Au programme des JO : perquisitions administratives et assignations à résidence…

A l’approche des prochains Jeux olympiques  et paralympiques de cet été qui se dérouleront à Paris et sa banlieue, mais aussi à Lille, Marseille, Châteauroux ou en Polynésie (sans parler des lieux de résidence et d’entraînement des délégations étrangères), l’étau se resserre petit à petit contre toutes celles et ceux qui risquent de faire tâche dans le décor clinquant. On connaissait déjà les galériens expulsés des squats ou virés des hôtels sociaux pour les dégager de la capitale à l’approche des JO ; on connaissait déjà le déploiement spécial JO de la vidéosurveillance algorithmique (développé par les start-ups Wintics, ChapVision et Videtics) destinée à « identifier des situations anormales » dans la rue, ou encore la création de laisser-passer en mode attestation et QR code pour les riverains des sites et des cérémonies. Et voici que le pouvoir commence à dévoiler chichement les « mesures de sécurité préventives » qu’il entend mettre en œuvre contre ses différents ennemis de l’intérieur

La première salve d’annonces en ce sens a débuté mardi 5 mars devant la commission des lois du Sénat, qui recevait une brochette de responsables à glands dorés et à galons venus accompagner le ministre de l’Intérieur : la directrice de la DGSI, les préfets de Paris et de la région Île-de-France, ou encore les directeurs généraux de la police et de la gendarmerie. Là, en plus des événements comme le parcours de la flamme dans 400 villes pendant 68 jours ou de la cérémonie d’ouverture sur la Seine le 26 juillet, considérés plus largement au sein d’une période de tensions potentielles qui s’étendra du 8 mai (arrivée de la flamme par bateau à Marseille depuis la Grèce) au 8 septembre (fin des jeux paralympiques), c’est toute une série de « menaces » qui ont ainsi été ciblées par les autorités.

Selon les services concernés, ces dernières vont classiquement, de la « menace terroriste d’inspiration islamiste » jusqu’à la « menace contestataire ». Cette dernière, jugée « la plus probable », se décline à son tour entre « environnementalistes radicaux » (à l’exemple de Sainte-Soline, explicitement citée), « contestations d’ultra-gauche/d’ultra-droite », mais aussi en menace « économique et sociale » ou liée à des « particularismes locaux » (la Corse et les agriculteurs ont été cités lors de cette audition). Mais là où les choses prennent une ampleur réelle, c’est lorsque le ministre de l’Intérieur a fait afficher sur l’écran géant du Sénat les mesures policières déjà en cours.

D’abord, il y a ce qu’ils nomment le criblage. Celui-ci concerne tous les individus qui pourront accéder de près ou de loin aux zones des Jeux Olympiques (agents de sécurité, porteurs de flamme, riverains proches, volontaires de l’organisation, employés dans la restauration ou la logistique, touristes louant sur Airbnb, conducteurs de taxis et bus) : un million d’enquêtes doivent être réalisées à cette fin, dont 150.000 auraient déjà été effectuées par le Service national des enquêtes administratives de sécurité (SNEAS), conduisant à écarter 715 personnes, dont 10 fichés S et 25 sous OQTF. Concrètement, le nom de chaque personne est entré dans le système Accred (automatisation de la consultation centralisée de renseignements et de données), qui interroge onze fichiers au total, dont le fameux fichier TAJ (traitement des antécédents judiciaires) mais aussi ceux d’Interpol, avant qu’un logiciel émette ou pas un avis d’incompatibilité. En cas de feu rouge, c’est ensuite un.e « analyste » humain qui prend le relais : « il approfondit le dossier, se rapproche éventuellement d’un tribunal ou d’un commissariat [pour le détail des antécédents], passe au peigne fin les comptes Facebook et Twitter de l’intéressé [pour les soupçons de radicalisation]… » puis délivre un avis favorable ou non.
Ensuite, il y a la centralisation de tout « signalement » reçu au sein d’une cellule ad hoc, le centre de renseignement olympique (CRO), regroupant les différents services de l’anti-terrorisme (de la DGSI aux renseignements territoriaux et ceux de la gendarmerie ou le SAT de la police judiciaire parisienne). Mais surtout, il y a les mesures dites préventives, nommées dans la novlangue bureaucratique « dispositif spécifique d’anticipation, de suivi et d’entrave ». Soit concrètement des perquisitions administratives et des assignations à résidence programmées en amont et pendant les Jeux olympiques.

