils riaient entre eux.”

Aux maladies qui circulent dans le centre s’ajoutent des conditions climatiques extrêmes, liées à la situation géographique du centre, en plein désert. Les jours de tempête, les tentes tremblent et s’ouvrent parfois, laissant entrer le sable à l’intérieur : “À la fin de la journée, nous sommes tous couverts de poussière de la tête aux pieds”, fait savoir un autre témoin anonyme à la BBC.

Viols sur mineurs

Une employée du centre a par ailleurs contacté le média britannique pour livrer des informations plus graves encore. “Nous avons entendu l’un des contractuels violer une fille la nuit”, affirme-t-elle : « Le département de la Sécurité intérieure a évoqué un viol et distribué des tests de grossesse aux filles. J’ai aussi entendu dire qu’ils annoncent les résultats des tests devant tout le monde.”

Toujours selon cette femme, un autre membre du personnel aurait été surpris “dans une tente pour garçons”. Et, d’après un employé interrogé par la BBC, les formateurs auraient averti le personnel à leur arrivée que certains contractuels avaient développé “des relations inappropriées avec les enfants”.

Le département de la Santé et des Services sociaux, qui a recruté des prestataires privés pour renforcer les effectifs du camp, “affirme avoir le souci de la transparence”, mais “la BBC s’est vu refuser l’accès au camp”. Les employés qui ont accepté de témoigner après de la chaîne ont pris “de gros risques”.

Face à la situation de plus en plus critique des 12 000 mineurs détenus dans les camps pour migrants au Texas, l’administration américaine tente de reprendre la main. La vice-présidente, Kamala Harris, “se rendra vendredi [25 juin] à El Paso pour la première fois”, rapporte Politico, après “un concert de critiques acharnées de la part du camp républicain”, qui lui reprochait de ne pas encore y être allée.

En Grèce, la stratégie d’enfermement des migrants prend de l’ampleur
Infomigrants, 15 juin 2021 (extrait)

Des murs sont en construction autour de plusieurs camps de migrants de Grèce continentale. Dans les îles de la mer Egée aussi, des « hotspots » fermés sont prévus. Des murs similaires doivent être construits autour des camps Diavata et Polykastro, dans le nord du pays, et de Malakasa, près d’Athènes, comme l’atteste l’appel d’offres pour l’édification de « clôtures d’enceinte » lancé en janvier par l’Organisation internationale pour les migrations (OIM).

Pour le ministère grec des Migrations, ces aménagements entrent dans une stratégie de « modernisation » des camps. Interrogé par le média d’investigation grec Solomon, un porte-parole du ministère a affirmé que le but de la construction de ces murs était de « de renforcer le sentiment de sécurité pour toutes les personnes concernées, tant les communautés locales que les résidents du camp ». « Personne ne pourra entrer ou sortir », a-t-il ajouté.

De son côté, la Commission européenne (qui finance les projets de centre pour migrants sur les îles grecques à hauteur de 276 millions d’euros), a indiqué que « les autorités grecques ont ordonné la construction de clôtures dans quatre camps [Ritsona, Diavta, Polykastro et Malakasa] et [que] les spécificités techniques ont été préalablement partagées et examinées avec la Commission et l’EASO afin d’identifier si elles répondent aux normes d’accueil de l’UE. »

La stratégie d’enfermement des demandeurs d’asile s’applique également aux îles grecques de la mer Égée. Au lendemain des incendies qui ont détruit le camp de Moria, sur l’île de Lesbos, en septembre 2020, la Commission européenne avait assuré qu’un « nouveau Moria » ne verrait plus jamais le jour. Mais près d’un an plus tard, 10 000 personnes vivent toujours confinées dans les « hotspots » de cinq îles de la mer Égée (Lesbos, Samos, Chios, Leros, Kos).

