Traduit de l’espagnol de informativo anarquista, 8 décembre 2023
Aujourd’hui 7 décembre 2023, la 6e Cour pénale orale de Santiago a décidé de prononcer de longues peines contre la liberté de nos compagnon.nes, tentant de frapper et d’enterrer dans le béton les idées et les pratiques anarchistes avec cette sentence gerbante. En détail, les condamnations sont les suivantes :
Mónica Caballero a été condamnée à 12 ans de prison, pour complicité dans la double attaque explosive contre l’immeuble Tánica en février 2020.
Francisco Solar a été condamné à un total de 86 ans de prison. Cela concerne : deux envois de colis piégés (à la caserne 54 des carabiniers, blessant huit d’entre eux, et à l’ancien ministre de l’Intérieur et de la Défense Rodrigo Hinzpeter, en juillet 2019) : 12 ans + 12 ans. Un chef d’accusation de tentative d’homicide sur des carabiniers : 15 ans. Un délit de blessures graves contre un carabinier : 6 ans. Un délit de blessures moins graves : 600 jours. Cinq délits de blessures légères : 100 jours (pour chacun d’entre eux), soit 500 jours. Un délit de dommages aggravés (la caserne) : 818 jours. Un chef d’accusation pour tentative d’homicide contre Hinzpeter : 12 ans. Deux délits de pose d’un engin explosif (Tánica) : 12 ans + 12 ans.
On saura dans les prochains jours si l’une ou l’autre des parties de la défense fait appel des condamnations, sinon il n’y aura pas de modification des peines imposées par les juges.
Les décisions disproportionnées de l’inquisition démocratique illustrent l’agacement permanent que les actions anarchistes génèrent pour le pouvoir et ses défenseurs. Ce n’est rien d’autre que la nécessité étatique de mettre en garde ceux qui cherchent à emprunter les chemins de la confrontation, mais nous savons qu’aucune condamnation n’arrêtera l’expansion des idées anarchistes contre le monde de l’autorité.
La solidarité combative complice anéantira les murs qui retiennent nos sœurs et nos frères en otage !
Mort à l’État et vive l’anarchie !
[Déclarations de Francisco puis de Mónica prononcées devant les juges le 6 novembre 2023, après plus de trois mois d’audiences, en guise de dernier mot après les réquisitions de procureur et avant la décision finale des juges.
Pour rappel, Francisco (alors en préventive, tout comme Mónica suite à leur arrestation en 2020) avait pris en décembre 2021 la responsabilité individuelle des trois attaques, qu’il a réitérée en juillet dernier au deuxième jour du procès. Nous traduisons ici la transcription de leurs déclarations à partir de la version italienne publiée sur le site lanemesi deux jours plus tard.]
Déclaration de Francisco Solar devant les juges
Bonjour,
Les actions dont j’ai déjà pris la responsabilité, que j’ai revendiqué politiquement et pour lesquelles je serai condamné s’inscrivent dans une longue tradition historique, spécifiquement anarchiste, qui se charge, à la première personne et sans la nécessité d’intermédiaires, de rendre des coups aux puissants et aux répresseurs ; parce que si quelqu’un avait pensé que leurs politiques de terreur, basées sur des impositions et des restrictions en tout genre, ainsi que sur des vagues répressives lors desquelles ils piétinent, souvent et volontairement, y compris leur propre légalité (qu’ils prétendent défendre et respecter), finiraient par passer inaperçues sans susciter aucune réaction, il se serait trompé lourdement.
Nous sommes nombreux à savoir attendre le bon moment pour agir, à concevoir la mémoire non pas comme un coffre où l’on range des souvenirs à contempler et des jérémiades, mais plutôt comme un moteur qui donne de l’élan à l’action vengeresse, comme faisant partie de notre pratique politique permanente, qui se nourrit de notre histoire, avec nos succès et nos défaites.
Et c’est cet exercice de mémoire qui a nourri les actions individuelles que j’ai menées en 2019 et en 2020 ; des actions individuelles qui n’avaient besoin ni de consensus ni d’accord collectif, mais qui ont été le résultat d’une analyse, d’une décision et d’une volonté personnelles ; des actions qui pour d’autres faisaient partie de la guérilla urbaine anarchiste et l’ont indubitablement renforcée ; une guérilla qui ne disparaît pas, malgré les continuels coups répressifs, en démontrant par les faits la praticabilité et l’efficacité des relations informelles orientées vers l’action révolutionnaire. En démontrant, par ailleurs, que pour réaliser des actions incisives il n’y a pas besoin d’une grande structure organisationnelle.
