Berlin : des nouvelles de Tesla et un second communiqué du groupe Volcan

Une semaine après l’incendie du pylône d’une ligne à haute-tension à Berlin le 5 mars à l’aube, ayant mis volontairement à l’arrêt l’usine européenne de production de véhicules électriques Tesla, cette dernière n’a été reconnectée au réseau électrique que le 11 mars. Et c’est deux jours plus tard, mercredi 13 mars, qu’elle a finalement pu commencer à redémarrer ses nuisances en présence de son PDG Elon Musk, venu sur place à Berlin-Grünheide pour se faire acclamer par ses braves ouvriers, avant de rencontrer des politiciens locaux. Toutefois, « il faudra encore un peu de temps avant que la production ne reprenne entièrement, mais l’étape la plus importante a été franchie », selon le directeur de l’usine, Andre Thierig. Sachant que chaque jour passé sans électricité ni production lui coûtait 50 à 60 millions d’euros, on vous laisse faire le calcul des pertes de Tesla pour ces huit jours de mise à l’arrêt.

Au lendemain du sabotage incendiaire, tandis que les 5000 habitants du quartier de Freienbrink avaient été reconnectés dès le jour même, c’était une toute autre paire de manche pour le gestionnaire du réseau E.dis que de pouvoir le faire pour l’usine Tesla, au vu de la gigantesque quantité d’énergie dont a besoin une telle gigafactory de 12 500 employés. Un vaste chantier d’urgence s’est donc immédiatement déployé dans le champ où se trouvait le pylône cramé. D’abord pour construire une route d’accès temporaire depuis la forêt adjacente afin d’acheminer de lourds engins, ensuite pour dégager de sous la terre boueuse une partie des câbles qui reliaient ce pylône au poste de transformation de Erkner, et enfin pour installer petit à petit une structure parallèle au géant d’acier endommagé après avoir drainé le sol sous ses pieds. Le tout dans une zone désormais entièrement clôturée, avec des travaux effectués à marche forcée en 3×8 (jour et nuit), sous protection policière constante renforcée par des agents de sécurité privée.


Du côté des autorités, après la réaction indignée d’Elon Musk qui a immédiatement twitté « Ce sont soit les écoterroristes les plus bêtes du monde, soit les marionnettes de ceux qui n’ont pas de bons objectifs environnementaux », c’est évidemment à une tentative de décrédibilisation auquel on a assisté, allant du Président (social-démocrate) de la région du Brandebourg dénonçant une « forme de terrorisme », jusqu’aux journaflics traitant les auteur.es du sabotage d’ « enfants de la RAF ». Quelques jours plus tard, le parquet de la Cour fédérale de justice de Karlsruhe a d’ailleurs repris l’enquête en main, ouverte pour « appartenance à une organisation terroriste, sabotage anticonstitutionnel et incendie criminel ».

Du côté des opposants à l’agrandissement de l’usine Tesla sur 170 hectares supplémentaires afin de doubler sa production et atteindre un million de véhicules électriques par an, la forêt du futur site est toujours occupée depuis le 29 février avec des cabanes dans les arbres. Les autorités locales leur ont donné un délai qui court jusqu’au vendredi 15 mars avant de les expulser, alors que l’initiative « Stop Tesla » a demandé une autorisation d’occupation jusqu’au 20 mai. Les porte-parole de ce mouvement mettent essentiellement en avant le « vol d’eau » constitué par ce projet d’agrandissement (Tesla en consomme déjà 1,8 million de m3 par an) ou encore l’augmentation du trafic routier qu’il va générer, ainsi que le sacro-saint respect de la volonté des résidents de la commune de Grünheide, où est située l’usine, qui ont voté à plus de 60 % contre le projet de Tesla dans un scrutin consultatif mi-février. Inutile de dire que certains ont été secoués par le sabotage du 5 mars, et ont relâché des déclarations de distanciation aux médias, reprenant la propagande du pouvoir en insistant sur le fait que eux ne mettaient pas en danger des vies humaines et étaient non-violents.