Ces mesures préfectorales
sont directement issues des dernières lois antiterroristes ayant fait entrer dans le droit commun de nouvelles possibilités administratives, jusqu’alors réservées à la seule déclaration de l’état d’urgence. Alors que ce dernier avait été déclaré en novembre 2015 suite aux attentats du Bataclan et aux terrasses des cafés, puis prolongé six fois de suite jusqu’à l’automne 2017, en permettant assignations à résidence, fermeture de lieux, interdiction de manifester et perquisitions administratives de jour comme de nuit, c’est la loi SILT du 30 octobre 2017 qui a permis d’intégrer ces dispositions dans la loi ordinaire. Oh, bien sûr, dans son immense sagesse, le pouvoir avait prévu que l’élargissement de ses prérogatives extra-judiciaires ne soient que provisoires, avec une limite fixée à trois ans par cette loi « renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme » (SILT), soit au 31 décembre 2020. Sauf que chacun connaît bien l’habituelle carotte des pouvoirs dits exceptionnels qui deviennent vite des plus banals, et c’est ainsi que non seulement la SILT fut prolongée de sept mois supplémentaires, mais qu’elle fut aussi définitivement pérennisée par une nouvelle loi datée du 30 juillet 2021, dite « relative à la prévention d’actes de terrorisme et au renseignement ».


C’est donc dans ce cadre législatif antiterroriste somme toute récent que les mesures de police conférées aux autorités administratives (soit le préfet) vont être déployées à l’occasion des JO
. Si on en croit le visuel du ministère de l’Intérieur projeté le 5 mars au Sénat et reproduit ci-dessus, sont programmées d’une part des « visites domiciliaires », et d’autre part des MICAS (« mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance »). Elles sont quelque part à l’image des mesures qui avaient été prises sous état d’urgence à l’occasion de la COP21 sur le climat organisée à Paris en 2015, avec des interdictions de séjour en Île-de-France ou des assignations à résidence qui concernaient alors les individus fichés comme appartenant à la « mouvance contestataire radicale » (bien au-delà de la traditionnelle question « terroriste », donc). A l’époque, le Conseil d’État avait tranché le 11 décembre 2015 que la « menace pour la sécurité et l’ordre public » qui était reprochée à sept activistes et avait conduit à leur assignation à résidence, pouvait résulter d’autres faits que ceux issus de la « menace terroriste » qui en régissait pourtant la possibilité, au prétexte qu’il existait un lien entre les deux types de menaces, même indirect, établi par… la mobilisation conjointe des forces de l’ordre à la fois contre le terrorisme et pour « assurer la sécurité et le bon déroulement » de la COP !
Mais venons-en aux mesures administratives elles-mêmes, qui sont depuis passées de la loi d’urgence à la loi ordinaire, au sein du Code de la sécurité intérieure.

