La plateforme de traitement des boues de Sorbiers incendiée
en pleine nuit
Le Dauphiné/Alpes 1, 12 juillet 2023
Dans la nuit de lundi à mardi, le site privé de traitements de boues appartenant à la société Buëch Amendement a fait l’objet d’un incendie très vraisemblablement intentionnel qui a causé la mise à l’arrêt de la plateforme. Plusieurs actes de malveillance et départs de feu ont été recensés ces derniers mois.
Le sinistre s’est déclaré lundi 10 juillet vers 23 heures. Le bâtiment administratif, un préfabriqué qui sert aussi de lieu de stockage, a été en partie ravagé par les flammes. Une chargeuse – un engin de travaux public – a aussi été incendiée. Des outils qui permettaient d’assurer le suivi du fonctionnement du site ont par ailleurs été dégradés. Des tags hostiles aux exploitants de la plateforme étaient encore visibles sur la chaussée ce mercredi : “Dégage Valtera” ou encore “Non aux camions de merde”.
Des investigations sont menées par la brigade de gendarmerie de Serres et la brigade de recherches de Gap. Des techniciens en identification criminelle sont intervenus pour procéder à des relevés sur les lieux du sinistre. « Une enquête judiciaire a été ouverte pour destructions et dégradations volontaires par incendie à moyens dangereux », a confirmé Florent Crouhy, procureur de la République de Gap.
Le sabotage de la plateforme désormais à l’arrêt ne tombe cependant pas du ciel avec déjà des incendies et des dégradations qui se sont répétés ces derniers mois. Le projet d’agrandissement de cette structure privée n’est pas au goût de la population locale qui a multiplié des rassemblements de contestations. Même si ce n’est pas encore officiel, la préfecture des Hautes-Alpes ne devrait certainement pas donner son autorisation pour l’extension avance le maire de Sorbiers. Le son de cloche est identique du côté de la Communauté de Communes du Sisteronais qui a émis un avis défavorable.
Ferme opposante à cette exploitation et à sa volonté d’agrandissement, la Confédération Paysanne 05 dénonce « le fait qu’aucune mesure administrative, ni judiciaire n’ait obligé l’exploitant à fermer le site » et pointe du doigt que « le sabotage semble donc être le seul moyen pour faire cesser réellement les pollutions de la plateforme ». Des dégradations jugées « anecdotiques » pour le syndicat agricole qui continue en affirmant « combattre les projets industriels imposés qui considèrent nos vallées soit comme des dépotoirs des grandes villes (boues d’épuration) soit comme un « no man’s land » idéal pour produire l’électricité dite renouvelable destinée à ces mêmes grandes villes (projets de parcs photovoltaïques au sol fleurissant dans le Buëch) ».
Les autres opposants condamnent l’action
Des propos qui ne semblent cependant pas être dans la lignée de ceux tenus par le Comité Eygues Blaisance Nature et Paysages. Farouchement défavorable à l’extension de la plateforme, ce collectif citoyen est « profondément choqué par les récents évènements » et tient à exprimer « sa ferme condamnation de tout acte de violence ». « L’opposition à un projet ne doit se construire que par des arguments et des moyens pacifiques dans le respect des règles démocratiques » conclut le comité.
Même son de cloche de la SAPN-FNE 05 (Société alpine de protection de la nature – France Nature Environnement ) qui condamne cet acte « violent et injustifié ainsi que particulièrement irresponsable en cette période de sécheresse et en bordure d’un espace forestier».
Hautes-Alpes : à Sorbiers, les boues de la discorde
France3, 14 février 2023
L’extension d’une plateforme de recyclage des boues de stations d’épuration sème la discorde dans le petit village de Sorbiers, 37 habitants. Les agriculteurs y voient une opportunité d’engrais accessible, alors que riverains et militants écologistes lancent l’alerte sur un grave risque de pollution. Entre les deux camps, la tension monte.
« Les gens nous accusent d’empoisonner les terres ! » s’alarme Céline au téléphone. Depuis la diffusion d’un reportage sur l’extension de la plateforme, le ton monte entre opposants et partisans du projet. Elle n’est pas du pays. Céline a fait un « retour à la terre » pour élever des brebis dans ce petit coin perdu entre Alpes et Provence. Mais depuis quelques mois, la Suissesse dit sa tristesse de voir la tension qui règne. « Les gens se montent la tête sur les réseaux sociaux, ils croient n’importe quoi ! » regrette-t-elle.
