La traque estivale des émeutiers par les flics

Émeutes : comment la police traque les délinquants
qui avaient échappé aux arrestations
Le Figaro, 17 août 2023

Les enquêteurs de la police ont effectué un travail colossal, tout au long du mois de juillet, pour retrouver 314 délinquants qui avaient échappé aux arrestations pendant les nuits de violence.

Tandis que la France chavirait soudain dans le chaos lors d’émeutes consécutives à la mort de Nahel, tué le 27 juin dernier après un refus d’obtempérer à Nanterre (Hauts-de-Seine), les forces de l’ordre ont dû encaisser un double choc. D’abord celui, filmé heure par heure, d’un tsunami de violences qui s’est soldé par un bilan de 3800 interpellations, commises en temps réel et en flagrant délit, sur l’ensemble du territoire. Puis un second, beaucoup moins connu, d’une traque judiciaire hors norme dont Le Figaro est en mesure de révéler le détail. Selon un bilan qui s’arrête au 31 juillet dernier, pas moins de 314 émeutiers, casseurs et incendiaires supplémentaires ont été interpellés par des services d’investigations de la sécurité publique et de la police judiciaire. À elle seule, cette dernière s’est vu confier le soin de mener un peu plus de 170 enquêtes particulièrement sensibles, portant sur les actes les plus graves.

«Dès les premiers jours, l’autorité judiciaire a ainsi saisi la PJ sur des événements emblématiques, qu’il s’agisse de destructions et d’incendies de mairies, d’attaques de locaux de police ou de pillages importants, voire de menaces ou d’agressions sur des élus, confie le contrôleur général Frédéric Laissy, chef du service de la communication de la police nationale. Alors même que les dispositifs d’ordre public étaient encore maintenus à leur maximum, les premières interpellations étaient effectuées à domicile, souvent avec le concours de la BRI ou du Raid.»

Ainsi, dès le 5 juillet, la sûreté urbaine de Lille interpellait avec l’appui du Raid une demi-douzaine de voyous impliqués dans l’attaque, menée lors de la deuxième soirée des émeutes, de l’hôtel de police municipal abritant un centre de supervision. Les assaillants ont notamment pu être confondus grâce à leur ADN retrouvé sur des cocktails Molotov. Cinq d’entre eux ont été placés en détention provisoire dans l’attente de leur jugement d’ici à la fin du mois, tandis qu’un de leurs complices est activement recherché. Au même moment, les policiers du Rhône ont appréhendé, au terme d’une enquête éclair, six des délinquants à l’origine de l’incendie volontaire d’un immeuble d’habitation à Saint-Fons, le 2 juillet dernier. Le feu avait été mis dans le local à poubelles avant de se propager aux étages et de provoquer d’importants dégâts dans le supermarché attenant. Là, les limiers de la sûreté ont obtenu des preuves par l’image: l’exploitation de la vidéoprotection d’un commerce voisin a permis d’identifier un premier suspect en raison d’une tenue caractéristique correspondant à celle d’une personne contrôlée peu auparavant par la police municipale. Là encore, les incendiaires présumés ont été placés derrière les barreaux en attendant d’être jugés, tandis que 62 personnes évacuées espèrent toujours être relogées.

À travers le pays et à la faveur des investigations, les unités spécialisées d’intervention ont investi à l’heure du laitier des dizaines de domiciles, alors que le soufflé des violences destructrices n’était pas retombé. L’engagement hors norme des policiers en civil et les opérations ciblées ont sans nul doute douché les ardeurs au cœur des quartiers, battant en brèche tout sentiment d’impunité et participant de facto à une stratégie globale de retour à l’ordre. «Si le temps judiciaire est parfois considéré comme plus long, il faut bien constater que la mobilisation des services d’enquête a joué un rôle à la fois dans la dissuasion au moment des violences urbaines et dans la dissuasion à plus long terme, avec des interpellations et des incarcérations décidées par les tribunaux qui ont pu poursuivre sur la base d’investigations», assure-t-on à la Direction générale de la police nationale.
Sur le terrain, face à la déferlante, l’heure a été à l’union sacrée. La PJ, fortement mise à contribution, a ainsi bénéficié de l’énorme investissement des petits groupes d’enquêtes dans les commissariats des villes moyennes ayant elles aussi payé un lourd tribut en termes de dégâts. Ainsi, à Niort (Deux-Sèvres), les policiers locaux ont multiplié les enquêtes de voisinages et passé au crible des bandes vidéo avant de lancer un coup de filet. Entre les 3 et 12 juillet, ils ont intercepté six membres d’une horde de jeunes émeutiers qui avaient mis le centre-ville à sac, tendant des embuscades à la police, pillant des commerces et brûlant des véhicules dans la nuit du 30 juin au 1er juillet.

