[Tract] : Deux textes en solidarité avec les émeutier-e-s de Beaumont

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Indymedia Nantes, 11 juin 2021

Du 21 juin au 9 juillet 2021, cinq personnes vont passer devant la cour d’assises de Pontoise (95), accusées d’avoir participé aux émeutes de Beaumont-sur-Oise qui ont suivi l’assassinat d’Adama Traoré par les gendarmes. Au procès et dans la rue, ne laissons pas les émeutier-e-s présumé-e-s seul-e-s face aux cirques judiciaires et médiatiques !

Solidarité avec les émeutier-e-s à Beaumont et ailleurs

Du 21 juin au 9 juillet 2021, cinq personnes vont passer devant la cour d’assises de Pontoise (95), accusées d’avoir participé aux émeutes de Beaumont-sur-Oise qui ont suivi l’assassinat d’Adama Traoré par les gendarmes. Ces émeutes avaient enflammé la ville et des communes voisines pendant quatre nuits consécutives en juillet 2016, les révolté-e-s s’en prenant notamment à des bâtiments institutionnels et aux gendarmes. Des tirs au fusil de chasse dans leur direction semblent constituer l’accusation la plus grave dans le dossier, utilisée pour justifier le chef d’inculpation de « tentative d’homicide sur personne dépositaire de l’autorité publique ». Des dizaines de gendarmes se sont portés parties civiles.

D’autres actes de révolte ont existé en lien avec l’ « affaire Adama Traoré ». Par exemple, en novembre 2016 un bus a été incendié dans le quartier, en représailles à l’incarcération de deux frères d’Adama ayant tenté d’entrer dans le conseil municipal. Neuf personnes ont été condamnées à des peines allant jusqu’à 4 ans de prison ferme pour cet incendie. En juillet 2017, un an après l’assassinat, une marche était organisée à Beaumont. Dans la soirée qui a suivi des affrontements avec les flics ont eu lieu. En juin 2020, un rassemblement de plusieurs dizaines de milliers de personnes devant le tribunal de grande instance de Paris s’est transformé en émeute durant laquelle les flics, un commissariat et des commerces ont été attaqués.

L’émeute réchauffe le coeur car elle est une attaque directe contre ce qui opprime, contre les infrastructures et représentations du pouvoir. Elle est l’émanation d’un ras-le-bol partagé, refusant de dialoguer avec les institutions, actant que rien ne pourra être réglé par les voies judiciaires et démocratiques qui sont elles-mêmes construites sur la domination. Quand la rage et la révolte éclatent, sans représentant-e-s ni médiations, elles amènent avec elles l’espoir d’un monde meilleur, ce que ne fera jamais une nouvelle loi, une élection quelconque, ou une décision de justice épisodique.

Si George Floyd est devenu un symbole de la lutte contre la brutalité et le racisme policier, ce n’est pas parce que son assassinat par la police le 25 mai 2020 à Minneapolis a été filmé ou qu’il était moins acceptable que toutes les autres atrocités commises par les larbins de l’État. C’est parce que l’indignation a été laissée au vestiaire et qu’immédiatement des centaines d’individus sont descendus dans les rues de la ville pour s’attaquer aux commissariats, aux commerces, aux chantiers, aux bâtiments du pouvoir, donnant de l’inspiration à des milliers d’autres individus ailleurs aux États-Unis et dans le monde. Par leur diversité, les offensives ont dépassé la question de l’abolition de la police, nous rappelant qu’elle n’est qu’un des rouages d’un monde de dominations où ceux qui sont au pouvoir nous voudraient dociles de la crèche au tombeau.

Au Chili, l’annonce de l’augmentation du prix du métro a mis le feu aux poudres à Santiago en octobre 2019. Bien après que le gouvernement a fait machine arrière et proposé des miettes en rab, les manifestations émeutières se sont poursuivies dans tout le pays. La colère a dépassé le stade de la revendication et c’est tant mieux car chaque obstacle à la liberté, qu’il soit imposé tyranniquement ou voté démocratiquement et renforcé par une pression sociale, est une bonne raison supplémentaire de se révolter.

En France, quand le confinement sanitaire a drastiquement réduit nos marges de manoeuvre, ce ne sont pas les clappings aux fenêtres, seul moyen d’expression toléré par l’État à ce moment-là, qui nous ont donné de l’air. Au contraire ils étaient souvent accompagnés d’injonctions à « rester chez soi », niant le caractère répressif de cette mesure qui accentuait les différences sociales et s’est révélée particulièrement insupportable pour celles et ceux qui n’avaient pas un « chez-soi » douillet.
En revanche, les actes de certain-e-s, choisissant de renvoyer la monnaie de leur pièce aux flics qui les harcelaient tous les jours sous couvert de protéger notre santé, nous ont revigoré.