Car elle et son compagnon, éleveur également, ont décidé d’être partie prenante au projet de la société Valtera qui a installé sur leurs champs sa plateforme de traitement de boues. Le principe est simple. Après avoir nettoyé les eaux usées, les stations d’épuration produisent des boues, qu’il faut donc également traiter. La nouvelle technique en vogue, présentée comme vertueuse, s’appelle le compostage. Les boues sont mélangées avec des déchets verts type branches et feuillages, le tout est retourné régulièrement, puis après cinq mois cela devient de l’engrais.
Et sur ces terres arides, les engrais sont les bienvenus. C’est la conviction de Patrick, le conjoint de Céline. « Le compostage c’est l’un des plus vieux procédés au monde… c’est vertueux à l’heure où on veut tout recycler. » Avec l’envolée des prix des engrais depuis la guerre en Ukraine, le projet « peut même sauver des zones comme ici, en aidant les jeunes à s’installer. » « La matière que l’on récupère est facile à utiliser, comme de la tourbe, et en prix c’est juste incomparable par rapport aux engrais du commerce. »
Mais pour certains riverains réunis au sein du comité « Eygues Blaisance Nature et Paysage », ces beaux discours ne seraient que green washing, et l’extension de la plateforme un danger pour toute la vallée. Car le site est présenté comme étanche, pour éviter que les résidus de boues ne s’écoulent dans la nature. Seulement l’entreprise le reconnait, « il y a eu des fuites suite aux fortes précipitations de l’automne. » Mais son représentant l’assure, « nous y travaillons et le problème va se régler. »
Lors d’une manifestation contre l’extension le 30 janvier, certains riverains ont fait le tour de la plateforme. Une odeur nauséabonde s’échappe des montagnes de compost fumantes. Rien de surprenant jusque là, mais ce qui les choque, c’est l’eau que l’on voit ruisseler sous les clôtures grillagées. « Tous ces surplus qu’il risque d’y avoir ça part dans la rivière et nous on fait boire l’eau à nos citoyens, c’est pas bien, on n’est pas là pour les empoisonner« , martèle Jean Schüler, le maire d’une commune voisine. Même son de cloche du côté de la Confédération paysanne, syndicat agricole classé à gauche, qui a aussi appelé à manifester. « C’est un compost toxique, avec des métaux lourds et des résidus de médicaments, il est interdit en agriculture bio« , assène son représentant Thomas Raso.
« Je trouve ça choquant que nous soyons le dépotoir de la Côte d’Azur ! » souligne-t-il. Car les tonnes de boues traitées proviennent en effet des grandes métropoles de l’arc méditerranéen. Aujourd’hui, la plateforme en gère 7 500 tonnes par an. Une quantité qu’elle ambitionne de multiplier par trois. Car le business est florissant, et la société tente de se développer. C’est cette demande d’agrandissement qui a mis le village sous tension. Certains habitants ont manifesté leur opposition sur des banderoles, elles ont été arrachées. Les discussions ont souvent été musclées entre villageois. D’ailleurs, la plupart ne souhaitent pas communiquer leur nom, « pour ne pas devenir une cible. » Ambiance.
Une consultation publique était ouverte jusqu’au 13 février. Il faudra ensuite plusieurs mois à la préfecture pour trancher. Mais toutes les mairies alentours ont voté contre, jusqu’à la communauté de communes. Au grand désespoir du maire de Sorbiers, Yves Rabasse. Lui souligne que tout est strictement contrôlé. La Dréal (Direction Régionale de l’Environnement de l’Aménagement et du Logement) et la police de l’eau vérifient les taux de métaux lourds, « le plus présent c’est le cadmium, on est à un tiers des valeurs autorisées » assure l’élu. En revanche les résidus de médicaments ne sont pas mesurés.
L’élu semble lassé des polémiques. « Les Haut-Alpins ont la mémoire courte (…), quand le Sud nous donne du pognon, personne ne dit rien. » Traiter les boues des métropoles dans ces espaces moins denses serait donc un juste retour des choses. Céline l’éleveuse néorurale a le même avis. Les gens qui protestent aujourd’hui représentent pour elle ces « faux écolos » qui n’ont pas compris le territoire. Pire, ils tueraient à petit feu l’agriculture locale.
Quelle que soit la décision de la préfecture sur l’extension, « le site ne fermera pas » assène son exploitant, « on restera quand même« . Le comité lui jette toutes ses armes dans la bataille, entre pétitions et contre-analyses. Le combat est loin d’être terminé.