A propos des projets d’extraction de lithium dans l’Hexagone


Avec le boom des batteries électriques, le nouvel âge d’or

des mines en France
Le Parisien, 2 novembre 2023

Solidement maintenus à la verticale, le tube en acier et son foret laissent échapper un raclement métallique et continu venu des entrailles de la terre. « On descend jusqu’à 250-300 mètres de profondeur, explique Patrick Fullenwarth, géologue en charge de la campagne de sondages souterrains. On en retire ces carottes de granit pour les analyser très précisément, tous les 10 cm, et valider la concentration de lithium dans le gisement. » Tout autour de nous, le décor est à couper le souffle. La carrière à ciel ouvert de Beauvoir, au cœur du Bourbonnais, sur la commune d’Échassières (Allier), aligne à 360 degrés ses rampes d’extractions en escaliers blancs, façonnés depuis plus d’un siècle. Au loin, des excavatrices chargent les bennes de gros camions avec des blocs de pierre de bonnes tailles.

Ici on extrait depuis le XIXe siècle des millions de tonnes de kaolin, une roche d’une blancheur remarquable qui permet de fabriquer de la vaisselle en porcelaine, notamment celle de Limoges, célèbre dans le monde entier. Le site de Beauvoir s’offre un second souffle minier. La colline de la Bosse, désormais largement étêtée, sera bientôt transpercée de l’intérieur pour en extraire un filon totalement inexploité jusqu’à aujourd’hui mais promis à un avenir radieux : le lithium.

40 % des besoins hexagonaux sous le sol

Ce métal rare est en effet l’un des plus recherchés du moment, car indispensable dans la fabrication des batteries pour véhicules électriques. L’Agence internationale de l’énergie (AIE) estime ainsi que, d’ici à 2040, la demande sera 40 fois supérieure à celle d’aujourd’hui pour le lithium, 20 fois pour le nickel et 7 fois pour le manganèse.

Lors de la présentation de la planification écologique de son gouvernement fin septembre, Emmanuel Macron l’a asséné : pas question de se priver de cette richesse si elle existe bel et bien sous nos pieds. Et le chef de l’État de commander dans la foulée un « grand inventaire des ressources minières » avec, pour le cas du lithium, l’ambition de fournir en matière première les trois futures usines de batteries en projet dans les Hauts-de-France et s’émanciper d’une dépendance à 100 % d’importations de Chine, du Chili ou d’Australie.

À Échassières, le groupe Imerys se frotte évidemment les mains. Les sondages rendent petit à petit un verdict positif et, « selon nos estimations, la ressource souterraine du site permettrait d’extraire jusqu’à 34 000 tonnes de lithium par an sur les 25 prochaines années », se félicite Christopher Heymann, directeur des Kaolins de Beauvoir (propriété d’Imerys). Ce qui ferait de la mine auvergnate la plus productive d’Europe et satisferait environ 40 % des besoins hexagonaux, avec la fabrication de 700 000 batteries automobiles.

Echassières (Allier) : appel à la manifestation du Parti communiste du 13 décembre 1980 (déjà !), pour l’ouverture de la mine de lithium

Inquiétudes autour de la gestion de l’eau

Trouver le lithium, qui se cache dans les petites taches brillantes de la pierre de granit, les micas, n’est pas difficile. L’extraire est une autre affaire. Un kilo de roche extraite, broyée et traitée, à partir des galeries creusées à l’horizontale jusqu’à 400 m de profondeur, produit en effet seulement 9 petits grammes de ce métal alcalin. Malgré la débauche d’énergie qui découle de ce processus industriel lourd, Imerys promet, à travers les dépliants à disposition de la population locale, une mine à l’impact environnemental limité : une exploitation en souterrain avec des engins électriques dont certains téléguidés, un pipeline pour le transport de la roche broyée plutôt que des camions, et des besoins en eau de l’ampleur « d’environ un millième du débit moyen d’une rivière comme la Sioule », qui coule non loin de là.

