La nuit de dimanche à lundi 9 septembre, la lune croissante venait à peine de former son premier quartier au-dessus du lac de Starnberg, situé à une vingtaine de kilomètres au sud-ouest de Munich. Etait-ce suffisant pour que les poissons puissent discerner l’épaisse fumée venue du champ d’éoliennes implanté depuis une dizaine d’années dans la forêt qui surplombe le village de Berg, sur la rive droite du lac ? En tout cas, ils ne lâcheront pas un mot aux enquêteurs de la police criminelle de Haute-Bavière, chargés d’élucider l’incendie volontaire survenu vers 3h du matin contre un des géants planté là. D’abord pour une question de dignité. Ensuite par principe, eux dont les eaux limpides venues de l’âge glaciaire en ont vu bien d’autres, comme le corps sans vie du roi Louis II, ou les premiers étés de sa cousine « Sissi », avant qu’elle ne soit allégée du poids de sa charge au bord d’un autre lac, par la lime affûtée d’un anarchiste.
Que s’est-il donc passé en cette froide nuit de rentrée, dans la forêt coincée entre une autoroute et la rive Est du lac de Starnberg ? Selon le bureau d’ingénierie qui gère l’assistance technique de l’exploiteur du vent alpin (Bürgerwind Berg GmbH), un premier message d’alerte leur a été envoyé par les capteurs de sécurité d’une éolienne, suivi d’un second vers 3h59 qui récitait en code : « fumée dans la nacelle ». C’est-à-dire précisément dans la salle des machines, à environ 150 mètres de haut du côté des rotors. Les faits sont devenus beaucoup plus simples dès que les fins limiers ont pu se rendre sur place. Selon le rapport de police, des inconnu.es ont attaqué à la disqueuse la porte massive du mât éolien, dans laquelle ils ont pratiqué une ouverture de « 40 sur 60 centimètres », avant d’introduire « des objets préalablement enflammés » à l’intérieur de la structure.
Les uniformes ont également précisé que « ces accélérateurs de feu se sont toutefois éteints avant que l’incendie ne se propage davantage à certaines [autres] parties de la centrale énergétique, et ne provoque des dommages de plusieurs millions ». Mais que les amis des aérogénérateurs industriels ne crient pas victoire trop tôt, puisque les engins incendiaires artisanaux ont tout de même suffisamment rempli leur office pour que l’éolienne bavaroise soit mise à l’arrêt forcé pendant plusieurs jours, avec une porte à remplacer, des installations entièrement couvertes de suie, et des dégâts finalement estimés à 10 000 euros.
Et vu le noble silence des poissons du lac de Starnberg, pourquoi pas conclure en s’intéressant au premier édile de Berg, dont la commune possède des parts dans l’entreprise éolienne. Fort dépité, ce dernier a en effet tenu à apporter sa petite pierre à l’édifice enflammé, en déclarant à la presse locale : « C’est invraisemblable. Il faut beaucoup d’énergie criminelle pour réaliser cela. Lors du cambriolage d’une maison, les malfaiteurs emportent quelque chose. Dans ce cas, ils ne cherchaient qu’à détruire. Nous essayons désespérément de réussir la transition énergétique et d’éviter la catastrophe climatique, et voilà qu’on est torpillés de la sorte. »
« Énergie criminelle » qui s’emploie à identifier les structures de l’ennemi vs « énergie verte » qui continue à ravager la planète pour alimenter la civilisation techno-industrielle, voilà certainement un débat d’une actualité brûlante, auquel même un maire perché au fond de la riche Bavière ne peut plus échapper…
[Synthèse des journaux régionaux bavarois (Süddeutsche Zeitung & Merkur), 9 septembre 2024]