Avis aux amateurs, les antennes de téléphonie mobile ne sont pas seulement à détruire, elles sont aussi à vendre ! Et c’est même du gros business.
En 2018, Altice s’est séparée de ses 10 200 antennes SFR pour 2,5 milliards d’euros, en les revendant au consortium Hivory, qu’elle possède avec le fonds d’investissement américain KKR. En échange, SFR s’est engagé à relouer à Hivory ces antennes auparavant possédées en propre pendant vingt ans. Le bien connu TDF [1], qui possède les plus beaux emplacements du pays de par sa gestion initiale des relais de radio et de télévision herziennes, cherche également depuis 2019 à vendre ses 13.900 pylônes estimés à 3,5 milliards d’euros, tandis qu’Iliad (Free) vient de réussir en mai de cette année à fourguer les siens, pas moins de 10 700 antennes de téléphonie mobile situées en France, Italie et Suisse, contre 2,7 milliards d’euros à une entreprise espagnole trop peu connue, Cellnex.
Depuis quelques années, Cellnex est devenu un mastodonte espagnol des infrastructures de télécommunication qui rachète à tour de bras des milliers de pylônes de téléphonie mobile et de droits de gestion de leurs sites stratégiques à travers toute l’Europe. Elle a ainsi dépensé près de 10,8 milliards d’euros pour ce faire depuis 2015. Le marché est plutôt simple : pour les opérateurs qui les avaient historiquement implantés, cela génère du cash immédiat afin de continuer leurs lourds investissements dans la fibre, la 4G et la 5G, et de l’autre côté cela fait une belle rente permanente pour Cellnex qui les leur re-loue en retour. Cellnex finance ses achats par des prêts bancaires et des augmentations régulières de capital, auxquelles souscrivent les fonds d’investissements, de pension ou les banques d’affaires, parce que les pylônes de téléphonie mobile constituent pour eux… un placement rassurant. Selon un quelconque expert cité par un magazine économique (La Tribune), « ces acteurs recherchent des activités qui rapportent du cash de manière régulière et sur le long terme. Les tours télécoms constituent, sous ce prisme, des actifs très alléchants. Dans 25 ans, il y aura toujours de la téléphonie mobile, et on aura forcément besoin de ces pylônes. Le placement dans les infrastructures existantes est d’autant plus sécurisant qu’aujourd’hui, construire un pylône, dans une grande ville comme dans un village isolé, est de plus en plus difficile. » C’est en tout cas ce qu’ils espèrent du fond de leurs bureaux cossus, même si la coûteuse flambée d’antennes qui commence à se développer en Europe (Allemagne, Italie, France) depuis quelques années risque de les faire tomber de haut, du moins c’est tout le mal qu’on leur souhaite.
De 2014 à 2018, le chiffre d’affaires de Cellnex a plus que doublé, grimpant de 436 à 901 millions d’euros, tandis que son parc de tours télécoms est quant à lui passé d’une quinzaine de milliers de sites en 2015, essentiellement implantés sur son marché domestique espagnol, à quelque 53 000 sites répartis en Italie, France, Royaume-Uni, Pays-Bas, Suisse et Irlande. C’est aujourd’hui le 2e plus gros propriétaire et gestionnaire de pylônes de téléphonie mobile en Europe, derrière Vodafone (60.000 mâts) et devant Orange (19.600 mâts).
Des achats massifs…
Pour donner une idée, et dans l’ordre chronologique inversé, Cellnex a racheté depuis ses débuts il y a sept ans :
– les 7.400 pylônes de téléphonie anglais d’Arqiva (le TDF anglais) pour 2,3 milliards d’euros en octobre 2019
– les 546 pylônes irlandais de Cignal pour 210 millions d’euros en septembre 2019
– l’exploitation des 220 pylônes et sites anglais de grande hauteur de British Telecom pour 100 millions de livres en juin 2019
– les 7.900 pylônes français et italiens d’Iliad (Free) et 2.800 pylônes suisses de Salt pour 2,7 milliards d’euros en mai 2019
– les 2.200 pylônes suisses de Sunrise pour 500 millions de francs en mai 2017
– les 30 pylpones et sites à longue portée et grande capacité du hollandais Alticom pour 133 millions d’euros en septembre 2017
– les 3.000 pylônes français de Bouygues Telecom pour 580 millions d’euros en 2016/17
– l’entreprise Shere Masten et ses 464 pylônes aux Pays-Bas et 540 au Royaume-Uni pour 393 millions d’euros en octobre 2016
– les 261 pylônes hollandais de Towerlink Netherlands en juillet 2016
– les 7.400 pylônes italiens de Wind pour 690 millions d’euros en 2015
– l’entreprise italienne TowerCo, qui gère l’ensemble des pylônes de téléphonie mobile du réseau autoroutier transalpin en 2014
– 1.900 pylônes espagnols à Telefónica et Yoigo en 2013
– 1000 premiers pylônes espagnols à Telefónica en 2012.