Les opposants au projet n’y croient pas une seconde. Et c’est cette gestion de l’eau qui les inquiète particulièrement. « Ils annoncent vouloir remblayer les galeries une fois le lithium extrait avec des millions de tonnes de déchets de roches mais aussi du béton, grogne Benoît, adhérent de l’association Stop Mines 03, lancée en novembre dernier lors de l’annonce du lancement du projet. Même s’ils nous assurent qu’il n’y aura pas d’infiltration, le granit peut toujours présenter des failles, il n’est pas complètement étanche et un effet de percolation est toujours possible. On le sait car l’eau est déjà contaminée à l’arsenic, à cause de la carrière. »


Les promoteurs vantent les emplois créés

Une préoccupation partagée par Laëtitia, adhérente de l’association « Préservons la forêt des Colettes », du nom du magnifique massif qui s’étend sur 2 000 ha, sur lequel est installée la future mine et l’actuelle carrière. « L’eau est l’enjeu principal, avec cette colline de la Bosse, culminant à 700 m, qui agit comme un château d’eau pour alimenter quelque 1 000 sources différentes arrosant la région », explique la jeune femme.

Pour Xavier, lui aussi adhérent de l’association, la consommation d’eau pour l’usine de transformation de la roche en lithium promet également d’être trop importante. « À l’heure de l’urgence climatique, d’une sécheresse historique, est-ce que ce projet qui engage notre avenir sur les vingt-cinq prochaines années est bien raisonnable ? »

L’un des arguments chocs des promoteurs du projet, soutenus par une majorité d’élus locaux, est la promesse de retombées économiques : « 300 à 350 emplois directs sur le site d’Échassières et 200 à 250 sur celui où sera installée l’usine de conversion du minerai », assure Vincent Gouley, directeur de la communication et du développement durable d’Imerys. Il en faudra plus, et davantage de réunions publiques d’information, pour convaincre les riverains.

Dans les rues d’Échassières, l’heure est plutôt aux interrogations à l’évocation de la mine de lithium. « Nous ne sommes pas assez informés de ce qui se passe, estime Annick, et quand on ne sait pas, on doute… » Jean-François, jeune retraité croisé devant la boulangerie du village, affiche-lui une opposition claire et franche. « Les promesses d’emplois, on sait ce que ça vaut et je n’y crois pas trop. Je me suis installé ici pour la nature. Si c’est pour ressentir les tirs de dynamites en souterrain tous les quatre matins, non merci… »



Echassières, 373 habitants, capitale européenne du lithium

L’écho (Belgique), 10 novembre 2023 – extraits

La route serpente dans la forêt, entrecoupée çà et là de bocages. Nous sommes en Auvergne, dans l’Allier . Au carrefour avec la départementale D998, à quelques encablures du petit village d’Echassières, 373 habitants, se trouve l’entrée du site d’Imerys. Le groupe actif dans les spécialités minérales pour l’industrie, qui a le holding GBL pour actionnaire majoritaire, a repris en 2005 la dernière carrière de kaolin active dans la région. Une argile blanche très fine, utilisée dans la porcelaine, et qui assure un emploi à une petite trentaine de personnes.

«Nous exploitons actuellement la couche supérieure du granite de Beauvoir, qui avec l’infiltration des eaux de pluie, s’est kaolinisée« , explique Christopher Heymann, directeur du site. « Et les explorations que nous avons menées depuis 2015 ont confirmé, en dessous de cette couche kaolinisée, de fortes teneurs en lithium. » La présence de ce lithium était connue depuis la fin des années 70 , mais n’avait alors débouché sur aucun projet concret d’extraction, malgré le combat mené par le député communiste de l’Allier André Lajoinie pour la mise sur pied d’une « filière française » de ce métal.

Mais aujourd’hui, Imerys veut faire d’Echassières une des capitales européennes du lithium. Le 24 octobre 2022, le groupe français a annoncé en grande pompe son intention d’ y produire 34.000 tonnes d’hydroxyde de lithium par an à partir de 2028, durant 25 ans au moins . Il deviendrait ainsi un acteur mondial dans le domaine, d’autant qu’il a aussi signé un partenariat stratégique avec British Lithium pour accélérer le développement du plus grand gisement du Royaume-Uni.

