Danemark : déportation de centaines de prisonniers vers le Kosovo

Le Danemark va délocaliser des centaines de prisonniers
au Kosovo

Libération, 27 avril 2022 (extrait)

Un accord signé avec le petit pays des Balkans va permettre au Danemark, partisan d’un strict contrôle des frontières, d’y transférer 300 détenus étrangers. Les ONG s’alarment du risque de violences dans des prisons saturées.

Il était déjà le premier pays européen à autoriser le renvoi de réfugiés syriens à Damas , l’un des seuls aussi, avec le Royaume-Uni de Boris Johnson, à vouloir externaliser les procédures d’asile hors de ses frontières, notamment en Afrique. Le Danemark, qui se targue de mettre en œuvre l’une des politiques migratoires les plus strictes d’Europe , a franchi mercredi une nouvelle étape dans le contrôle de ses frontières. Le Royaume d’Europe du Nord a signé un accord avec le Kosovo pour envoyer 300 détenus étrangers dans ce petit pays du sud des Balkans, comptant parmi les plus pauvres d’Europe, en échange du versement d’un « loyer » de 15 millions d’euros par an.

Cette mesure vise à soulager le système pénitentiaire danois, confronté à un problème de surpopulation carcérale. « Nous avons maintenant signé un accord novateur qui garantira une meilleure capacité dans nos prisons surpeuplées et soulagera la pression sur nos agents pénitentiaires », a indiqué dans un communiqué le ministre danois de la Justice, Nick Haekkerup. Depuis 2015, le pays scandinave a vu son nombre de détenus augmenter de 19 %, atteignant début 2021 les 4 000 individus, nombre excédant la capacité maximale théorique. D’ici 2025, 1 000 places pourraient manquer dans le système carcéral danois, soit 20 % de sa capacité actuelle. La crise est encore aggravée par la baisse du nombre de surveillants, ayant diminué de 18 % depuis 2015.


La décision prise par le gouvernement danois concerne les détenus devant être expulsés après avoir purgé leur peine. Il s’agira uniquement des individus condamnés à moins de cinq ans de réclusion. Les premiers transferts auront lieu dès le début de l’année 2023, à destination de la prison de Gjilan, à 50 kilomètres au sud-est de Pristina, la capitale kosovare. « Avec cet accord, le Danemark envoie également un signal clair aux étrangers originaires de pays tiers qui ont été condamnés à l’expulsion : votre avenir n’est pas au Danemark, et vous ne devez donc pas y purger votre peine », a souligné Nick Haekkerup.

Plusieurs ONG ont fait part de leur inquiétude quant aux futures conditions de détention de ces prisonniers, soulignant que l’an dernier, un rapport du département d’Etat américain faisait état de mauvais traitements et de violences dans les prisons du pays. Le Centre kosovar de réhabilitation pour les victimes de tortures , qui a publié un rapport sur la situation du système pénitentiaire national, indique par ailleurs que les infrastructures déjà saturées ne sont pas en mesure d’accueillir un tel afflux de détenus, et que cela risque de détériorer les conditions de détention des prisonniers kosovars.

La conclusion de cet accord entre le Danemark et le Kosovo marque l’aboutissement d’un processus amorcé en décembre, avec l’accord des autorités kosovares de louer des cellules au royaume danois. Le 15 décembre, le ministre danois de la Justice avait obtenu le soutien d’une majorité parlementaire à ce projet – contrairement à son prédécesseur, qui s’était heurté à un refus alors qu’il proposait de louer des centres de détention en Lituanie et en Roumanie.

Cette nouvelle pratique s’inscrit par ailleurs dans la lignée d’une série de mesures antimigratoires conformes à la politique « zéro demandeurs d’asile » de la Première ministre danoise, la sociale-démocrate Mette Frederiksen. En juin, le Danemark avait ainsi adopté une loi visant à délocaliser des centres de demandeurs d’asile dans un pays tiers, situé en dehors de l’Union européenne.



