Muret (Haute-Garonne) : le projet d’autoroute commence à sentir le roussi

Projet autoroute Toulouse-Castres : un mystérieux collectif revendique l’incendie de plusieurs véhicules à Muret
La Dépêche, 10 février 2023 (pour infos)

Dans la nuit de ce jeudi à ce vendredi, une entreprise basée à Muret dans le sud de Toulouse a été la cible de dégradations. Deux véhicules ont été incendiés. La société a déposé plainte. Un mystérieux courrier envoyé aux médias revendique l’action.

Une succession de chiffres a remplacé le nom et prénom de l’expéditeur du mail envoyé ce vendredi matin à plusieurs médias. En objet : « Revendication action contre l’autoroute Toulouse Castres ». Le courrier démarre en expliquant que cette action a eu lieu en raison du chantier de l’autoroute Toulouse-Castres. Afin de faire passer le message, ces militants écologistes ont donc détruit deux véhicules d’une entreprise dont le siège se trouve à Muret, dans le sud de Toulouse. « L’autoroute ne passera pas. Jeudi soir, quelques véhicules ont malencontreusement brûlé au siège de NGE, sur la route d’Ox, près de Muret. Comparé à leur capacité de nuisance, ce n’est pas grand-chose, mais que ce geste résonne comme un avertissement à NGE et autres bétonneurs de malheurs », justifie le mystérieux auteur de cette missive.


Plainte déposée

« Les 480 millions d’euros d’argent public dont profite NGE pour rançonner nos déplacements seraient mieux utilisés à aider des maraîchers et des éleveuses à s’installer ou à faire rouler plus de transports en commun. La construction de l’A69, à l’instar des 70 nouvelles autoroutes prévues en France, est un projet de dernière nécessité », continue l’auteur du courriel.

Contactée par nos soins, la société victime de ce sabotage n’a pas souhaité commenter cette action, a refusé de donner le détail des dégâts et a seulement indiqué qu’un dépôt de plainte était en cours auprès des services de gendarmerie. « C’est une action que nous condamnons fermement. Nous pensions qu’à l’issue du processus démocratique autour de ce projet, ce type d’événements n’arriverait plus. Nous avons déjà renforcé nos dispositifs de sécurité et nous continuerons de le faire », a réagi Martial Gerlinger, dirigeant de la société Atosca, en charge de la concession de ce projet autoroutier.

Selon nos informations, il s’agirait de deux voitures ciblées. Le préjudice s’établirait aux alentours de 50 000 euros. Une enquête a été ouverte afin de déterminer les circonstances de cette action de vandalisme et pour retrouver le ou les auteurs.

Un avis favorable rendu ce jeudi

Le projet fait des émules dans les rangs des militants en faveur de l’environnement et engendre une importante levée de boucliers. Ce mercredi, le collectif La Voie est libre, opposé au projet d’autoroute entre Castres et Toulouse, a mené une action à Balma, devant le siège d’Atosca-NGE. Il entendait dénoncer l’intervention « illégale » menée par le futur concessionnaire sur plusieurs arbres condamnés par le tracé. Les militants d’Extinction Rébellion connus pour des actions spectaculaires tendant à dénoncer les projets de ce type ont également mené plusieurs mobilisations d’opposition à ce tracé d’autoroute.

Ce n’est donc pas la première fois qu’une entreprise est visée par des activistes. En décembre dernier, dans le Tarn cette fois, un collectif inconnu jusque-là baptisé « La Buse » avait revendiqué le « sabotage » d’une pelleteuse utilisée pour des fouilles archéologiques préventives sur le tracé de la future autoroute entre Castres et Toulouse entre Maurens-Scopont et Cuq-Toulza.

Cette action fait écho à l’annonce ce jeudi d’un avis favorable rendu par la commission chargée de l’enquête publique environnementale du projet d’autoroute entre Castres et Toulouse. À l’unanimité, les membres de cette commission ont voté la délivrance des autorisations environnementales, assortie de deux réserves. Une très bonne nouvelle pour les sud Tarnais qui attendent ce désenclavement depuis 30 ans.


Ecologie : A69 Toulouse-Castres, un chantier qui fait débat
France 2, 10 février 2023 (extrait)

Rejoindre Castres depuis Toulouse, en moins d’une heure, contre 1h15 aujourd’hui : c’est la promesse du projet de l’autoroute A69. Un chantier classé priorité nationale depuis 2019 par l’Etat, mais qui fait polémique dans la région, pour son impact environnemental notamment.

Une autoroute entre Toulouse et Castres ? Un vieux serpent de mer depuis les années 1990, dont tous les tarnais ont un jour entendu parler. Depuis 2019 et le classement du projet de l’A69 en « priorité nationale » dans la Loi Mobilité, tout s’accélère. Le concessionnaire, Atosca, filiale du groupe NGE a été désigné, les fouilles archéologique sont bien visibles sur le futur tracé, et la colère des opposants au projet n’en finit plus de gronder.

Dernière controverse en date : des images recueillies par un collectif d’opposants, montrant des cavités dans des arbres bouchées avec du géotextile, un matériau plastique, à l’endroit où sont susceptible de nicher des oiseaux ou des chauves-souris. Les faits remontent à fin janvier 2023. Thomas Digard, ingénieur et membre du collectif La voie et libre, est un témoin direct. Il dit avoir vu des cordistes de la société BioTop, prestataire d’Atosca – le concessionnaire de l’autoroute – en train de boucher les trous dans les arbres, pour préparer l’abattage.