Pour l’heure, le lithium vient principalement d’Australie et des salars chiliens et argentins . Et la Chine, qui raffine notamment le lithium australien, domine de manière écrasante la filière. En Europe, le Portugal en produit déjà, mais en quantités très restreintes, à destination de la céramique et de la verrerie uniquement. « L’Europe veut construire une filière autour du véhicule électrique, et il ne peut pas y avoir d’indépendance industrielle sans extraction« , plaide Eric Legrand, responsable de la communication sur le projet d’Echassières chez Imerys.

Le nom de ce projet? EMILI, pour Exploitation de mica lithinifère par Imerys. « EMILI est l’ un des plus importants projets de lithium en Europe . Il permettra à terme d’équiper 700.000 véhicules électriques par an« , affirme Guillaume Delacroix, senior vice-président chez Imerys. Jadar, le méga-projet de Rio Tinto en Serbie, ayant été officiellement enterré par le gouvernement serbe suite à l’opposition massive des citoyens, EMILI figure en effet désormais sur le podium des projets européens les plus ambitieux, aux côtés de celui de Vulcan Energy Resources qui teste l’exploitation du lithium contenu dans les eaux chaudes souterraines de la vallée du Rhin ou du projet de mine à ciel ouvert de la société britannique Savannah dans la région de Barroso, au Portugal . Et il a le soutien du gouvernement français, qui y voit un moyen d’augmenter la souveraineté industrielle du pays et de l’Europe.

Imerys annonce, à Echassières, une concentration moyenne de 0,9% en oxyde de lithium. Un lithium qui est présent sous forme de lépidolite, une forme de mica, disséminé dans la roche, entre les quartz et les feldspaths. Le récupérer va nécessiter l’extraction de très importantes quantités de granite. « 34.000 tonnes d’hydroxyde de lithium, c’est l’équivalent de 21.211 tonnes d’oxyde de lithium. Avec un minerai à 0,9%, cela veut dire extraire pas loin de 2,4 millions de tonnes [de roches] par an . Mais c’est ce qu’on extrait en une semaine dans une grande mine de cuivre« , situe Eric Pirard, professeur en ressources minérales à l’ULiège.

Sur trois sites différents

Début 2024, Imerys devrait choisir l’implantation du site de chargement et de l’usine de conversion. Car EMILI, ce n’est pas seulement l’extraction à Echassières. Une fois la roche concassée, les micas seront mis en suspension dans l’eau, et transportés par des canalisations d’une quinzaine de centimètres de diamètre jusqu’à une gare ferroviaire. Là, ce concentré sera pressé, pour en retirer l’eau, qui sera renvoyée vers le site d’extraction. Les micas, eux, seront chargés dans des trains, vers une usine de conversion.

Dans le petit village de Saint-Bonnet-de-Rochefort , qui accueille une des gares pressenties comme lieu de chargement, située à 16 kilomètres d’Echassières par la route, les banderoles  » Non au chargement de lithium  » fleurissent à tous les coins de rue. Une pétition a recueilli plus de 3.300 signatures, et le conseil municipal a voté une motion contre cette implantation, jugée trop proche des habitations et susceptible de créer trop de nuisances.

Les pouvoirs publics se battent , par contre, pour accueillir l’usine qui va assurer la conversion du mica lithinifère en hydroxyde de lithium . Parmi les candidats: la ville de Montluçon, située à une quarantaine de kilomètres par la départementale D988, et desservie par la voie ferrée. « Nous avons été contactés par l’Agence régionale de développement, bien avant l’annonce du projet. Nous avons une zone en friche qui répond aux critères, notamment en termes d’approvisionnement en gaz et en électricité« , explique son maire Frédéric Laporte. « Ce qui nous intéresse, au-delà du nombre d’emplois (Imerys annonce 200 à 250 emplois directs pour cette usine, NDLR), c’est leur technicité, qui va attirer une population nouvelle et devrait permettre à notre Institut Universitaire de Technologie de développer une nouvelle formation bac+3. De quoi changer l’image passéiste de notre bassin sidérurgique. »

