Écologie radicale : plongée dans la France sabotée
Le Figaro, 9 novembre 2022
Incendies volontaires de boîtiers électriques d’antennes 3G/4G et d’antennes relais en Savoie, armoires de fibres incendiées par des pneus dans le Finistère, câbles sectionnés dans le Var ou en Isère, sabotages de sites protégés au nom de la « justice sociale » à Cahors et en Haute-Garonne… C’est la carte d’une France sabotée avec méthode par les groupuscules de l’ultragauche et de l’écologie radicale que dévoile en exclusivité Le Figaro.
Établie par le ministère de l’Intérieur, elle offre le sidérant panorama d’une violence clandestine menée au nom de la défense de la planète. Selon ce vertigineux état des lieux, pas moins de 104 actions violentes ont été répertoriées sur tout le territoire en moins d’une année, entre le 1er janvier et le 30 octobre derniers. Au nombre des infrastructures prises pour cibles figurent essentiellement des antennes relais, mais aussi les installations de fibres optiques.
Pas toujours revendiquées, les équipées de type « commando » sont parfois commises dans des secteurs connus des services de renseignement. Il en va ainsi de la vague de 8 actes de dégradations perpétrés le mois dernier dans de petits villages de la Haute-Vienne et de la Creuse, sur le secteur de la « montagne limousine », devenu un « fief » de l’ultragauche. Certains faits déconcertent tant ils sont graves, comme ces trois actions coordonnées menées le 18 octobre dernier pour couper des câbles sous-marins intercontinentaux. « Ce raid, au cœur d’une enquête judiciaire, a été perpétré en quinze minutes et va se solder par un énorme préjudice, qui pourrait se chiffrer en millions d’euros », s’emporte un policier. Une quinzaine d’actions ciblées sur les parcs éoliens déployés en Nouvelle-Aquitaine et en Bourgogne-Franche-Comté complètent cette radioscopie d’un écolo-gauchisme qui avance à peine masqué.
« Culture de la clandestinité »
Les analystes du ministère de l’Intérieur l’affirment : en visant les télécoms, les activistes entendent détruire un secteur qu’ils perçoivent comme un outil de surveillance de l’État qui, via la 5G, notamment, tenterait de faire de l’espionnage de masse. S’ils ciblent l’énergie, cela correspondrait à la volonté de combattre l’ « ordre électrique » censé, toujours selon la doxa rouge et noire, asservir la population, condamnée à regarder la télévision ou un écran d’ordinateur plutôt que de se révolter. «Ces activistes sont passés d’une écologie revendicative à une écologie radicale, décrypte pour Le Figaro l’inspecteur général Bertrand Chamoulaud, patron du Service central du renseignement territorial (SCRT). Pour beaucoup de militants, les marches pacifiques et les distributions de tracts ne servent plus à rien, ni pour influer sur les décisions des politiques ou des grandes sociétés qui polluent, ni pour faire appliquer les textes internationaux.»
Alors que les dirigeants du monde sont réunis pour la COP27 à Charm el-Cheikh, en Égypte, pour tenter d’endiguer l’embrasement climatique, les ultras de la cause environnementale passent à l’action tous azimuts. Et se greffent, pour mieux les noyauter, sur toutes les mobilisations locales menées contre les parcs éoliens, les projets de « grandes bassines » d’eau ou encore de contournements autoroutiers, comme autour de Strasbourg. « Bien souvent, la contestation part de simples citoyens mécontents, avant d’être rattrapée par des groupes plus constitués, qui les reprennent en mains, analyse Bertrand Chamou-laud. Les modes d’action, plus percutants qu’avant, s’inscrivent dans une culture qui remonte au démontage du McDo de Millau en 1999 par les partisans de José Bové ainsi qu’au saccage des champs d’OGM par les faucheurs volontaires. Désormais, la désobéissance civile a cédé le pas à un vocabulaire plus militaire, plus fort et plus violent. »
