Melilla (Maroc/Espagne) : à l’assaut de la frontière assassine [mis à jour]

Maroc: plus de 2000 migrants tentent d’entrer dans l’enclave espagnole de Melilla en Espagne
AFP, 24 juin 2022 (extrait)

Près de 2 000 migrants ont essayé d’entrer dans l’enclave espagnole de Melilla depuis le Maroc, vendredi 24 juin au matin, et 130 d’entre eux y sont parvenus, a affirmé la préfecture à l’Agence France-Presse (AFP). Cependant, cinq migrants d’origine africaine ont trouvé la mort lors de cette tentative. Selon les autorités locales marocaines, 76 autres ont été blessés, dont 13 grièvement. Par ailleurs, 140 membres des forces de l’ordre ont été blessés, dont 5 grièvement, au cours de leur intervention pour empêcher les migrants de pénétrer dans l’enclave espagnole, selon ces autorités locales. [Dix-huit migrants d’origine africaine ont en fait trouvé la mort lors de cette tentative massive d’entrée dans l’enclave espagnole de Melilla, au nord du Maroc, selon un bilan actualisé publié vendredi soir par les autorités locales marocaines].

Les forces de l’ordre espagnoles ont repéré « vers 6 h 40 un groupe de migrants formé par plus de 2 000 personnes » s’approchant de la frontière, a raconté un porte-parole de la préfecture. « Malgré le large dispositif de sécurité des forces marocaines, qui ont activement collaboré et de façon coordonnée avec les forces de l’ordre [espagnoles], un groupe important de personnes venant de pays d’Afrique subsaharienne, parfaitement organisé et violent, a forcé l’entrée et cassé la porte d’accès du contrôle aux frontières » avant d’entrer dans Melilla, a-t-il précisé.

Par ailleurs, « des affrontements ont eu lieu dans la nuit de jeudi à vendredi entre des migrants et des forces de l’ordre », a affirmé à l’AFP Omar Naji, de l’Association marocaine des droits de l’homme (AMDH) – une information qui n’a pas pu être confirmée à ce stade par les autorités marocaines. Contacté par l’AFP, l’hôpital Hassani, situé dans la ville de Nador, non loin de Melilla, a de son côté confirmé avoir reçu vendredi matin « plusieurs » agents des forces de l’ordre ainsi que des migrants d’origine subsaharienne blessés.


A Melilla, une tentative d’entrée de migrants tourne au drame
Le monde, 27 juin 2022

Jamais encore une tentative d’entrée à Melilla depuis le Maroc n’avait fait autant de victimes. Au moins 23 personnes sont mortes, vendredi 24 juin, en essayant de franchir la clôture qui sépare le territoire marocain de l’enclave espagnole, selon le dernier décompte fourni par Rabat. Les ONG locales ont, pour leur part, recensé au moins 37 morts parmi les migrants. Un bilan encore provisoire.

Samedi, neuf ONG, marocaines et espagnoles, ont exigé « l’ouverture immédiate d’une enquête judiciaire indépendante ». De leur côté, l’Organisation internationale pour les migrations et le Haut-Commissariat des Nations unies aux réfugiés ont rappelé « la nécessité en toutes circonstances de prioriser la sécurité des migrants et des réfugiés, d’éviter un usage excessif de la force, ainsi que de respecter leurs droits fondamentaux ».

Les témoins, sur place, décrivent une « spirale de violences ». Dans la nuit de jeudi à vendredi, entre 1 300 et 2 000 personnes se sont rassemblées dans la forêt de Nador, ville marocaine limitrophe de Melilla. Des hommes, jeunes, des « Soudanais et Nigérians » pour la plupart, selon le Conseil des migrants subsahariens au Maroc.

A l’aube, « ils ont parcouru les quatre kilomètres qui séparent la forêt de la barrière de Melilla », raconte un militant de l’Association marocaine des droits humains (AMDH), ajoutant qu’ils étaient « armés de pierres, bâtons, quelques-uns même de crochets et de couteaux ».

