Situé à deux kilomètres de la capitale, le château de Vincennes est un lieu dont chaque pierre suinte l’oppression. Villégiature par excellence de nombreux Rois de France, puis prison du XVe siècle jusqu’à 1944, ou encore forteresse et arsenal militaire, et depuis 2010 plan-bis en cas d’évacuation d’urgence du Palais présidentiel et de ses larbins (en cas de crue exceptionnelle de la Seine ou d’insurrection gilet-jaunesque), on peut dire que ses murs empestent littéralement l’ordre et la servitude.
Le château de Vincennes, actuellement toujours affecté au ministère de la Défense, était donc assurément le lieu idéal pour que puissent s’exprimer les plus hautes valeurs de l’olympisme. Avec d’un côté une « fan-zone » de 3000 zombies scotchés sur deux écrans (ceux géants qui retransmettent les épreuves et celui de leur laisse électronique), et avec de l’autre l’exposition « Une armée de champions, le sport sous les drapeaux », mettant en lumière deux siècles d’activités physiques et sportives pratiquées par les militaires*. Le tout, sous la bonne garde de 45.000 policiers et 18.000 soldats qui quadrillent Paris à l’occasion de ces J.O., rassurant le monde sur le fait que les trouble-fête nocturnes ne se déplacent qu’en de lointaines provinces (ou dans les colonies comme la Kanaky, serait-on tenté d’ajouter).
Sauf que voilà, cinq jours après que des mauvais joueurs aient incendié une antenne-relais et un nœud internet en Haute-Garonne, cinq jours après qu’une délégation inattendue ait saboté les lignes de trains à grande vitesse reliant Paris aux quatre coins du pays, et moins de 24h après l’attaque coordonnée contre des artères de la fibre optique dans dix départements, les sabotages ont fini par s’immiscer aux portes de la capitale…
Cela s’est passé en deux temps. Au matin du lundi 29 juillet, les autorités ont découvert que le câble de fibre optique situé sous les douves du château de Vincennes, qui alimente la retransmission des épreuves sur écran géant, avait été coupé. Selon l’opérateur Orange, (prestataire télécoms des JO de Paris 2024), il a été sectionné à huit endroits distincts vers 1h20 du matin, dans la nuit du dimanche au lundi. Pas grave, passons tout cela sous silence et faisons contre mauvaise fortune bon cœur, même si des milliers de mains serviles ne pourront plus agiter leurs petits drapeaux en rotant de la compétition pendant quelques heures, a-t-on dû se dire en haut lieu. Le précieux câble fut donc réparé dans la journée, et que l’indigeste spectacle continue.
Arriva alors mardi 30 juillet, quand vers 8 heures du matin, un des responsables de la fan-zone a constaté que les câbles avaient de nouveau été coupés dans la nuit, en étant une fois de plus sectionnés à plusieurs endroits. Deux sabotages deux nuits d’affilée, en plein cœur du dispositif de surveillance algorithmique de la capitale, et qui plus est en frappant directement un « espace familial et convivial » des Jeux Olympiques, cela commençait à bien faire, alors que rien ne doit pourtant se passer. C’est donc d’abord le procureur de la zone qui s’est saisi de l’affaire, soit celui de Créteil, avant que celui de Paris ne s’en empare au titre de sa compétence nationale en matière de télécommunications. Ce dernier a ouvert une enquête pour « dégradations d’un bien destiné à l’utilité publique » et « entrave à un système de traitement automatisé de données en bande organisée », puis confié les investigations à la police judiciaire du Val-de-Marne.
Et comble de dé à coudre qui marque l’étroitesse de tout cerveau policier, après avoir expliqué ces derniers jours en long et en large que le communiqué de la délégation inattendue ne serait pas une véritable revendication parce que pas assez détaillée à leur goût, puis qu’en fait celle des mauvais joueurs n’était pas très sûre non plus, voilà que le parquet de Paris précise que « les incidents au château de Vincennes ne sont pas considérés comme du sabotage », car ce terme est « réservé aux atteintes aux intérêts fondamentaux de la nation ».
Lorsque le pouvoir en est réduit à engager de minables batailles d’opinion à propos du sens même des mots « sabotage » et « revendication », c’est peut-être que quelque chose est en train de se passer. Quelque chose dont il ne voit pas la fin…
[Synthèse de la presse régionale, 1er août 2024]
Mise à jour 4/8 : » Une fouine était finalement à l’origine des soupçons de sabotage dans la fan zone du château de Vincennes, a appris franceinfo, dimanche 4 août, auprès du parquet de Paris. Une enquête avait été ouverte après la découverte de câbles sectionnés, elle a été classée sans suite après que les enquêteurs ont conclu que les dégradations avaient été causées par un animal. »
* Note : pour rappel, aux J.O. de Paris, 80 des 571 athlètes français seront des militaires. Certains défendront leur titre gagné trois ans plus tôt à Tokyo, comme l’adjudant Clarisse Agbégnénou (judo), le maréchal des logis-chef Jean Quiquampoix (tir) — ils sont gendarmes tous les deux — ou le sergent de l’armée de l’air Enzo Lefort (escrime). « En comptant les porteurs de handicap qualifiés pour les Jeux paralympiques, cela fait 104 militaires. C’est énorme, et c’est 35 % de plus qu’à Tokyo, ce qui traduit l’effort réalisé en vue des Jeux de Paris », se félicitait d’avance la porte-parole du Centre national des sports de la Défense (CNSD) le 14 juillet dernier. Depuis les premiers Jeux Olympiques de 1896, la moitié des médailles françaises ont été gagnées par des militaires…