Le Danemark envoie ses prisonniers indésirables au Kosovo

Le Figaro, 24 février 2022

La délocalisation des détenus étrangers surpeuplant les geôles danoises n’est pas un scénario de fiction. Le Danemark, confronté à une population carcérale en hausse de 20 % depuis 2015, cherche depuis des années des solutions pour désengorger ses prisons : plus de 4 200 détenus, dont 46,3 % d’origine étrangère, s’y entassent alors que le royaume compte 5,8 millions d’habitants.

Ainsi le ministre conservateur de la Justice de l’époque (2015-2019), Soeren Pape, a tenté en vain de louer des centres de détention en Lituanie et en Roumanie pour y en-voyer des condamnés étrangers à l’expulsion. L’idée d’externaliser la détention de ces « indésirables » a été reprise par son successeur social-démocrate, Nick Hækkerup, dans le cadre d’un plan de redressement de l’administration pénitentiaire, à bout de souffle. Il va lui manquer près de 1 000 places en 2025. Le 15 décembre dernier, le ministre a obtenu le soutien d’une majorité parlementaire : sociaux-démocrates, socialistes populaires, conservateurs et membres du Parti du peuple danois (extrême droite).

Quelques jours plus tard, Nick Hækkerup annonçait un accord avec le Kosovo pour louer pendant dix ans la prison de Gjilan, au sud de Pristina, la capitale, et y incarcérer 300 criminels du Danemark dès le début de 2023. « C’est un accord gagnant-gagnant pour les deux parties », a assuré M. Hækkerup en signant, le 20 décembre à Pristina, une lettre d’intention avec son homologue kosovare, Albulena Hax-hiu. Le prix : 210 millions d’euros, dont une aide de 60 millions pour financer des projets climatiques afin de verdir les centrales électriques au charbon et pour renforcer les droits de l’homme ainsi que l’État de droit au Kosovo. Un coût par prisonnier et par cellule nettement moins cher qu’au Danemark.

Mais les autorités kosovares ont posé des conditions. Elles ont refusé d’accueillir des condamnés pour terrorisme, les criminels de guerre et les malades en phase terminale ou qui, en raison d’une maladie mentale, auraient besoin d’un traitement en dehors de la prison. En outre, tout conflit entre un gardien et un prisonnier relèvera de la seule juridiction kosovare. « L’État danois n’aura rien à dire si un surveillant du Kosovo maltraite un prisonnier », et tout différend devra être réglé par le système judiciaire kosovar, souligne Linda Kjær Min-ke, professeur de criminologie à la Syddansk Universitet.En visite le 21 décembre sur le site, le ministre danois a lancé, à quelque 1 700 km de Copenhague, « un message clair » aux 368 étrangers de pays tiers (hors UE) actuellement dans les prisons danoises mais condamnés à être expulsés : « Votre avenir n’est pas au Danemark. Par conséquent vous ne devriez pas y purger votre peine. »

Trois cent d’entre eux devraient rejoindre ce centre de détention construit en 2017 et abritant 192 cellules de 14 à 16 m². « Ce sera juste une prison danoise située au Kosovo, à la seule différence qu’il n’y aura pas de programme de resocialisation des détenus, car ils ne vont pas être réinsérés dans la société danoise », a expliqué le ministre dans un reportage de Danmarks Radio. Elle sera gérée par une direction danoise de 20 à 30 personnes, qui doit former quelque 150 surveillants locaux parlant anglais pour communiquer avec les prisonniers. Pourtant récente, la prison doit être réaménagée afin de respecter les normes pénitentiaires danoises.

Sans surprise, cet accord a fait grincer des dents parmi les ONG et les médias du Danemark ainsi qu’au Kosovo. Ils dénoncent notamment la séparation des détenus avec leurs proches. Le gouvernement, pour respecter ses obligations internationales, envisage à cet effet d’aider financièrement les familles pour qu’elles puissent rendre visite à leurs prisonniers. Réel point problématique : le sort des détenus à la fin de leur peine. Le gouvernement assure qu’« ils doivent être renvoyés autant que possible vers leurs pays ». Or l’accord avec le Kosovo reste flou sur cette question. « Il se pourrait bien que certains retournent au Danemark et soient placés dans un centre de rétention comme les autres condamnés en instance d’expulsion », relève Karina Lo-rentzen, du Parti socialiste populaire. Une hypothèse envisagée aussi par le gouvernement.