L’émeute donne de la force car elle fissure pour un instant la carapace de l’autorité, laissant entrevoir la possibilité de prendre sa vie en main.

Face à elle, les juges, qui ne voudraient pas que les désirs de liberté se propagent, tentent de faire des exemples. Ils et elles sélectionnent quelques individus et prononcent généralement des condamnations lourdes, validées par les médias qui parlent de « racailles » et interviewent une personne indignée du voisinage.

La justice tente d’isoler les gens et de rendre marginaux les actes dont ils sont accusés. L’émeute est pourtant un goût partagé depuis la nuit des temps par des individus qui semblent ne pas voir d’issue dans les modèles de contestation approuvés par l’État. Lorsqu’on partage ce constat, il est important d’exprimer notre solidarité envers celles et ceux qui se retrouvent pris-e-s entre ses griffes, qu’iels soient coupables ou innocent-e-s.

Continuons d’alimenter le feu de la révolte !

* * *

Dans leur langue, il ne s’agit jamais d’un meurtre

Aussi certainement que les saisons reviennent, des personnes meurent d’une balle tirée par la police-gendarmerie. Mais c’est toujours une balle républicaine, tirée dans les règles de l’art et le respect du code de bonne conduite tel que fixé par les démocrates réunis en parlement. C’est pour ça que dans leur langue, il ne s’agit jamais d’un meurtre.

Dans une démocratie républicaine et libérale, on sait compter les morts qui sont morts d’avoir été en contact avec la police-gendarmerie. Le compte tenu, et mis à jour années après années, de toutes les personnes mortes de n’avoir pas pu éviter un contact mortel avec la police-gendarmerie est un compte sordide. Ce compte nourrit l’illusion de posséder un outil adéquat à la perception de ces meurtres en série. Et puis, les démocrates-juges discutent du comment c’est arrivé, décident des mots pour ne pas nommer le meurtre par son nom, et parfois, prononcent des sentences.

Quand on dit que les personnes meurent d’une balle tirée par la police-gendarmerie, on doit dire aussi : d’un pare-chocs de voiture, d’une clé de bras, d’un genou enfoncé, du poids écrasant des corps, …, et encore, raffinement républicain extrême : à distance. Lorsque les keufs-pandores chassent un ou des individus affolés en les faisant courir tout droit dans la Seine, ou bien tout droit contre un poste électrique à haute tension. Zyed Benna et Bouna Traoré, tués à Clichy-sous-Bois en 2005, on n’oublie pas. Le souvenir est tristement impuissant à empêcher que ça recommence.

Et en effet, ça recommence toujours. C’est connu, ça passe à la télé. On diffuse les images filmées, et monnayées par les documentaristes qui disent qu’ils militent. On collectionne les images volées par des anonymes. On monte des films sur la brutalité policière-gendarme. Mais qu’est-ce qu’on voit ? Et qu’a-t-on besoin de regarder ? Faut-il avoir vu contre le bitume brûlant le visage d’un homme, qu’on a couché sur le ventre les mains attachées dans le dos, et qui meurt, le poids des corps chéris par la République l’écrasant sous le soleil de juillet ?

Personne, à Beaumont-sur-Oise en 2016, n’a vu Adama Traoré en train de mourir dans la caserne de gendarmerie, mis à part les assassins. Mais tout le monde a su qu’il y était mort. Beaucoup de désordre s’en est suivi.

Les lampadaires éteints, des cailloux, mortiers et cocktails lancés, des feux allumés, la mairie et la caserne en vue : une émeute qui dure plusieurs nuits, à Beaumont et à Persan. Et des actes de solidarité à Mantes-la-Jolie, à Tremblay, à la prison d’Osny.

En ce mois de juin 2021, les démocrates-juges vont examiner la situation de quelques unes de ces personnes qu’ils accusent de tout ce désordre, parmi lesquelles certaines sont en prison depuis 2016. On les accuse d’avoir envoyé de la grenaille avec un fusil de chasse ! Il paraîtrait même que la carrosserie d’un véhicule pandore en fût piquée. Bien.

À l’heure où la publicité donnée aux brutalités des keufs-pandores a permis aux journaux, au mieux, de supprimer autour du mot violence un guillemet, sinon les deux même, pour désigner des actes de torture, on ne s’étonne pas que tout le monde n’aie pas envie de prendre son ticket au cinéma. Car révéler enfin que la vérité d’une démocratie tient dans sa police-gendarmerie, et son pendant judiciaire, est un si vieil épouvantail, qu’il n’effraie en rien les assassins en costume, posés dessus à compter leurs galons.

Qu’est-ce qu’une affaire de meurtre commis par la police-gendarmerie, si c’est une affaire sans vengeance ? C’est sans doute une lettre qui passe dans notre tête, et dont on n’ouvre plus l’enveloppe, parce qu’on sait ce qu’elle contient. Mais c’est une lettre qui reviendra, aussi certainement que les saisons.