Les « visites domiciliaires » administratives avec saisie de tout objet ou donnée –soit l’équivalent des perquisitions menées dans un cadre judiciaire–, peuvent être effectuées en tout lieu (privé, public ou dans un autre dont l’existence est découverte lors de la « visite ») sur ordonnance d’un juge des libertés et de la détention (JLD) et après avis du procureur de la République antiterroriste, le tout sur simple demande du Préfet. Ses horaires légaux sont 6h-21h, mais peuvent aussi s’étendre à la nuit lorsque les flics mettent en avant « l’urgence ou les nécessités de l’opération ». Ces perquisitions administratives se basent sur les fameuses notes blanches des services de renseignement, chargées de décrire comportements et convictions, selon une acceptation très large.
Leur justification officielle est la suivante  : l’existence de « raisons sérieuses de penser [qu’un lieu] est fréquenté par une personne dont le comportement constitue une menace d’une particulière gravité pour la sécurité et l’ordre publics en lien avec le risque de commission d’un acte de terrorisme » et « que cette personne entre en relations habituelles avec des personnes ou des organisations impliquées dans le terrorisme, ou adhère à une idéologie terroriste ». Pour donner un exemple de la facilité instrumentale de son usage par le pouvoir, il y avait eu 272 requêtes préfectorales de visites domiciliaires à travers tout le territoire en un seul petit mois (octobre 2020) suite à l’assassinat de Samuel Paty, dont 7 de nuit « au regard de l’impulsivité de l’individu concerné ou afin de s’assurer de sa présence et de celle des matériels recherchés ».

Enfin, dans une jurisprudence récente du 5 décembre 2023, la Cour de cassation a validé tout cela dans les grandes largeurs :
* elle a estimé qu’une note blanche ne doit pas nécessairement être corroborée par d’autres pièces, « dès lors que les faits qu’elle relate sont précis et circonstanciés ».
* elle a estimé  qu’indépendamment du fameux risque de la commission d’un acte, le seul fait de promouvoir/soutenir/diffuser/faire l’apologie d’un acte qualifié de terroriste par les services était suffisant pour justifier une perquisition administrative. Soit le fait qu’un individu « soutient, diffuse, lorsque cette diffusion s’accompagne d’une manifestation d’adhésion à l’idéologie exprimée, ou adhère à des thèses incitant à la commission d’actes de terrorisme ou faisant l’apologie de tels actes ».
* elle a débouté le recours d’un islamo dont l’association religieuse avait été perquisitionnée administrativement en 2021, recours qui mettait en avant le fait que les éléments de comportement relevés contre lui par la note blanche dataient de… six ans plus tôt (2008-2014) ! Et ce, d’après la Cour de cassation, parce qu’au-delà de « ses agissements personnels » certes « anciens », il était resté en lien via cette association (dont il était co-président) avec d’autres individus qui, eux-mêmes et plus récemment, bla bla bla.

Les MICAS (« mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance »), basées sur les mêmes éléments et justifications que les « visites domiciliaires » –soit un comportement et des liens avec d’autres personnes à base de notes blanches suspicieuses–, comportent pour leur part de nombreuses mesures, dont plusieurs sont cumulables. Elles émanent directement du ministre de l’intérieur, après en avoir informé le procureur de la République antiterroriste et le procureur territorialement compétent, et leur violation monte jusqu’à 3 ans de prison. Voici leur liste non-exhaustive : assignation à résidence dans un périmètre donné (commune ou département), pointage au comico qui va de plusieurs fois par semaine à une fois par jour, déclaration et justification de son lieu d’habitation ainsi que de tout changement de ce dernier, placement sous surveillance électronique mobile (soit sous bracelet électronique) avec un périmètre géographique départemental ou national, interdiction de paraître dans un lieu déterminé (c’est arrivé pour la braderie de Lille ou un sommet international), obligation de signaler tout déplacement en dehors de la commune de son domicile, interdiction d’entrer en relation directe ou indirecte avec certaines personnes (jusqu’à plus de dix). Tout cela pour une durée déterminée qui peut aller jusqu’à un maximum de 3 mois, renouvelables jusqu’à un an au total. Et on s’arrêtera ici pour l’instant.

