Paris : saboter le train-train quotidien (suite)

Gare de l’Est : pourquoi l’interruption de trafic due
à un «sabotage» est-elle si longue?
Le Parisien, 24 janvier 2023

« C’est titanesque », acquiesce un agent, ce mardi après-midi, face à l’ampleur des dégâts, qui explique l’interruption des circulations de trains à gare de l’Est, toute la journée de mardi. Devant lui, à même le sol, un enchevêtrement de câbles de toutes sortes. Sur le côté, deux autres rangent patiemment des portions de fibres optiques, « c’est comme des cheveux longs emmêlés ».

Dans la nuit de lundi à mardi, un incendie s’est déclaré aux abords de la voie ferrée à hauteur de Vaires-sur-Marne. L’alerte a été donnée auprès du commissariat de Noisiel vers 4h35, précise le parquet de Meaux. Le procureur de la République de Meaux précise, que selon les premiers éléments de l’enquête, confiée à la police judiciaire de Meaux, « un premier coffret abritant des câbles électriques avait été incendié après que deux panneaux en béton condamnant l’accès à la trappe où ledit coffret était inséré dans le sol avaient été retirés et déposés », a-t-il déclaré. « Un second coffret, situé de l’autre côté des voies, accessible au moyen d’un tunnel situé sous lesdites voies, avait lui aussi fait l’objet de dégradations par incendie ». Au total, 48 artères de câbles, soit environ 600 câbles électriques, ont été endommagées. L’équivalent de 4 km en linéaire.

Vaires-sur-Marne, 24 janvier 2023


Les deux chambres de câbles incendiées sont situées de part et d’autre d’un tunnel, au-dessus duquel passent les trains. Juste à côté, un petit bâtiment de la SNCF abrite quelques installations. Mais l’ensemble est à l’abri des regards, à l’orée du bois de Vaires-sur-Marne et de sa végétation dense. Difficile d’arriver ici par hasard. Pire, des pneus ont été brûlés au dessus des câbles, comme un signe de la détermination des auteurs à bien embraser les lieux. En revanche, la zone est certes fermée par un grand portail et protégée par un grillage et du fil barbelé. Mais il semble facile à ceux qui le souhaitent de franchir l’obstacle. Le long de la voie ferrée, on a même pu constater une portion presque couchée qui aurait tout à fait pu être enjambée. Enfin, d’après la SNCF, les lieux ne disposent d’aucune caméra de vidéosurveillance.

Ces câbles sont pourtant essentiels. Ce sont eux qui permettent de faire circuler les communications et l’alimentation électrique des trains, mais aussi des postes d’aiguillage, de la signalisation. « Sans eux, les postes de signalisation ne reçoivent plus en qualité et en sécurité les informations pour pouvoir faire circuler les trains en sécurité sur le réseau », détaille la SNCF. Les agents vont donc devoir changer les fourreaux et les centaines de câbles manuellement et vérifier nuit après nuit, quelle circulation pourra être rétablie. « On va être là au moins toute la nuit. Pour une fois, il ne pleut pas », ironise l’un des agents.

Dans la journée, l’enquête a été confiée à la PJ par le parquet de Meaux. Toutes les pistes restaient ouvertes quant à l’identité des auteurs de ce « sabotage ».



Gare de l’Est : câbles brûlés, trafic paralysé…

questions sur une panne géante
Le Parisien, 25 janvier 2023 (extrait)

Il aura fallu plus de 48 heures à la SNCF, qui prévoit un retour à la normale ce jeudi, pour rétablir la totalité des circulations après l’incendie de câbles sur un poste d’aiguillage de Seine-et-Marne. Retour sur un incident, qui pointe une nouvelle fois la vulnérabilité du réseau ferré français.

Comment un incendie à une quarantaine de kilomètres de Paris a pu paralyser la circulation des trains de tout l’est de la France, et jusqu’en Allemagne et au Luxembourg ? Tout commence dans la nuit du lundi 23 au mardi 24 janvier. Un feu volontaire est déclenché sur un poste d’aiguillage aux abords des voies ferrées de la SNCF à Vaires-sur-Marne (Seine-et-Marne). Deux « chambres de câbles » sont brûlées, à l’aide de pneus et d’hydrocarbures. Ce sont des sortes de regards qui abritent des fourreaux de fibre optique et de câbles en cuivre. Quarante-huit sont endommagés, soit environ 600 câbles. L’ « effet papillon » est immédiat. Plus aucun TGV, Intercités, TER ou Transilien ne pouvait partir ou arriver de la gare de l’Est mardi, et la circulation a été perturbée mercredi.

Le trafic doit être totalement rétabli ce jeudi matin, après deux jours de perturbations majeures et de travaux de remise en état. « Les agents ont dû identifier quel câble est relié à quelles installations, savoir s’il était endommagé ou non et trouver comment le remplacer », détaille-t-on chez SNCF Réseau, le gestionnaire des 28 000 km de voies, dont 3 500 pour la seule région Ile-de-France. Retour sur les questions soulevées par cette panne géante.

Comment cet incident a-t-il pu mettre toutes les lignes à l’arrêt ?