Comme il n’existe encore aucune exploitation de mica lithinifère à échelle industrielle, il prévoit la construction et le lancement d’un site pilote dans les prochains mois, pour tester à grande échelle les procédés déjà mis au point en laboratoire, un investissement d’une centaine de millions d’euros. « Ces micas sont des minéraux qui ne se cassent pas facilement« , observe le professeur Eric Pirard. « Classiquement, on doit combiner traitement à très haute température, défluoration et attaque sulfurique ou à la chaux. »

Et une inconnue majeure est l’identité du partenaire qui accompagnera Imerys dans cet investissement, estimé à 1 milliard d’euros . Car avec 4,3 milliards d’euros de chiffre d’affaires et 720 millions d’ebitda en 2022, Imerys ne veut pas se lancer à l’eau seul. Il pourra, peut-être, tabler sur des soutiens publics, la France ayant annoncé un fonds d’investissement de 2 milliards d’euros pour faciliter l’accès aux métaux critiques. Mais il devrait surtout pouvoir compter sur l’appétit des constructeurs automobiles français pour ce minerai si précieux.

La fin des moteurs thermiques décidée par l’Union européenne pour 2035 va entraîner une explosion de la demande pour les batteries. En 2025 déjà, la Commission européenne estime que la chaîne de valeur de la batterie en Europe devrait peser 250 milliards d’euros.


Mine de lithium dans l’Allier, les habitants en colère
Reporterre, 4 décembre 2022

« Croyez-moi, je suis en colère de vous voir débarquer chez nous », peste un habitant. Recouverts d’une vieille tapisserie jaunâtre, les quatre murs de la petite salle des fêtes de Coutansouze n’avaient pas connu pareille querelle depuis belle lurette. Il y a un mois, l’annonce en grande pompe du projet d’ouverture de la toute première mine de lithium française a laissé bouche bée jusqu’au moindre habitant de cette paisible bourgade de l’Allier. Que fallait-il penser de ce « projet Emili », tombé sans crier gare et soutenu à bras le corps par Emmanuel Macron en personne ?

Pour éclairer les premiers concernés, une délégation du géant minier Imerys a donné rendez-vous aux riverains auvergnats lors d’une réunion publique le 29 novembre. Et force est de constater que la stupéfaction initiale s’est transformée en grogne générale. À la tombée de la nuit, revêtue d’une laine violette, Daniela Liebetegger, la directrice développement durable d’Imesys, a ouvert le bal sous une nuée de regards courroucés. « Excusez mon léger accent, je suis née en Autriche. On ne choisit pas ses origines, mais je vous garantis que mon cœur bat pour les Bleus », a-t-elle dit en référence à la Coupe du monde au Qatar. L’opération de séduction, aussi périlleuse soit-elle, a pu enfin débuter.

Avec un investissement estimé à 1 milliard d’euros pour la phase de construction, la multinationale Imerys entend extraire chaque année quelque 34 000 tonnes d’hydroxyde de lithium. Et ce, à partir de 2027 et pendant un quart de siècle. Cette précieuse poudre blanche servirait à équiper les batteries de 700 000 véhicules électriques par an. Une aubaine pour l’Hexagone et l’Europe, actuellement à la merci du monopole chinois. « Rassurez-vous, a poursuivi Daniela Liebetegger, rien n’est inscrit dans le marbre. Ce projet, on souhaite le construire main dans la main avec vous, en totale transparence. »

Les 42 sites sous surveillance du Ministère de l’Intérieur (carte sortie par le JDD, 2 avril 2023)