Pour conclure, on notera que le ministère de l’Intérieur a également fourni des détails supplémentaires depuis ses annonces du 5 mars devant la commission des lois du Sénat. C’est d’abord dans un journal d’extrême-droite, le JDD du dimanche 10 mars, que Gerald Darmanin a tenu à livrer quelques chiffres lors d’une interview : 20.000 personnes seraient ainsi actuellement suivies par les renseignements, « 5.000 peuvent passer à l’acte d’une manière ou d’une autre », dont « à peu près 800, qui sont la première cible à l’approche des Jeux » et font l’objet d’un suivi physique quotidien. Et concernant tout ce qui est catalogué comme ultragauche par les services ? Selon Darmatruc, ces derniers « peuvent viser le capitalisme. Ce qui est aussi le cas de l’écologie radicale qui ne passera sans doute pas à l’acte physiquement, mais contre les biens », avant d’ajouter qu’il se concentre également sur les « possibilités de sabotage d’entreprises ou d’installations, les démonstrations de force, des invasions de terrains, les happenings ou des gens qui se colleraient les mains au sol au passage de la flamme. » Rien de neuf, en somme.

Ensuite, c’est au cours d’une visite au camp militaire de Beynes (Yvelines) le lundi 18 mars, où est testée la « bulle de sécurité » prévue pour protéger la flamme olympique sur son parcours mais aussi l’efficacité du fusil Skywall pour chasser les drones, que le ministre de l’Intérieur est une nouvelle fois revenu sur les fameux risques liés au JO.
Selon la presse (Huffington Post,18/3), parmi les quatre menaces ciblées par ses sbires, il a par exemple mis en garde contre une « menace contestataire qui ne vise pas à tuer des personnes ou à les blesser, mais à faire des revendications. Et là c’est l’écologie radicale, parmi d’autres mouvements contestataires, qui évidemment est la première menace. Ils ont déjà fait un certain nombre de communiqués ou de messages sur les réseaux sociaux pour dire qu’ils vont essayer d’éteindre la flamme. On voit même sur Internet des tutoriels pour voir comment on l’éteint.» Mais en la matière, rien ne vaut peut-être le rapport des Renseignements territoriaux qui a fourni son contenu à un article policier paru dans l’hebdomadaire L’Express début février 2024, et que nous reproduisons ci-dessous à titre d’information.

Dans la langue italienne, guastafesta peut être aussi bien traduit selon le contexte par le littéral trouble-fête que par le plus lointain rabat-joie, ce qui est sans doute une question de nuance. Dans un cas, il s’agit d’interrompre les plaisirs d’une réunion publique, dans le second on s’évertue plutôt à ternir la joie d’autrui. Si on en croit les services spécialisés, les Jeux olympiques du fric, du nationalisme, de la gentrification et de la technologie semblent bel et bien concernés. Alors trouble-fête ou rabat-joie ? Faites vos jeux !

[Synthèse de la presse et du Dalloz, 19 mars 2024
Mis à jour le 25 mars avec les nouveaux chiffres du nombre de personnes écartées par le SNEAS, et quelques détails de plus sur le fonctionnement de ce dernier]



Paris 2024 : comment l’ultragauche entend « mettre le plus gros bordel possible »

L’Express, 9 février 2024


L’organisation des Jeux olympiques est scrutée avec attention par des collectifs écologistes et proches de l’ultragauche. Objectif : profiter de l’évènement pour faire entendre leurs revendications, voire le saboter.

« L’idée, c’est de mettre le plus gros bordel possible », explique Jean*, militant de Saccage 2024. Depuis sa création en octobre 2020, le collectif est « entré en résistance face aux saccages écologiques et sociaux que provoquent les Jeux olympiques de Paris en 2024 ». Ce 6 février, dans une salle de la Bourse du travail d’Aubervilliers, face à une poignée de convaincus, Jean prêche. « Dépassement de budget », « expulsion des plus démunis de l’espace urbain », « désastre écologique »… Le militant éreinte l’événement sportif. « On ne peut plus faire annuler les JO de 2024, concède-t-il. Mais les JO de 2030, oui. Si l’édition parisienne entraîne une révolte populaire, le comité olympique réfléchira à deux fois avant d’accepter le dossier ! »