Les affrontements avec les forces de l’ordre ont débuté à l’approche des barbelés. Selon les autorités locales marocaines, les victimes ont trouvé la mort « dans des bousculades et en chutant de la clôture de fer », lors d’un « assaut marqué par l’usage de méthodes très violentes de la part des migrants ».

Mais « les forces de l’ordre marocaines aussi ont été violentes, souligne un militant de l’AMDH. Entassés au niveau de la barrière, les migrants ont été encerclés dans un espace très étroit ; ils ont été gazés et matraqués. (…) La garde civile espagnole observait leurs collègues marocains faire le sale boulot en se croisant les bras ».

Le soir du drame, les autorités marocaines ont fait état de 76 blessés du côté des migrants, 140 parmi les forces de l’ordre. Selon la préfecture de Melilla, 133 migrants sont parvenus à entrer dans la ville.

La « non-prise en charge » des blessés à Nador aurait contribué à alourdir le bilan humain, affirme l’AMDH. « Lorsque les migrants étaient à terre, blessés, les équipes de secours n’ont pas été mobilisées. Ils sont restés allongés les uns sur les autres pendant neuf heures, en plein soleil », déplore l’association.

Au Maroc, plusieurs ONG rapportent que la pression sur les migrants était montée d’un cran dans la région de Nador depuis la réconciliation entre l’Espagne et le Maroc, après un an de brouille. Cette normalisation, actée lors de la visite, le 7 avril, du chef du gouvernement espagnol, Pedro Sanchez, à Rabat, s’est traduite par un engagement à renforcer la coopération sécuritaire entre les deux pays en matière de migration. Avec, pour conséquence, des « campagnes d’arrestations », des « ratissages des campements » et des « déplacements forcés », selon les organisations de défense des droits humains.

Alors que les images terribles des corps de migrants entassés provoquaient l’émoi sur les réseaux sociaux, M. Sanchez a salué samedi « le travail extraordinaire » de la gendarmerie marocaine, « en coordination avec les forces de sécurité espagnoles », pour essayer de freiner « un assaut violent et organisé par les mafias qui trafiquent des êtres humains ».

Des propos qui ont suscité de vives critiques, y compris au sein de la coalition au pouvoir. Le porte-parole du parti Unidas Podemos, Jaume Asens, a reproché au chef du gouvernement espagnol d’ « acheter le discours de l’extrême droite », tandis que la maire de Barcelone, Ada Colau, a exprimé sa « honte face à tant de racisme institutionnel ». La vice-présidente du gouvernement et ministre du travail, la communiste Yolanda Diaz, a demandé l’ouverture d’une enquête.

Pour les ONG, la mort de ces jeunes Africains aux frontières de la « forteresse européenne » vient « rappeler l’échec des politiques migratoires sécuritaires ». « Elle nous alerte sur la nature mortifère de la coopération entre l’Espagne et le Maroc en matière de migration, qui criminalise les migrants et fait du Maroc un “gendarme” de l’Union européenne », dénonce un porte-parole du Conseil des migrants subsahariens au Maroc, tout en appelant les représentations diplomatiques des pays africains dans le royaume chérifien à « assumer leurs responsabilités de protéger leurs ressortissants, plutôt que d’être complices de ces politiques ».

Après avoir exprimé ses condoléances aux familles des victimes, le président du Conseil européen, Charles Michel, a évité, lui aussi, de souligner les responsabilités marocaines. « Nous soutenons totalement les efforts de l’Espagne et d’autres pays en première ligne pour protéger les frontières de l’Union européenne, a-t-il répondu dimanche à une question posée en marge du G7. Nous savons que la migration est un défi difficile pour tous. »

Dimanche, plusieurs dizaines de migrants étaient en garde à vue à Nador dans l’attente d’être déférés devant le procureur. D’autres avaient déjà été refoulés en car, à l’intérieur du Maroc. Les associations craignent que les corps ne soient enterrés rapidement, sans identification ni autopsie. Pour l’heure, les autorités n’ont pas communiqué sur l’ouverture d’une enquête permettant de faire toute la lumière sur ce drame.