Des questions restées sans réponse

D’entrée de jeu, la délégation d’Imerys a tenu à désamorcer le centre névralgique des tensions : le devenir de la forêt domaniale des Colettes. Classée site Natura 2000 et zone naturelle d’intérêt écologique faunistique et floristique, elle abrite l’une des plus belles hêtraies naturelles d’Europe. Des crapauds sonneurs à ventre jaune, des busards Saint-Martin, des rosalies des Alpes et autres taxons y évoluent paisiblement depuis des décennies. Or, dans le permis exclusif de recherche, octroyé par l’État en 2015, la zone de 12,17 km² venait empiéter sur ce précieux écosystème. Ce débat est désormais clos : « Les Colettes ne seront pas du tout concernées. Jamais ! »

Dans cette bataille argumentaire, la meilleure carte du jeu d’Imerys reste le choix d’une mine souterraine, et non à ciel ouvert. « Cela va réduire, voire supprimer totalement, les impacts sur l’environnement », a promis Fabrice Frébourg, chef de projet environnement. Pour éviter un interminable ballet de camions aux alentours du site, le mica extrait du gisement sera également acheminé vers un entrepôt de chargement via des conduites souterraines. De là, il grimpera sur les rails en direction de l’usine de conversion pour être transformé en poudre de lithium. « Notre projet s’inscrit dans la durabilité, a affirmé sa voisine. La préservation de la biodiversité et des sols est notre priorité. »

À croire l’entreprise, tout a été pensé pour façonner une mine propre. Pourtant, au moment de tendre le micro aux habitants, l’assurance jusqu’ici affichée a laissé place à des visages décomposés, ensevelis par une avalanche de questions habilement rédigées. «Où allez-vous implanter ces usines?»«Il faut en moyenne 200 millions de litres d’eau pour fabriquer 1 tonne de lithium… Où allez-vous la prendre à l’heure des sécheresses répétées?»«Pouvez-vous nous garantir qu’il n’y aura aucun impact sur les nappes phréatiques?»«Combien de trains circuleront chaque jour?»«Et les déchets, qu’en sera-t-il de ces roches inoffensives sous terre que vous allez réveiller?» Chacune de ces interrogations a buté sur une même et unique réponse : «Nous ne pouvons pas encore vous le dire, nous reviendrons vers vous.»

« Je suis persuadé que vous mentez »

Venus exhiber un projet potentiellement écocidaire, les représentants du géant minier ne sont même pas parvenus à décrire le procédé d’extraction envisagé. « On analyse en ce moment des échantillons de micas en laboratoire, pour déterminer quelle technique serait la plus judicieuse, s’est contenté de dire Dominique Duhamet, responsable de l’opération. On teste des recettes et on vous en dira plus l’année prochaine. »

Si l’on s’en fie aux mines de lithium existantes, ces « recettes » se sont révélées très énergivores et demandent bien souvent de grandes quantités d’eau et de produits chimiques. Lesquels ? Suspens. « Comment se peut-il qu’une si grande multinationale soit si peu préparée ? Je suis persuadé que vous mentez, a explosé un habitant, tenant dans sa main une feuille sur laquelle étaient gribouillées quelques notes. Des milliards d’euros sont en jeu et vous nous faites croire que rien n’est ficelé ? »

Dans une ultime tentative de persuasion, Fabrice Frébourg a assuré qu’Imerys utilisera une flotte de véhicules électriques pour se déplacer dans la mine. « On développera aussi des projets annexes pour faire de la compensation carbone », a ajouté Daniela Liebetegger. Sa voix a été aussitôt recouverte par les railleries d’une partie du public. Seul l’argument du millier de futurs emplois créés a séduit quelques personnes, parmi lesquelles Denis James, le maire de Coutansouze : « Il y a des pour, des contre, des extrêmes. Moi, je suis plutôt pour. Les mines font partie de l’histoire de notre territoire. »

« C’est de ma maison dont il est question. Tous les matins, je me lève avec la boule au ventre. J’ai peur », a confié Alesk, à la sortie de la salle. Elle vit à moins de 500 mètres de la carrière de kaolin [2], exploitée également par Imerys. Le lithium devrait être extrait à proximité, sans qu’Imerys ait précisé où. « En 2007 et en 2014, Imerys a déversé ses eaux usées dans des rivières d’Amazonie, au Brésil. Ces pollutions ont contraint des populations locales à fuir. Ça a été une catastrophe écologique et sociale », a-t-elle lancé, impuissante. « Comment peuvent-ils affirmer qu’ici la mine sera plus propre qu’à l’étranger ? Les multinationales minières sont toutes occidentales, a précisé son voisin. Soit elles ne savent pas extraire le lithium sans détruire l’environnement, soit elles n’ont pas de cœur et sont prêtes à sacrifier des vies humaines pour leur juteux business quand c’est à l’autre bout du monde. »