« Il est encore tôt. Mais l’action va monter en puissance dans les prochaines semaines », se persuade Jean. Son espoir est motivé, notamment, par le récent dépôt de préavis de grève de la CGT-RATP jusqu’à la fin des Jeux olympiques. « De quoi imaginer de beaux problèmes dans les transports », rêve-t-il. Mais aussi par la multiplication des organisations qui, ces derniers mois, ont indiqué vouloir participer à la contestation. Extinction Rebellion, Youth for Climate, Dernière rénovation (devenue Riposte alimentaire)… Les champions de la désobéissance civile se sont joints aux appels de mobilisation de Saccage 2024. Et puis il y a, aussi, le fantasme d’une grogne sociale, reposant sur les braises encore rougeoyantes des manifestations contre la réforme des retraites. En 2023, le slogan « Pas de retrait, pas de JO », en a fait espérer plus d’un. « Il se passe quelque chose, veut croire Arthur, lui aussi militant de Saccage 2024. De plus en plus de personnes veulent tenter des actions. »

Menace diffuse

La menace d’ultragauche est diffuse, mais suffisamment précise pour que Beauvau s’en inquiète. Le 22 janvier, le ministre de l’Intérieur a dévoilé le dispositif de sécurisation de la flamme olympique. Une « bulle de sécurité » composée de 100 personnels de police et de gendarmerie. Gérald Darmanin a indiqué craindre l’action d’un « ensemble de collectifs environnementalistes d’ultragauche », dont Saccage 2024, mais aussi Youth for Climate ou encore des militants des Soulèvements de la Terre feraient partie. Vigilance compréhensible. Le plus grand événement sportif au monde est une vitrine pour la France, mais aussi une formidable caisse de résonance. Pour des collectifs et des organisations rompues à la communication, l’occasion est trop belle pour la laisser filer.

« Chaque édition des JO est ciblée par deux types de contestations : une, opportuniste, qui entend se saisir de la vitrine médiatique et une autre dirigée directement contre l’olympisme et ses valeurs », explique Hugo Bourbillères, maître de conférences en Staps à l’université Rennes 2 et coauteur d’un ouvrage sur les processus d’opposition aux JO de 2024. Quand la candidature parisienne est acceptée, Saccage 2024 émerge. L’organisation se fait remarquer en 2023, avec la parution d’un texte dans le média indépendant d’extrême gauche Basta . Aux côtés d’autres organisations locales, comme le Collectif de défense des Jardins d’Aubervilliers ou encore Youth for Climate Ile-de-France, les militants imaginent un plan nommé « Pas de bénévoles pour les JOP 2024 : un tutoriel pour gâcher leur campagne de travail dissimulé ». L’idée : être sélectionné parmi les 45 000 volontaires des JO, avant de faire grève au moment de la compétition.

Le service national des enquêtes administratives de sécurité, rattaché à la police nationale, qui scrute les dossiers des futurs bénévoles, aurait laissé passer plusieurs profils de militants anti-JO. « Comme le mien, assure Arthur dans un sourire. Mon casier judiciaire est vierge, donc je suppose que ça ne les a pas alertés malgré mon activité militante. » D’après lui, « environ 500 personnes » seraient passées entre les mailles du filet et auraient la ferme intention de débrayer le jour J. Une « intox », assure-t-on à Beauvau où on évoque, sans plus de précisions, des « mensonges ». « Il n’y a pas de réelle consigne sur ce qu’il faut faire ou non : les volontaires sont invités à ne pas se présenter, ou alors à y aller et à ne rien faire, explicite Arthur. Il s’agit d’être créatif. »