Berlin, 8 mars 2024. « Guirlande lumineuse » de soutien à Tesla par ses esclaves salariés

Dimanche 10 mars, les opposants à Tesla ont tout de même maintenu leur manifestation sur place contre l’agrandissement du site (avec construction d’une usine de batteries), qui a réuni un millier de personnes à l’appel d’organisations écologistes.
En face, on notera aussi que deux jours plus tôt, vendredi 8 mars au soir, le même nombre d’ouvriers de l’usine Tesla à l’arrêt s’étaient rassemblés pendant deux heures sur le parvis de l’usine à l’appel du comité d’entreprise (jaune), en finissant… par réaliser une guirlande lumineuse collective de soutien à leur entreprise à l’aide de leurs téléphones portables !

Et le groupe Volcan qui a réalisé le sabotage à l’aube du 5 mars, dont on avait déjà traduit ici le long communiqué de revendication, nous direz-vous ? Eh bien, il a tenu à reprendre la parole dans le contexte fiévreux de la semaine dernière, en sortant un second communiqué quatre jours plus tard (le 9 mars), cette fois adressé aux différents groupes d’opposants sur place (habitants de Grünheide ayant organisé le référendum, coordination sur l’eau « Fermer le robinet à Tesla », occupants de la forêt) ainsi qu’aux riverains touchés par la coupure d’électricité. On en trouvera une traduction de l’allemand ci-dessous.

[Synthèse de la presse allemande, 5-14 mars 2024]


Lettre ouverte à l’initiative citoyenne de Grünheide et à l’alliance « Fermer le robinet à Tesla »
Aux différentes organisations et groupes d’action. Aux occupants de la forêt
Aux habitants touchés par la panne d’électricité

Nous, le « groupe Volcan EteindreTesla ! », ne parlons qu’en notre nom. Nous ne parlons pas pour les autres groupes Volcan. Néanmoins, nous nous sommes inspirés des attaques d’autres groupes Volcan et avons utilisé des expressions et des contenus qui nous ont convaincus. Nous partageons largement les attaques menées par l’ensemble des groupes Volcan depuis 2011. Voilà pour les nombreuses spéculations qui existent sur notre propre « groupe Volcan Eteindre Tesla ! »

Nous ne parlons pas non plus au nom de l’initiative citoyenne de Grünheide, ni au nom de l’alliance « Fermer le robinet à Tesla », ni au nom d’autres organisations et groupes d’action qui, pour des raisons diverses, critiquent Tesla, en protestant et en développant une résistance contre elle. Ce que nous avons en commun, c’est la volonté de fixer des limites à Tesla et d’empêcher la construction de l’usine de batteries prévue et des autres activités logistiques, même si notre perspective va bien au-delà de cela. Ce n’est pas un problème pour nous. Nous ne voyons aucune raison de nous distancer de vos groupes publics et nous respectons votre travail.

Nous sommes conscients de la forte pression à laquelle certains groupes locaux n’ont pas pu se soustraire après notre attaque et ses vastes conséquences. Nous lisons de nombreuses déclarations comme un sentiment d’insécurité plutôt que comme une prise de distance. Nous comprenons également l’inquiétude quant au statut de la zone occupée dans la forêt ou l’inquiétude quant à son acceptation par la population. Pourquoi se laisser mettre sous pression et ne pas réagir sereinement face aux demandes flagrantes de prises de distance ? Il n’y a aucune raison de vous distancier de notre attaque, puisque vous n’en êtes pas responsables. Se distancer les uns des autres n’est pas très utile. Tout le monde est libre de se réjouir ouvertement ou secrètement de notre action et de l’arrêt des opérations de Tesla. Quiconque se sent obligé de prendre ses distances devraient se demander pourquoi ? Et qui y a intérêt ?