Pour l’heure, le permis de recherche actuel ne permet pas à l’entreprise d’extraire de roches. L’année prochaine, la Commission nationale du débat public (CNDP) sera saisie pour définir les règles du débat. « On va s’organiser, s’informer et lutter, a prévenu une femme, appuyée sur sa canne. Ce n’est que le début ! »


En Alsace, lithium et géothermie

En plus des mines de lithium issu de roche (Australie, plateau tibétain en Chine, Portugal), de lacs salés (Bolivie, Chili, Argentine) voire de déserts (Etats-Unis) ou tourbières (Finlande), il existe une autre manière de produire ce métal si recherché : la géothermie. En Europe, une dizaine de projets ont déjà été annoncés dans la vallée du Rhin. En effet, du lithium a été découvert dans les saumures (dans l’eau salée) du sous-sol de la région.

L’« écosystème » de l’or blanc en Alsace
DNA, 17 février 2023

■ Le local de l’étape : Électricité de Strasbourg.
À son actif, deux centrales de géothermie profonde à Soultz-sous-Forêts et Rittershoffen, la première extraction européenne, voire mondiale de lithium géothermique avec son partenaire Eramet en 2020, dans le cadre du projet EuGeLi . ÉS a obtenu un permis exclusif de recherche au sud de Wissembourg et projette de construire d’ici 2026 trois centrales supplémentaires : Soultz-sous-Forêts 2, Rittershoffen 2 et Wissembourg. Son forage à Illkirch-Graffenstaden a été gelé par la préfecture du Bas-Rhin.

■ Son partenaire Eramet , le géant minier français qui exploite du lithium en Argentine , a développé une technologie permettant de capter le lithium à l’aide d’un solide actif, une sorte de résine avec laquelle elle équipera les centrales d’ÉS. Elle le raffinera avec les mêmes procédés qu’en Argentine.
■ La start-up germano-australienne Vulcan Energy, qui a acheté en 2018 les centrales d’Insheim et de Landau (partiellement) en Allemagne, s’apprête à construire deux démonstrateurs d’extraction de lithium à Landau et vise une production industrielle d’ici 2025. En Allemagne, elle détient 12 permis de recherche qui couvrent 1 400 km² et en Alsace, elle attend un autre permis pour prospecter à l’est de Haguenau.

■ Filiale du groupe Arverne créé en 2017, Lithium de France détient un permis de recherche sur 171 km² autour de Betschdorf, et envisage la construction d’une première centrale d’ici 2025.

■ La start-up Géolith s’est installée à Haguenau pour produire des filtres à lithium à base d’un sorbant acidifié fabriqué par l’usine thannoise de Tronox . Il s’agirait de l’un des procédés les plus avancés au monde, qui sera très prochainement installé sur un démonstrateur en Cornouailles anglaise. Géolith a bénéficié d’un soutien financier de la région Grand Est, notamment.

■ Filiale du groupe australien Infinity, Viridian a obtenu 100 millions d’euros de l’État pour la construction d’une raffinerie de lithium à Lauterbourg d’ici fin 2025. Ses équipes, qui seraient les plus avancées au monde, purifient le lithium avec à l’aide d’une ingénierie hydrométallurgique inexistante à ce jour en Europe. Avec l’université de Strasbourg, Viridian a également lancé un programme d’étude pour le recyclage des batteries au lithium.

■ La société Fonroche est en liquidation, après l’échec de ses forages à Vendenheim. Elle avait obtenu un permis de recherche dans l’ensemble de l’eurométropole. Arverne Group , maison-mère de Lithium de France, vient de reprendre ce site.