Emeutes après la mort de Nahel : un jeune de 19 ans condamné à deux ans de prison ferme pour l’incendie du tribunal d’Asnières
France Info/Le Figaro, 8 février 2024
Le parquet avait requis une « punition ». Le tribunal de Nanterre a condamné, dans la nuit du mercredi 7 au jeudi 8 février, un jeune de 19 ans à deux ans d’emprisonnement ferme pour avoir incendié le tribunal d’Asnières (Hauts-de-Seine) lors d’une nuit d’émeutes après la mort de Nahel, fin juin 2023. Le jeune majeur a écopé de cinq ans d’emprisonnement, dont trois assortis d’un sursis probatoire avec obligation de travailler et de suivre un stage de citoyenneté. Ses deux coprévenus, tous deux âgés de 20 ans, ont été relaxés.
Quelques heures plus tôt, le ministère public avait requis jusqu’à cinq ans de prison ferme contre les trois jeunes. « Que faut-il à cette jeunesse pour qu’elle comprenne qu’il y a des sanctuaires ? », s’était-il interrogé. Selon l’avocate de l’agent judiciaire de l’État, les dégâts causés se chiffrent «à des millions d’euros». Depuis les faits, les activités du tribunal de proximité ont été délocalisées à Colombes pour une durée prévisionnelle de quatre ans.
Le tribunal attaqué aux cocktails Molotov
Peu avant 2 heures du matin dans la nuit du 28 au 29 juin, au lendemain de la mort de Nahel tué par un policier à Nanterre, le tribunal de proximité d’Asnières avait été attaqué par plusieurs individus, selon les images de vidéosurveillance versées au dossier. Ses vitres avaient été brisées et des cocktails Molotov lancés sur le bâtiment. Le feu avait pris rapidement et dévasté l’intégralité du rez-de-chaussée du tribunal, sans se propager aux trois étages.
Au cours de l’audience, qui a duré plus de trois heures, les débats ont notamment porté sur les nombreux scellés et traces d’ADN qui, selon le parquet, prouvent l’implication des trois jeunes hommes. Pour le ministère public, ces indices biologiques sont sans équivoque. Pour la défense, au contraire, le « travail d’enquête n’a pas été fait ».
Quand traces d’ADN ou empreintes digitales ne sont pas suffisantes…
Deux ans de prison ferme pour avoir incendié le tribunal d’Asnières pendant les émeutes
Le Parisien, 8 février 2024 (extrait)
… Seul Abdoullah H., 18 ans, reconnaît être descendu dans la rue, au milieu des émeutiers, sans toutefois avoir tenté de mettre le feu au tribunal. Difficile pour lui de prétendre le contraire : son sang a été retrouvé sur des débris de verre à deux pas des lieux. « J’ai mis quatre coups de pied dans une vitre à l’extérieur du tribunal et ma jambe est passée au travers, admet-il depuis le box sécurisé. Mais jamais je n’ai mis le feu au tribunal, je n’y ai même pas mis un pied. Après m’être blessé, je suis direct rentré chez moi. »
En clair, selon leur version, aucun des prévenus ne figurait parmi le groupe d’une vingtaine de personnes qui, dans la nuit du 27 au 28 juin, avait déjà brisé une des vitres de la porte d’entrée avant de s’en prendre une première fois au tribunal de proximité. Et la nuit suivante, ils n’étaient pas non plus au sein de la petite bande qui, peu avant 2 heures du matin, avait embrasé l’enceinte après y avoir jeté deux cocktails Molotov.
Chris A., 20 ans, est bien allé rôder près du tribunal, mais après l’incendie et uniquement dans un rôle de spectateur. « Tout le monde était dans la rue, rembobine-t-il. Alors moi aussi, j’ai fini par descendre. J’ai même filmé l’incendie avec mon téléphone. » Son ADN, pourtant, a bien été prélevé par les policiers sur un papier, sorte d’essuie-tout qui aurait servi à constituer la mèche d’un des engins incendiaires. « Les poubelles avaient été renversées, se défend l’intéressé. Des déchets, il y en avait plein par terre. Quelqu’un a pu ramasser le mouchoir et s’en servir. »
Même axe de défense pour Tristan K., 20 ans, dont une trace papillaire a été prélevée sur le bouchon d’une bouteille d’eau en plastique d’où, selon les policiers, émanait une odeur d’hydrocarbure. « Cette bouteille, elle sort certainement de chez moi et j’ai dû boire dedans, concède-t-il. Mais je suis incapable de vous dire comment cette bouteille s’est retrouvée dans l’enceinte du tribunal. D’ailleurs, ça ne m’aurait servi à rien de mettre le feu à ce tribunal, ça n’aurait pas fait revenir Nahel. Je le répète, ce soir-là, je suis resté chez moi. »
« Dans ce dossier, un tas de déchets a été ramassé, puis analysé jusqu’à ce que des traces ADN soient isolées, regrette son avocate, Me Emma Lesigne. Au total, cinq profils ont été identifiés et cinq personnes ont été placées en garde à vue. Deux n’ont finalement pas été inquiétés parce que leur profil ne collait pas. Et parce que ces trois-là ont un casier, on leur attribue cet incendie. »
« S’agissant du bornage des téléphones, on ne peut en tirer aucune conclusion, appuie Me Cyril Dubois, le conseil de Chris A. Les trois mis en cause habitent à moins de 700 m du tribunal. De chez eux, ils activent la même borne. » Et impossible dans ce dossier, de se fier aux images captées par la vidéoprotection. « On distingue un groupe d’individus mais ils ont tous le visage dissimulé, observe pour sa part Me Lesigne. Aucun n’est identifiable. »
En face, le procureur estime, lui, que l’ADN ne ment pas. Convaincu par une « enquête de police qualitative », il déplore la « désinvolture » des prévenus, trop détendus à son goût lors de l’audience. « À Nanterre ou Toulouse, on ne brûle pas un tribunal. Ils ne se rendent pas compte de la gravité des actes qui leur sont reprochés, gronde-t-il, froissé de constater que les intéressés ignorent tout de l’utilité d’un tribunal de proximité. On a presque l’impression que pour eux, cet incendie était un jeu. Ils ont pourtant frôlé les assises. » Le soir des faits, l’agent de sécurité, retranché seul dans les locaux, était en effet parvenu de justesse à s’extirper du bâtiment en flammes en sautant par la fenêtre d’une salle du premier étage où il s’était réfugié.
Le doute, bien réel, a finalement profité à deux des trois prévenus. Seul Abdoullah K. dont le sang a été retrouvé sur les débris de verre du tribunal a été condamné à cinq ans de prison dont trois avec sursis.