En tout, Cellnex possède par exemple en Espagne près de 8 800 sites (un site représente une ou plusieurs antennes sur un toit ou un pylône) dont 3000 émetteurs de radio-télévision numérique ; en Italie plus 10 000 sites exploités sous les noms de Galata (8000 pylônes), Towerco (500 infrastructures assurant la couverture du réseau à l’intérieur des tunnels, le long des routes et autoroutes) et CommsCon (1500 nœuds multi-systèmes 4G dans les métros, stades, gares, centres commerciaux…) ; en Angleterre plus de 8 300 pylônes et sites, en France plus de 11 000, et 5000 en Suisse sous le nom de Swiss Towers.
… en vue de la 5G
Cellnex fait le calcul qu’avec le prochain déploiement de la 5G, la valeur de ses infrastructures ne peut qu’augmenter, comme en témoigne son accord avec Bouygues Telecom, pour se déployer sur 2.200 nouveaux sites (dont des « toits-terrasses ») entre 2017 et 2020 « dans des zones à forte densité de population, situation idéale pour le déploiement futur de la 5G ». Construire un pylône coûte en moyenne un peu moins de 100.000 euros, selon la Fédération française des télécoms, et il faut ensuite ajouter entre 100 et 200.000 euros supplémentaires pour le raccordement électrique et l’installation des antennes, à proprement parler, à leur sommet. Ce qui donne déjà une petite idée du prix de leur destruction incendiaire, lorsque les flammes conduites par les câbles jusqu’à leur sommet parviennent à endommager/fragiliser suffisamment sa structure d’acier. Mais leur valeur n’est pas que technique, et grâce à Cellnex on comprend qu’elle est aussi commerciale : la transaction de mai 2019 avec Iliad (Free) fait ressortir un prix moyen de 350.000 euros par antenne-relais en France, comparable au prix obtenu par Altice (SFR) dans sa transaction de 2018.
La 5G, prévue pour 2020 en France, va nécessiter une massification des réseaux. A ce stade, 273 pylônes 5G ont été installés pour des expérimentations, selon l’ANFR, mais chaque opérateur devra la déployer sur 3.000 sites en 2022, puis 8.000 en 2024 et enfin 12.000 en 2025, selon la feuille de route du gouvernement (soit un peu moins de nouveaux pylônes, puisqu’il est parfois possible techniquement de mettre la 5G sur ceux accueillant déjà la 4G). Pour rappel, une antenne 5G s’identifie comme étant un petit rectangle blanc de 80 cm de haut sur 40 cm de large, pesant 45 kg (photos jointes), et dont les trois principaux constructeurs proprement dits sont Huawei, Ericsson et Nokia.
Dans la sécurité aussi…
Comptant parmi ses actionnaires principaux la famille Benetton et les fonds souverains de Singapour et d’Abou Dhabi, Cellnex n’est pas qu’un simple exploitant de pylônes, sites et tours de téléphonie mobile. Elle multiplie les investissements et partenariats dans les technologies et applications 5G (notamment l’Internet des objets, IoT, et le déploiement de la 5G italienne avec Fastweb à Rome, Gênes, Bari et Matera), mais s’occupe aussi de sécurité nationale : « projet pilote dans le domaine des communications de sécurité et de secours » avec 5G Barcelona (Espagne), déploiement des réseaux européens réservés à l’armée et la police TETRA ainsi que création de « drone anti-incendie à technologie 5G permettant de réduire les temps de réponse, de suivre la situation à distance et d’optimiser les ressources à utiliser pour l’éteindre ». Bon, en même temps, quand on est propriétaire de dizaines de milliers d’antennes, c’est logique de s’inquiéter de leur possible brusque disparition par de viles flammes.
Si quelqu’un a envie d’exprimer à Cellnex Telecom ce qu’il pense de ses activités hautement nuisibles, elle a inauguré son nouveau siège pour la France en septembre 2017 dans la ville de Sèvres (Hauts-de-Seine, 92310) au 1, avenue de la Cristallerie (partagé avec sa filiale Towerlink).
Quant à la tronche de leurs dirigeants, elle est là : hxxps://www.cellnextelecom.com/fr/notre-equipe/
Note :
[1] Si les 13 900 pylônes de TDF étaient bien en vente depuis février 2019, ses actionnaires ont annoncé fin juin qu’ils y renonçaient faute d’offre satisfaisante. Achetés 3,5 milliards d’euros en 2013, ils en voulaient 6 milliards, mettant en avant… les jeux olympiques de Paris en 2024 qui seront filmés en UHD (ultra haute définition) ! Prix trop élevé, même pour Cellnex qui était bien sûr sur les rangs, proposant d’en racheter 60 %. De toute façon, comme on s’est peut-être dit à Plougastel (Finistère) le 11 octobre, à Traubach-le-Haut (Alsace) le 22 septembre ou à Bourg-Saint-Andéol (Ardèche) le 24 août, pour ne citer que les plus récents, leur valeur calcinée d’usage dépasse largement leur valeur d’échange !
[Repris de Sansattendredemain, 17 octobre 2019]