En ce sens, il est important de souligner que les grandes organisations rigides et stables deviennent rapidement leur propre finalité, c’est-à-dire qu’elles s’organisent seulement pour renforcer l’organisation elle-même, contrairement aux organisations informelles qui basent leurs relations sur l’attaque, ce qui leur confère ce dynamisme qui prévient le raidissement et l’apparition de logiques bureaucratiques.
Les actions, en plus d’être des coups contre des représentant ou des symboles du pouvoir et en plus de démontrer que ces attaques sont possibles, sont un moyen de diffusion d’idées et de messages, des messages de rébellion et de liberté qui seront reçus et mis en œuvre par quiconque le désire. Des messages qui ne constituent un véritable danger pour l’ordre imposé que s’ils sont liés à ces actions.
Et si je parle d’ordre imposé – une imposition qui, soit dit en passant, constitue le fondement des États modernes –, c’est parce que dans cette société il n’existe pas de contrat social par lequel les individus auraient délégué leur liberté à l’État en échange de liberté et de sécurité. Mais qu’au contraire existe l’État, fondé sur la spoliation historique des libertés des individus, en les soumettant et en leur imposant des limites dans de plus en plus d’aspects de leurs vies, renforçant et perpétuant alors cette domination étatique. L’État n’est plus seulement une simple institution, et on le retrouve dans chacune de nos relations, ce qui rend sa domination encore plus complexe et étendue ; par conséquent, les actions contre l’État ne sont pas seulement justifiées, mais aussi absolument nécessaires. Et certes – comme monsieur le Procureur l’a dit lui aussi dans le réquisitoire final – « qu’on leur donne la parole ! », mais que cette parole soit inséparable de l’action révolutionnaire, car une parole qui prétend construire de nouvelles relations, libérées de toute autorité, doit nécessairement aller de pair avec l’action révolutionnaire.
On ne peut pas nier la croissance et la prolifération de groupes anarchistes ces derniers temps, ce qui signifie que les discours et les pratiques anti-autoritaires sont devenus présents dans la plupart des mobilisations et des révoltes actuelles. Si on considère l’anarchie comme une tension plutôt que comme un point d’arrivée, et si on la conçoit comme une lutte permanente contre toute expression de l’autorité plutôt que comme une société parfaite ou un paradis sur terre, comme beaucoup de monde le suggère, on comprend alors que ces actions individuelles violentes sont une partie indispensable du parcours de libération. Je tiens à préciser que, sur ce chemin, de telles actions ne sont ni les premières ni les dernières, mais, comme je l’ai dit précédemment, elles font partie d’un continuum historique qui ne disparaîtra pas ; même si nous étions condamnés à des décennies d’emprisonnement, et même si nous étions tués, il y aura toujours des individus et des groupes d’individus prêts à répondre à la brutalité de l’État et du capitalisme : c’est inévitable.
Enfin, je veux profiter de cette occasion pour envoyer une salutation complice aux prisonniers et prisonnières anarchistes et subversifs qui luttent dans les prisons de ce pays.
Vive l’anarchie !
(6 novembre 2023)
Déclaration de Mónica Caballero devant les juges
Je vais essayer d’être assez brève, vu que j’avais décidé de ne pas prendre la parole dans ce tribunal ; je considère cependant qu’il est nécessaire de clarifier un certain nombre de questions assez spécifiques, par rapport à certaines affirmations, faites principalement par le Procureur.
J’ai donc décidé de faire une dernière déclaration dans ce procès, qui se veut une punition exemplaire, parce que je ne peux pas laisser passer l’occasion de défendre et de clarifier un certain nombre d’aspects liés aux idées et aux pratiques que j’ai défendues et adoptées de façon pratique au cours des 20 dernières années de ma vie.
Monsieur le Procureur a demandé à mon co-accusé si j’étais anarchiste. Oui, bien sûr que je suis anarchiste, mais qu’est-ce que cela signifie ? En disant anarchisme, je me réfère à un ensemble d’idées et de pratiques qui, au sein de principes qui sont par exemple l’entraide, la solidarité, l’autogestion, construisent des idées et des pratiques s’inscrivant dans la destruction et dans la construction. Qu’est-ce que je veux dire par cela ? La construction de ce qui est…
Quand je fais référence à l’anarchisme, j’entends cet ensemble d’idées et de pratiques qui, sur la base de principes comme l’entraide, la solidarité et l’autogestion, construisent les conditions pour que tous les individus… construisent les conditions pour que toutes et tous puissions nous développer de manière intégrale, sachant que ces conditions visent en même temps à la destruction de toute forme de domination.