Suite à l’incendie volontaire contre Tesla

Nous ne pensons pas non plus avoir nui à la « cause ». D’une part, la « cause » peut être perçue différemment. D’autre part, nous proposons une autre perspective :
Nous avons pu mettre en œuvre le « Stop Tesla » [un des slogans de la lutte, NdT] dans un délai très court. L’échec total d’un géant apparemment inattaquable, devrait, au-delà de la pression qui pèse sur nous, faire verser à tous des larmes de joie et nous donner du courage. L’aura d’invulnérabilité a été brisée par cette action. Et si le niveau régional est important, le contexte international l’est tout autant. L’action a placé la résistance contre Tesla sous les projecteurs internationaux, et a également accordé à la résistance locale de l’attention, des encouragements et de l’affluence.
La pression la plus forte, c’est nous qui la subissons. Le chef de la CDU du Brandebourg exprime par exemple la stratégie des autorités d’enquête au plus haut niveau. Selon lui, il s’agit d’arrêter les auteur.es et de les punir avec la plus grande sévérité afin de dissuader les autres pour qu’ils n’aient pas d’idées similaires.
À l’accusation de « sabotage anticonstitutionnel » répond le « droit de résistance ». L’idée est présente partout dans le monde, même si nous risquons d’être arrêté.es.

Nous sommes évidemment partiaux, et nous confions la suite de l’évaluation politique et d’une qualification plus approfondie de l’attaque à d’autres groupes militants.
L’ampleur et l’impact de l’attaque sont d’ores et déjà importants. Avant même que notre communiqué sur l’incendie criminel ait été connu, les actions de Tesla ont chuté de 3%. Le marché ne pardonne ni la vulnérabilité ni la faiblesse. Après tout, un « acteur mondial » de « l’attaque technologique » contre la société a été durement touché et mis en avant. Ce signal a non seulement été immédiatement compris par les politiciens d’État économiquement libéraux, mais a aussi été évalué jusqu’aux plus hauts niveaux des représentants de l’économie et de la politique. Dans les heures qui ont suivi la publication du communiqué, les différentes institutions ont tenté d’éviter que l’image du merveilleux paradis de l’investissement du Brandebourg et de l’Allemagne ne soit ternie et ont pris des contre-mesures. Jörg Steinbach, du ministère de l’économie du Brandebourg, a immédiatement téléphoné à Elend Musk. Ils se sont assurés de leurs intérêts communs concernant l’avenir.

Nous recommandons aux citoyen.nes, aux groupes présents sur place et dans les cabanes, de moins être impressionnés par notre attaque et moins être influencés par la pression visant à prendre leurs distances, mais d’étudier plus attentivement les réactions de la politique, de l’État et finalement de l’économie. Car c’est là que l’on voit avec quelle détermination l’adversaire tente d’imposer la poursuite de l’implantation de Tesla. On peut voir avec quelle détermination ils s’accrochent au modèle de société du « progrès destructeur ». Nous n’approfondirons pas ici le contenu de ce dernier. Certains textes plus anciens d’autres groupes Volcan et de nombreux autres groupes militants ont dit quelque chose à ce propos.

Nous ne voulons pas seulement empêcher quelque chose. Ensemble, nous sommes tous capables d’amorcer un changement de direction. Tesla peut devenir un des points de cristallisation de cette confrontation avec le modèle de société mondial du « progrès destructeur ». L’enjeu dépasse donc largement le cadre régional.
Dans ce sombre changement d’époque, notre action est un petit phare qui, avec de vieux pneus, a atteint, d’après nos mesures sur place, environ 1000 degrés. Les groupes de sabotage comme le nôtre sont une partie importante de la résistance, même si les priorités d’autres groupes importants sont différentes. Aucun petit groupe de militants, aucun groupe régional, aucun groupe d’action non-violente ne peut venir seul à bout de ce grand ennemi. On ne peut arrêter Tesla qu’ensemble.
Nous ne prenons pas nos distances.
Pour nous, agir non-violent et agir radical [« militant« , en allemand, NdT] ne sont pas contradictoires.