Une enquête a immédiatement été ouverte pour « dégradation de l’habitat d’une espèce animale protégée non-domestique » par le parquet de Castres. La société d’autoroute assure de son côté que les arbres étaient « inhabités » et qu’il s’agissait d’une mesure de précaution avant abattages. Les opposants le concèdent, cet incident aura au moins permis de mettre un dernier coup de projecteur médiatique – avant le rendu de l’avis de la commission d’enquête publique – sur les enjeux d’un tel projet pour l’environnement.

Un projet jugé « anachronique »

La nouvelle autoroute A69 devrait être construite en parallèle de la nationale RN126 existante, entre Toulouse et Castres, sur 53 kilomètres. Une 2X2 voies qui doit en théorie faire gagner 25 minutes aux automobilistes, selon Atosca. « A peine 12 minutes » selon Geoffrey Tarroux, du collectif d’opposants La voie est libre.

L’utilité de ce projet a d’ailleurs été critiqué dans de récents rapports indépendants, comme celui du Conseil National de la Protection de la Nature, ou encore celui de l’Autorité environnementale, en octobre dernier.  « De façon générale, ce projet routier, initié il y a plusieurs décennies, apparaît anachronique (…) La justification de raisons impératives d’intérêt public majeur du projet, au regard de ses incidences sur les milieux naturels, apparaît limitée. », Rapport de l’Autorité Environnementale, Octobre 2022

Sur les 53km de l’A69, 44km seront du tracé « neuf ». 365 à 500 hectares de terres agricoles seraient ainsi supprimées. D’après l’Autorité Environnementale, 17 exploitations seraient même directement mises « en péril » par le projet. A ce jour, une pétition recueille plus de 140 agriculteurs signataires, contre l’A69. Et certains d’entre eux s’interrogent aussi sur une inconnue : quelles conséquences auront la bétonnisation, la suppression de zones humides, et la création de bassins de rétention, sur l’accès à l’eau ?

Une préoccupation d’autant plus vive, que la sécheresse de l’été 2022 dans la région a été difficile pour les agriculteurs. « Le climat se durcit, on n’a pas encore pris conscience que c’est nous qui créons notre climat local. Donc si on continue avec l’urbanisation, la bétonisation, on crée encore plus de points chauds, on supprime la végétation, on s’autodétruit. » ajoute Bruno Cabrol.

Une autoroute pour 8000 usagers par jour ?

Plusieurs élus locaux, comme la maire de Teulat, 500 habitants, ne comprennent pas l’intérêt d’un tel projet au regard de la densité de circulation quotidienne. « Il y a 8000 véhicules par jour qui passent ici, on ne va pas dépenser un demi-milliard d’euros et sacrifier autant d’espaces naturels pour 8000 usagers par jour… » Sabine Mousson, maire de Teulat (sans étiquette).

En 2019, lorsque le projet est inscrit comme « priorité nationale » par l’Etat, le trafic de la RN126, sur les tronçons Verfeil-Puylaurens et Puylaurens-Soual, qui constituent la majeure partie du traçé, comptent entre 8422 et 8621 usagers par jour. Seuls les environs de Castres peuvent comptabilisent une moyenne de 17 692 usagers par jour.

Dès lors, l’utilité de construire une 2×2 voies interroge certains élus. Cet automne, le sénateur écologiste Thomas Dossus s’est emparé de l’exemple de l’A69 pour interroger la cohérence de construire un tel ouvrage pour aussi peu d’usagers.

Même s’il n’est que consultatif et ne porte que sur les projets « non-actés », un récent rapport du Conseil d’Orientation des Infrastructures (COI), souligne également que des « tracés neufs et de mises à deux fois deux voies sur des linéaires importants, alors même que les trafics, inférieurs, voire très inférieurs à 10 000 véhicules/jour, ne peuvent pas le justifier pour des raisons de capacité. »

Objectif : « désenclaver Castres »

La région Occitanie, qui soutient le projet, défend l’urgence de désenclaver la ville de Castres, « dernière ville moyenne à ne pas être reliée par une autoroute à Toulouse », explique Vincent Garel, conseiller régional (Groupe Radicaux et Citoyens).

Dans un manifeste signé par la CCI du Tarn, une centaine d’entreprises locales, dont le groupe Fabre, poussent en ce sens.  « On s’est battu auprès de l’Etat pour obtenir une solution de désenclavement. La solution choisie c’est celle-ci, et en plus, elle répond à des normes environnementales. » Vincent Garel, conseiller régional occitanie (Radicaux et citoyens)

Une autoroute moderne et « exemplaire » du point de vue environnemental, c’est aussi l’argument du concessionnaire Atosca, pour défendre son projet. « Nous allons faire en sorte que cette autoroute soit décarbonnée, en installant des bornes de recharges pour les véhicules électriques ou encore des aires de covoiturage », rassure Martial Gerlinger, le directeur général.

La commission d’enquête publique a rendu jeudi 9 février un avis favorable sur les demandes d’autorisations environnementales, ce qui pourrait lancer le début des travaux, à moins qu’un recours ne soit déposé.