Bien qu’il ait passé les dix dernières années de sa vie à Paris, on oublie souvent du côté de la grise capitale française que le célèbre peintre Vassily Kandinsky avait débuté ses recherches picturales en Allemagne. Et plus précisément à Munich, au pied des Alpes bavaroises. De cette période initiale de l’un des futurs fondateurs de l’art abstrait, on retient souvent la toile Der blaue Reiter (le Cavalier bleu, 1903), qui sera aussi le nom du cercle expressionniste auquel il participa un peu plus tard, et forcément beaucoup moins son tableau titré München-Planegg I (1901), qui représente un paysage de campagne plus classique.
Un siècle plus tard, le village de Planegg où Kandisky traîna son chevalet de jeunesse, situé à une dizaine de kilomètres à l’ouest de Munich, a bien évidemment beaucoup changé. Ses champs et ses arbres se sont désormais mués en immenses bâtiments d’acier et de béton, abritant notamment un parc industriel d’entreprises de biochimie, des centres de recherche (comme l’Institut Max Planck pour l’intelligence biologique), ainsi qu’un campus universitaire idoine. Et c’est d’ailleurs pour que tout ce beau monde cauchemardesque n’ait plus à emprunter quotidiennement un vulgaire train de banlieue, que le vaste chantier de prolongement de la ligne de métro U6 a été lancé à Planegg en février 2023, avec une inauguration du nouveau tronçon de plus d’un kilomètre prévue pour 2027. Une ligne de métro qui reliera ainsi directement les deux grands pôles scientifiques de la ville, celui de Garching notamment dédié à la physique (qui abrite un réacteur nucléaire à neutrons destiné à la recherche) implanté au nord de la ville, à celui de Martinsried installé à Planegg, plus à l’ouest et consacré à la biologie. Soit une infrastructure de transport-clé « pour tracer la voie de l’avenir vers la Mecque de la recherche à Munich, et de l’ensemble du Land de haute technologie de Bavière », comme l’a déclaré son ministre régional des Sciences lors de la pose de la première pierre d’un chantier estimé à 212 millions d’euros.
Pourtant, alors que les autorités se réjouissaient de l’avancée ronronnante des travaux, quelque chose d’inattendu s’est produit à Planegg la nuit de mardi à mercredi 26 juillet, bien à l’abri des hautes palissades en bois sur treillis bloquant la vue des passants sur le grand’oeuvre en cours. Et plus précisément encore, pour reprendre les mots mêmes du maire de la bourgade : » Nous avons toujours pensé que le chantier devait être bien sécurisé pour qu’il ne se passe rien. Mais personne ne s’attendait à ce que des gens brûlent le chantier de construction du métro. »
Il y a deux jours, des inconnus ont en effet franchi la clôture en question, avant de bouter le feu à deux engins de chantier puis de s’évanouir dans la douce nuit d’été, provoquant plusieurs dizaines de milliers d’euros de dégâts sur leur passage (et trois autres engins endommagés par les flammes). Les regards des autorités se sont aussitôt tournés vers ladite « criminalité politique d’extrême-gauche », et c’est ainsi la section K43 de la Sécurité de l’Etat, spécialisée en la matière, qui a été chargé de l’enquête.
Quant aux journaflics locaux, ils en ont une fois de plus été réduits à formuler leur perplexité face à cette nouvelle attaque anonyme dans la Mecque de la techno-ingénierie allemande : « Est-ce la poursuite d’une série d’attaques encore inexpliquées ? Ces derniers mois, plusieurs incendies criminels présumés de véhicules et d’infrastructures ont eu lieu à Munich et dans ses environs – plus récemment contre une antenne de téléphonie mobile dans le parc de Forstenrieder [16 juillet] et contre des gaines de câbles le long du Föhringer Ring [8 juillet]. »
[Synthèse de la presse allemande (Münchner Merkur & Süddeutsche Zeitung), 26 juillet 2023]