Par les câbles incendiés, transitent les communications et l’alimentation électrique des trains, mais aussi des postes d’aiguillage ou de la signalisation. Celui de Vaires-sur-Marne est essentiel à la sécurité et à la bonne circulation des rames dans l’Est. Un seul incident peut stopper net le trafic. « Toutes les lignes n’ont pas été arrêtées, nuance Olivier Bancel, directeur général exécutif maintenance chez SNCF Réseau. Mais l’acte de malveillance a été commis au niveau d’un nœud ferroviaire, au point de jonction de différents axes de circulation, ce qui est pénalisant ».

« Le réseau est conçu pour se protéger lui-même, abonde un administrateur de l’entreprise. Si l’alimentation de la signalisation est coupée à un certain endroit, tous les feux se mettent au rouge et l’appareil de commande des voies se bloque. »

Pourquoi n’existe-t-il pas un système de secours ?

Une partie des circuits touchés à Vaires-sur-Marne était doublée — notamment les fibres optiques —, ce qui a permis d’accélérer les réparations. « Mais ce serait très complexe à généraliser sur un réseau de 28 000 km. Dans le ferroviaire comme ailleurs, il n’existe pas d’installation invulnérable à 100 % », concède Olivier Bancel.

En clair, il faudrait doubler le nombre de câbles et les faire passer à un endroit différent pour éviter qu’un acte de malveillance affecte les deux systèmes de signalisation en même temps. « Nous n’avons déjà pas assez de moyens pour maintenir le réseau en l’état et éviter qu’il périclite. Imaginer que nous puissions l’améliorer de cette manière, c’est illusoire », enfonce une source syndicale.

Pourquoi le poste n’était-il pas sécurisé ?

Impossible de placer la totalité du réseau sous l’œil de caméras de vidéosurveillance ou en gardiennage. Toutefois, cet incident montre la vulnérabilité de ces installations. « Il y a, bien sûr, des clôtures, des gardiens et des dispositifs de surveillance renforcés et une trentaine de drones ont assuré des missions de surveillance du réseau pour la seule année 2021. Mais rappelons qu’on parle ici d’un réseau très vaste », insiste Olivier Bancel. La compagnie ferroviaire consacre chaque année plus de 100 millions d’euros (131 millions d’euros provisionnés en 2023) à des actions de sécurisation de ses voies.

À Vaires-sur-Marne, un grillage surmonté de fils barbelés sépare le massif boisé tout proche des rails pour prévenir les intrusions. Et un portail ainsi que des blocs de béton empêchaient d’accéder à la zone. Des obstacles pas suffisamment dissuasifs.

« Les câbles sont à la portée de tout le monde, comme ceux des télécommunications ou d’électricité dans les rues, relève un administrateur de SNCF Réseau. Nous sommes à la merci de ce genre d’actes de malveillance. Mettre des caméras partout nécessiterait des investissements colossaux. Sans compter qu’il faut des agents derrière chaque caméra et des équipes prêtes à intervenir. »

Cet incident met-il en lumière la vétusté du réseau ferré français ?

Oui et non. Même si le réseau tricolore était à la pointe de la technologie, ce genre d’événement arriverait quand même. « Mais peut-être moins souvent », pointe cette source syndicale. La technologie ERTMS (European Rail Traffic Management System), déjà en vigueur sur certains tronçons, ne nécessiterait pas autant de câbles et les « points névralgiques » seraient un peu plus rares. « Tant que les systèmes de signalisation demandent des liaisons au sol pour fonctionner, nous ne pourrons malheureusement pas empêcher de tels actes », appuie un administrateur.

Ces actes de malveillance arrivent-ils souvent ?

Oui, quotidiennement ou presque. SNCF Réseau enregistre 2 500 dégradations ou dommages et un millier de vols par an, encouragés par la hausse continue du prix de la matière première. Ce mercredi, le prix du kilo de cuivre était de 8,06 euros, de quoi attirer les vols. « Tous les actes n’ont pas les mêmes conséquences mais, chaque jour, des trains sont retardés ou supprimés par ces actes de malveillance », regrette un administrateur de SNCF Réseau.


Trafic interrompu à gare de l’Est : la SNCF affirme
qu’il s’agit d’un «sabotage»
Le Parisien, 24 janvier 2023

Le trafic totalement à l’arrêt gare de l’Est ? La faute à « un acte de sabotage », dénonce ce mardi la SNCF, après l’incendie volontaire sur des câbles électriques d’un poste d’aiguillage en Seine-et-Marne, qui a pratiquement paralysé l’ensemble du trafic toute la journée dans la gare parisienne.

« Ce matin, nous avons subi un acte de sabotage vers 3 heures du matin, nous avons découvert (…) des dégradations importantes », a relaté Olivier Bancel, numéro deux de SNCF Réseau. « C’est un acte de sabotage sur des câbles de signalisation qui comportent des circuits de sécurité. » « Il n’y a pas de piste, pas de revendication d’un groupe » à ce stade des investigations, a indiqué une source proche de l’enquête.

Le ministre des Transports Clément Beaune a dénoncé « un acte de malveillance scandaleux (…) avec une intention délibérée de nuire et de perturber très gravement le trafic », qui « doit être sanctionné et condamné ». Il a notamment évoqué « des traces d’essence » et un incendie « dans deux points ciblés » qui a provoqué « un incident assez exceptionnel, très grave ».