Vingt-cinq ans après la signature de l’accord dit du Vendredi Saint, ayant « mis fin à 30 ans de guerre civile en Irlande du Nord » selon la formule consacrée, s’il est un endroit qui incarne aujourd’hui encore ce long conflit, c’est bien entendu Belfast. Car si quelque chose a changé dans cette ville meurtrie, ce n’est certainement pas la misère ni la permanence des murs érigés entre quartiers protestants et catholiques, mais plutôt le fait que des millions de touristes se pressent chaque année lors de voyages organisés pour y mater les fresques peintes à la gloire de tel ou tel martyr. Avant d’aller peut-être faire un tour du côté des célèbres jardins botaniques belfastois, ou plus certainement du musée du Titanic inauguré en 2012 pour le centenaire de son naufrage, à l’endroit même où le paquebot fut construit.
Et puisqu’il est ici question d’un Titanic faisant la fierté de ses habitants, autant filer la métaphore avec les ravages d’une société techno-industrielle qui semble presque laisser tout un chacun démuni. Ou pas. Ces derniers mois, au cœur même de la capitale nord-irlandaise, quelques anonymes ont en effet tenu à se rappeler au bon souvenir de l’iceberg technologique, en le frappant à cinq reprises.
Tout a commencé la nuit du mercredi au jeudi 1er juin 2023, lorsque la police de Belfast a reçu un appel radio vers 23h15 à propos de l’incendie d’une antenne-relais située sur la Donegall Road. Puis une seconde alerte est arrivée vers 23h30, annonçant qu’une autre était en train de flamber du côté de Owenvarragh Park, toujours dans les quartiers ouest de la ville. Puis une troisième alerte l’a surprise vers 1h10, concernant une attaque d’antenne sur la Springfield Road. Et ainsi de suite… jusqu’à 3h45 du matin de cette nuit agitée, lorsque la police a appris qu’après l’incendie volontaire d’un boîtier électrique vers 2h45, c’est un quatrième et dernier mât de téléphonie mobile qui avait été saboté sur la Stewartstown Road.
A chaque fois, le mode opératoire contre les antennes-relais a été le même, aussi simple que reproductible : la trappe d’accès aux câbles électriques a été forcée, puis un feu allumé à l’intérieur, coupant partiellement le réseau dans le secteur. Avec ce charmant effet boule de neige lié au fait que lorsqu’une demi-dizaine d’antennes sont sabotées au cours de la même nuit dans le même coin, c’est toute une zone qui peut enfin connaître les joies d’une vie temporairement libérée de quelques-unes de ses chaînes technologiques.
Face à ce genre d’attaques, il manque rarement de politiciens locaux pour prêcher les vertus de la délation citoyenne ou tenter d’éclairer la mauvaise conscience de leurs ouailles. Dans ce cas, c’est un élu municipal qui s’y est collé, en l’occurrence Paul Doherty du SDLP (Social Democratic and Labour Party) : « Ceux qui sont à l’origine d’un certain nombre d’incendies criminels de mâts de téléphonie mobile à Belfast-ouest doivent faire preuve de sagesse et cesser de causer des destructions et des perturbations dans leurs propres communautés. S’engager dans ce type d’activité est absolument futile… Toute personne ayant des informations sur ces attaques doit se manifester auprès de la police dès que possible ».
Malheureusement pour lui, l’identification de cet instrument de la domination comme étant au service de « sa propre communauté » n’est pas encore une sagesse partagée par l’ensemble des noctambules belfastois. Si bien que le 6 juillet, un mois après la première vague, c’est une nouvelle antenne-relais qui a cramé, cette fois sur la Stewartstown Road vers 2h50 du matin.
Au fond, Belfast n’est peut-être pas la ville du Titanic pour rien…
[Synthèse de la presse anglophone (BBC/Belfast Telegraph), 2 juin & 6 juillet]