Le groupe Extinction Rebellion illustre cette inquiétante métamorphose : revendiquant la non-violence dès sa création, en octobre 2018, ses membres s’enchaînent à des grilles et mènent des actions de « visibilité médiatique » avant que la frange radicale, dans les grandes villes notamment, exhorte la base à basculer dans la violence. À Lyon, en mars 2021, ses militants envahissent le siège social de Bayer, avant de maculer de tags l’intérieur des bureaux pour protester contre les insecticides néonicotinoïdes. À Grenoble, dans le cadre de la « Rino », autrement dit la « rébellion de novembre », ils prennent d’assaut le chantier d’un centre commercial et tentent de détruire des engins en mettant du sable dans les réservoirs. « Là, c’est du vrai sabotage », siffle-t-on au sein du renseignement territorial, où l’on constate que le « changement de braquet s’accompagne d’une stratégie pour se dissimuler et se grimer afin d’échapper aux forces de l’ordre. Par réseaux cryptés, les activistes s’échangent des conseils pour ne pas être pris en filature et ne pas se faire identifier. Cette culture de la clandestinité, poussée à l’extrême, renvoie à une autre époque… » En creux, et même s’ils savent que la nébuleuse n’en est a priori plus à vouloir assassiner des patrons, les services font référence aux années de plomb et au spectre terroriste d’Action directe, qui a fait couler le sang dans les années 1970. Dans l’attente d’un « grand soir » ripoliné de vert, les plus déterminés attaquent les forces de l’ordre, symboles d’un « État policier » qu’ils abhorrent. « Aux traditionnels black blocks peuvent s’agréger des blue blocks, en bleu de chauffe, voire des white blocks, en combinaisons de peintre, note un enquêteur. Qu’importe la tenue, la finalité est de faire très mal avec des boules de pétanques, des fusées incendiaires et des cocktails Molotov. »
Pour la bataille autour du chantier de « bassine » agricole à Sainte-Soline, dans les Deux-Sèvres, il y a quinze jours, le cocktail a été détonnant : Extinction Rebellion, aussi baptisé « XR », s’est rapproché des vétérans aguerris du Soulèvement de la Terre, qui ont fait leurs armes à Notre-Dame-des-Landes. Comme l’a révélé Le Figaro le 1er novembre dernier, des membres de la DefCo, la Défense collective, groupuscule lui aussi classé à l’ultragauche et basé à Rennes, ont fait le voyage dans les Deux-Sèvres pour « casser du gendarme ». Leur slogan ? « Parce qu’il n’y a qu’une justice, il faut la combattre. » De la logorrhée anticapitaliste, les nouveaux radicalisés sont passés à une tactique plus assumée, qu’ils nomment l’« écosabotage » pour chercher à torpiller l’appareil d’État et l’organisation démocratique. Au nombre de quelques centaines, ils sont très mobiles sur le territoire. Le risque de contagion, quant à lui, est bien réel si l’on en juge par la présence de quelque 130 associations autour des « bassines » des Deux-Sèvres.
Une « résistance civile » revendiquée
Sur le front d’une « résistance civile » revendiquée, le collectif Dernière rénovation, nouveau venu dans la galaxie contestataire, poursuit ses coups d’éclat. Lundi, ses adeptes ont bloqué le périphérique parisien pendant une trentaine de minutes pour dénoncer un sous-investissement dans la rénovation thermique dans le vote du budget. Ulcérés, les automobilistes ont dû déloger les intrus assis sur la chaussée, les invitant à se « casser de là ». La même colère s’était emparée des usagers de la rocade parisienne en avril dernier, lorsque les activistes avaient déjà paralysé la circulation en se collant les mains sur le bitume avec de la glu. Fin octobre, une jeune irréductible en visite au Musée d’Orsay a été empêchée de lancer de la soupe sur une toile de Gauguin pour attirer l’attention du public sur l’« effondrement sociétal »qui le guetterait. Juste avant, elle avait l’intention de se coller le visage contre un autre chef-d’œuvre, a priori la célèbre toile de Vincent Van Gogh Autoportrait à Saint-Rémy. Peu avant, à l’Opéra Bastille, cette fois, un jeune homme s’était attaché par le cou avec un antivol de vélo à une échelle qui constituait un des éléments du décor. Les scénarios sont de plus en plus sournois. L’hypothèse d’une escalade n’est pas exclue par les services, qui relèvent que des militants italiens sont passés à l’emploi de minuteurs pour déclencher des incendies.
Selon les policiers spécialisés dans la « subversion violente », il n’y a aucune raison pour que cette fièvre de l’écologie radicale retombe d’ici aux JO 2024.