Pour diviser le mouvement contre Tesla, les politiciens et les autorités chargées de l’enquête ont eu recours à des astuces rhétoriques bien connues. « Extrémistes de gauche », « RAF verte », « terrorisme », « éco-terroristes les plus stupides du monde », « enfants de la RAF », « rage destructrice aveugle », « proche du terrorisme », « bande de criminels internationaux », « association terroriste » sont autant de tentatives de stigmatisation. Ils essayent de créer une désolidarisation au sein de la population ! Cette rhétorique passe à côté du cœur du problème. Nous ne sommes pas des terroristes et nous ne le deviendrons pas. Nous ne travaillons pas chez Rheinmetall [géant du complexe militaro-industriel allemand, NdT]. Nous ne nous appelons pas Elend Musk. Nous ne laissons pas des gens extraire du lithium dans des conditions horribles. Nous ne détruisons pas la terre. Nous ne faisons pas du négoce de céréales en bourse. Nous ne voulons pas tuer d’autres personnes ni accepter leur mort à bon compte pour maximiser les profits.
Nous sauvons même les escargots sur les pylônes électriques avant d’y mettre le feu quelques minutes plus tard.

Nous avons exclu toute mise en danger de la vie d’autrui. L’attaque n’aurait jamais été menée si nous avions eu le moindre doute à ce sujet. Nous avons pris le plus grand risque. Là aussi, nous n’avions pas le droit à l’erreur.
Contrairement à Tesla, les hôpitaux et les maisons de retraite dotés d’équipements médicaux, par exemple, sont équipés d’un système électrique redondant. Comme notre action a été claire dans son objectif et ses conséquences, la partie adverse a dû tenter tout ce qui était possible afin de discréditer publiquement cet incendie volontaire réussi. Ils ont repris avec complaisance les instructions du « techno-fasciste » Elend Musk à propos des « écoterroristes les plus stupides du monde ». En l’espace de quelques heures, les politiciens du Brandebourg ont tenté de reprendre la main sur la capacité d’interprétation de l’attaque. La réception de l’action dans les médias a souvent été révélatrice.
Nous tous, qui protestons et résistons, avons beaucoup à apprendre de cette action. Et surtout : aucun des arguments de fond présentés publiquement n’ont jusqu’à présent pu réfuter notre position.

On ne peut que rire de la colère d’Elend Musk. Bien sûr, il doit nous traiter de « stupides écoterroristes » parce qu’il défend son modèle d’entreprise, contre lequel nous avons infligé une égratignure visible sur la carrosserie. Aux dernières nouvelles, comme il devient un donateur potentiel de la campagne présidentielle du putschiste Trump, nous sommes heureux d’avoir cramé une partie de « son » argent. Cet argent lui manquera ailleurs. Car Elend Musk n’a pas d’assurance. Nous sommes agréablement surpris du montant des dégâts causés par le black-out. Mais honnêtement, 10 millions, plusieurs centaines de millions ou un milliard d’euros dépassent notre imagination. Plus longtemps la Gigafactory restera fermée, mieux ce sera pour la planète. Switch-Off ! Tesla.

Il n’y a qu’une seule chose pour laquelle nous voulons nous excuser expressément. Nous n’avons pas vu de possibilité de mener l’action sans que près de 5000 habitations et petites entreprises soient privées d’électricité pendant cinq heures. Selon les médias, tous les foyers ont retrouvé le courant à 10h22. Si nous avions vu une autre possibilité, nous aurions agi différemment. Avant l’action, nous n’avons pas pu vérifier si seule Tesla était reliée au pylône à haute tension spécialement aménagé pour elle, ou si des domiciles supplémentaires l’étaient également. Nous avons visé Tesla, pas les habitations dans lesquels nous vivons. Nous présentons nos excuses à toutes les personnes concernées.

Salutations et bisous

Vos « éco-terroristes les plus stupides du monde »
du « groupe Volcan Eteindre Tesla ! »

[Traduit de l’allemand de de.indymedia, 9 mars 2024]