Qu’est-ce que j’entends par « toute forme de domination » ? Ces formes de domination sont par exemple le système actuel d’oppression économique en vigueur, c’est-à-dire le capitalisme, ainsi que l’hégémonie du pouvoir politique, c’est-à-dire l’État actuel.
Au sein de ces pratiques, nous, les anarchistes, disposons d’un large éventail, comme l’a bien dit le Procureur général. Parmi les pratiques anarchistes, il y a la violence, mais ce n’est pas l’apanage du seul anarchisme, et en même temps l’anarchisme n’envisage pas la violence comme sa seule expression pratique ; eh oui, il y a des compagnons qui ont posé ou envoyé des engins explosifs, mais j’insiste : cette pratique de la violence politique n’appartient pas seulement à l’anarchisme, et l’anarchisme ne pratique pas seulement la violence politique.
Par rapport à tout cela, je dois nécessairement poser une question et y répondre en même temps : qu’est-ce qui caractérise la pratique anarchiste ? Les pratiques anarchistes, violentes ou non, s’inscrivent et s’inspirent nécessairement des idées anti-autoritaires. On ne peut pas séparer l’idée de la pratique anti-autoritaire anarchiste, et même plus largement révolutionnaire, sans prendre en compte la complémentarité entre idée et pratique. Autrement dit, les pratiques anarchistes ne tiennent pas debout sans la colonne vertébrale des idées. En clarifiant cette importante question sur le rapport entre idée et pratique, je peux affirmer catégoriquement qu’une pratique anarchiste, violente ou non, ne sera jamais employée de manière indiscriminée.
Le Procureur, dans une de ses répliques, ou plutôt, dans son réquisitoire, a mentionné un concept très important et très ancien pour nous, les anarchistes : il a parlé de la propagande par le fait. Le point de vue du Procureur sur la propagande par le fait, ou ce qu’il a essayé d’expliquer par rapport à ce concept, est une façon très myope de la concevoir, essentiellement parce qu’il a essayé de la concevoir dans le contexte historique où celle-ci a connu son apogée. Si je me rappelle bien, entre la fin du XIXe siècle et le début du XXe, lors d’un congrès à Londres, un groupe d’anarchistes de différentes parties du monde a adopté comme pratique la propagande par le fait et l’a concrétisée par des assassinats, la pose d’engins explosifs et une longue liste d’autres épisodes. Mais la propagande par le fait est bien plus que cela. Ce que je suis en train de faire, ce que mon co-accusé fait dans ce procès même, à travers nos mots, c’est de la propagande par le fait. C’est cela la question : tout cela va bien plus loin que la simple utilisation de la violence, et en particulier d’engins explosifs.
Je dois aussi souligner que, dans ce procès comme dans tous les autres procès pénaux où j’ai été inculpée ou auxquels j’ai assisté, contre des compagnons et des compagnonnes au Chili ou dans d’autres endroits du monde, on a toujours assimilé notre vision politique à des faits délictueux, et il me semble curieux, pour ne pas dire plus, de nier cet aspect de l’enquête. Sinon, quel aurait été l’intérêt de saisir des dizaines, voire des centaines, de livres, les centaines ou les milliers de tracts, d’affiches, de brochures et ainsi de suite ? Je ne comprend pas que cela puisse avoir un autre objectif que l’étude de notre conception du monde ou de notre façon de comprendre la politique ou l’affrontement avec la domination, et je ne comprend pas la négation de cet aspect.
Comme je l’ai déjà dit, je suis anarchiste, donc ennemie de toute forme de domination, de soumission ou d’oppression réalisée par n’importe quelle structure de pouvoir, ce qui fait que l’État, dans toutes ses formes et représentations, est illégitime. Partant de l’idée que celui-ci, l’État, a été créé et consolidé à partir de l’idée du bien commun, ou du moins du bien de la grande majorité, ce qui est loin d’être vrai, je vis dans un monde où un groupe privilégié existe au prix de la misère de la grande majorité. Construire des formes antagonistes aux relations de pouvoir est nécessaire pour qu’existe un développement intégral de tous les habitants de ce monde, qu’ils soient humains ou animaux.
Pour finir, je peux dire à toutes les personnes présentes, que j’attends le verdict de ce tribunal assez sereinement, car je sais que les idées d’émancipation auxquelles j’ai consacré une bonne partie de ma vie me dépassent.
Et une dernière : aux personnes présentes et à mes compagnons et compagnonnes qui sont ici, ainsi qu’à ceux qui entendront ou liront mes paroles plus tard, je peux dire que jusqu’à mon dernier souffle j’affirmerai toujours : mort à l’État et vive l’anarchie !
(6 novembre 2023)