Dans un rapport publié vendredi 11 juin, Médecins sans frontières (MSF) dénonce cette politique migratoire basée sur l’enfermement et dont les conséquences sur la santé des demandeurs d’asile sont désastreuses. MSF juge « répugnant que les autorités européennes et grecques continuent leur projets de nouveaux camps fermés » sur ces îles, avec « l’intention d’institutionnaliser […] les hotspots à travers le nouveau pacte européen de l’asile et des migrations ».

Les hotspots nés au pic de la crise migratoire pour faciliter l’identification des migrants à leur arrivée en Europe, sont en Grèce « étroitement mêlés » à l’accord UE-Turquie de 2016 « qui s’est révélé être un désastre », poursuit le rapport de MSF, fustigeant les « conditions dégradantes et inhumaines » de ces centres fermés.

L’ONG vise notamment le nouveau camp de Samos qui doit ouvrir avant l’été pour remplacer celui de Vathy. Situé dans une zone isolée, il est entouré de grillages surmontés de barbelés. « Voyez-vous une différence ? », interroge MSF dans un tweet montrant, côté à côte, une photo de Vathy et une photo du nouveau camp. « Les barbelés sont peut-être neufs et brillants, mais les intentions de l’UE n’ont pas changé : bloquer les personnes sur les îles grecques dans des conditions si misérables qu’elles dissuadent les autres de venir« , ajoute l’ONG.


Incendie du camp de réfugiés Moria, quatre Afghans
condamnés à 10 ans de prison

AFP, 12 juin 2021

(Chíos) Un tribunal grec a condamné samedi à 10 ans de prison quatre jeunes demandeurs d’asile afghans pour les incendies qui avaient ravagé le tentaculaire camp de Moria, sur l’île de Lesbos, en septembre 2020, alors le plus grand camp de réfugiés d’Europe.

Le tribunal de Chios les a reconnus coupables d’incendie volontaire, ont indiqué les avocats de la défense, qui ont indiqué faire immédiatement appel de la sentence.  Le camp de Moria, mis en place en 2013 au pic de la crise migratoire, abritait plus de 10 000 personnes avant d’être entièrement détruit par les flammes, dans deux feux consécutifs, les 8 et 9 septembre 2020, qui n’avaient pas fait de victime.

Lors d’un procès distinct, deux autres jeunes Afghans, mineurs au moment des faits, avaient été condamnés à cinq ans de prison, en mars dernier, par un tribunal de Lesbos, qui les avait reconnus coupables de figurer parmi les incendiaires. Aucun média n’a été autorisé à pénétrer dans la salle d’audience vendredi et samedi en raison des précautions prises contre le coronavirus.

Les avocats des Afghans ont déclaré qu’ils n’avaient pas bénéficié d’un procès équitable. Ils affirment que trois d’entre eux possédaient des documents prouvant qu’ils avaient moins de 18 ans au moment de leur arrestation, mais qu’ils n’ont pas été reconnus comme mineurs par l’État grec.

Le procès reposait en grande partie sur le témoignage d’un autre demandeur d’asile afghan qui a identifié les six personnes comme étant les auteurs de l’agression. Ce témoin clé n’était pas présent à l’audience vendredi, et était également absent du procès des deux mineurs afghans à Lesbos en mars, car il n’avait pas pu être localisé, selon la défense.

Les accusés affirmaient avoir été pris pour cible par ce témoin, un Pachtoune pratiquant l’islam sunnite, parce qu’ils sont des Hazaras, une minorité chiite souvent persécutée en Afghanistan.  Les autres témoins de l’accusation étaient des policiers, des pompiers appelés sur les lieux de l’incendie et des membres du Service européen d’asile et d’ONG qui travaillaient dans le camp.

Les violences entre groupes rivaux étaient fréquentes dans le camp de Moria, le plus grand d’Europe, dont la capacité d’accueil avait triplé au fil des ans. En mars 2020, 20 000 personnes s’y entassaient. Au moment de l’incendie, la situation était explosive dans le camp surpeuplé, où les migrants vivaient dans des conditions d’hygiène déplorables, frappés depuis des mois par un confinement strict en raison de la pandémie de coronavirus.