Outre son plan de « grève des bénévoles », Saccage 2024 revendique avant tout une action « informative ». Dans cet esprit, le collectif a notamment créé une « carte des saccages des JOP 2024 », listant les conséquences jugées néfastes des JO, de la « gare meurtrière de Saint-Denis Pleyel » à « l’augmentation massive de la vidéosurveillance sur le 93 ». Ce dessin coloré a largement circulé sur les sites du microcosme français de l’ultragauche, Révolution permanente, Paris-luttes.info ou Indymedia Nantes. Sa diffusion n’est pas surprenante. Depuis des mois, les blogs et sites apparentés à la mouvance multiplient les conférences et les contenus anti-JO, se réjouissant de chaque faux pas ou retard de l’organisation. « Jeux olympiques et démocratie : une rencontre impossible », titrait dès octobre 2021 Paris-luttes-info. « Les Jeux olympiques du foutage de gueule », s’agaçait le site Contre Attaque en janvier. « Les Jeux olympiques, le capitalisme de fête et la réponse des activistes », reprenait le site Info Libertaire à la fin du mois. « Les courants politiques anti-révolutionnaires ont toujours abhorré les grandes manifestations sportives, observe Hugo Melchior, chercheur en histoire contemporaine à l’université Rennes 2. En 1976, la Ligue communiste révolutionnaire dénonça par exemple dans la presse “la face cachée des Jeux de Montréal”. »

« Libre à chacun de s’en saisir »

Certains souhaitent manifestement aller plus loin. Le 28 janvier, le blog Sans nom, sorte de revue de presse des actions anarcho-autonomes (un courant de l’ultragauche), reprenait par exemple un article du Parisien sous le titre « Paris : les péniches des Jeux olympiques et des bourges sur le gril ». Se réjouissant du double incendie ayant ciblé le Petrus III, le blog mettait en gras, de manière sibylline, les liens du navire avec les JO.

D’autres sites appellent plus largement à l’action, à l’exemple du site Radar squat, qui relaie les appels des réunions bimensuelles pour organiser une « coordination contre les Jeux olympiques », au Manifesten, un « café librairie associatif » marseillais. La cité phocéenne, ville d’accueil de la flamme olympique et d’épreuves sportives, attire forcément l’attention des militants. C’est aussi le cas de lieux moins attendus, également marqués par le parcours de la flamme, comme dans le département de la Meuse. Vantant la capacité des activistes meusiens à démarrer des incendies ces dernières années (« véhicules, installations diverses, pylônes électriques, gendarmeries… »), un auteur anonyme de Sans nom encourage les départs de feu. « Il reste sept mois pour se montrer dignes de cette célébration et multiplier autant que possible les foyers de réjouissances jusqu’au bouquet final du 29 juin », est-il écrit.

Dans un autre billet de blog, cette fois du site Lorrain « Manif’Est », un auteur anonyme encourage les attaques des « JO du contrôle », en dévoilant une liste « non exhaustive » d’une cinquantaine d’entreprises ayant participé à la sécurisation cyber des JO. On y trouve les adresses postales de leurs sièges, mais aussi les noms, mails et mêmes numéros de téléphone de leurs responsables d’affaires publiques, responsables clients ou dirigeants. « Il nous a semblé important de partager les informations qu’on a pu recueillir », indique le billet, qui se conclut par un menaçant : « Libre à chacun de s’en saisir de la manière qui lui semblerait appropriée ».

A ces actions éparses s’ajoutent celles de collectifs habitués à la désobéissance civile, comme Dernière rénovation ou Extinction Rebellion. En novembre, le golf national de Saint-Quentin-en-Yvelines a été l’objet d’une attaque d’activistes, plusieurs individus ravageant une partie du green. « Les JO approchent… Avec Saccage 2024, les actions vont se multiplier », promettait, deux mois avant , la branche Ile-de-France du collectif. « Plus qu’une action autour de la flamme olympique, qui sera très bien protégée, il faut craindre un coup d’éclat de ces organisations pendant la cérémonie, par exemple, ou en marge des épreuves, note un ancien hiérarque du ministère de l’Intérieur. Ce ne serait pas une action violente, plutôt un geste très médiatique, pour perturber et bénéficier de la tribune des Jeux ». Une initiative similaire à celle menée par deux militantes de Riposte alimentaire qui ont aspergé fin janvier la vitrine de la Joconde , au Louvre. « Des actions de désobéissance civile contre les JO vont commencer à partir de mars, assure un membre de Youth for Climate. Elles sont en cours d’élaboration avec plusieurs collectifs. »

*Le prénom a été modifié