Jeunes «barbares»

À Mons-en-Barœul (Nord), ce sont les hommes en noir de la BRI (antigang) qui sont allés chercher 11 jeunes «barbares» qui s’étaient introduits dans la mairie le 29 juin à 0 h 30 avant de la livrer aux flammes, alors que trois agents municipaux étaient pris au piège dans les locaux. Pour remonter la piste des voyous, la PJ, comme à chaque fois, n’a pas lésiné sur les moyens. Chaque indice a été exploité, ce qui a permis de trouver des traces de sang appartenant à l’un des assaillants qui s’était blessé en brisant une vitre, de relever une empreinte sur un véhicule ayant échappé au feu ainsi que de l’ADN sur un engin de mortier. Le suivi des réseaux sociaux, où les plus fanfarons avaient posté des images de leurs «exploits», avait permis d’orienter les soupçons sur certains protagonistes. «Grâce à des constatations effectuées de manière très rigoureuse malgré la masse des indices relevés sur le terrain et à une forte mobilisation des laboratoires pour obtenir des résultats rapides, l’apport de police technique et scientifique a été décisif», souffle le contrôleur général Frédéric Laissy avant d’insister: «Rien n’a été laissé au hasard
Avec méthode, les experts ont en effet passé au crible des pierres, des projectiles divers, des armes de fortune retrouvées sur les champs de bataille, des bouteilles utilisées pour les liquides incendiaires ou encore des traces de sang. Même les briquets ou les étuis de mortiers abandonnés sur place ont été soumis aux analyses. Selon nos informations, le Service national de police scientifique, basé à Écully et qui dispose de cinq laboratoires, a été saisi de 317 dossiers, représentant près de 1800 scellés pour les affaires les plus importantes et sensibles. La majeure partie de ces analyses ont abouti dans les sections «biologiques» et «incendie-explosion». «À côté de ces exploitations pour les affaires les plus sensibles, de très nombreuses saisines ont été assurées sur la base de constatations des services locaux de police scientifique», précise-t-on à la DGPN qui révèle un bilan de «1700 interventions sur le terrain, lesquelles ont alimenté la cinquantaine de plateaux techniques de proximité mobilisés sur plusieurs milliers d’objets».

Outre l’analyse des indices, des réseaux sociaux et l’examen des vidéos – même si un millier de caméras ont été détruites lors des émeutes -, les enquêteurs se sont appuyés sur la connaissance de la population locale par les policiers de quartier, ainsi que sur la géolocalisation. À ce titre, un téléphone portable dérobé dans l’habitacle d’un camion de pompiers volé à Vernon (Eure), au premier soir des émeutes, a permis de retrouver la trace d’un délinquant puis de ses quatre complices. Le profil des interpellés, qui devrait faire l’objet d’une analyse plus poussée, laisse apparaître, comme l’a révélé Gérald Darmanin le 19 juillet devant la commission des lois de l’Assemblée nationale, que la moyenne d’âge est entre 17 et 18 ans. Les plus jeunes sont âgés de 12 ans et les deux tiers n’avaient jusqu’ici pas de casier.

Anticiper

Au total, plusieurs dizaines d’émeutiers ont été placés en détention provisoire, sachant que de multiples contrôles judiciaires ou convocations par officier de police ont été délivrés. En perquisition, les policiers ont retrouvé le butin de pillages (vêtements, cartouches de cigarettes, tickets de La Française des jeux…) et, de manière incidente, de la drogue par kilos. Amorcée depuis un mois, la longue traque est loin d’être achevée puisque les enquêteurs attendent encore des rapports d’analyses et guettent le retour de fuyards partis se réfugier à l’étranger, notamment au Maghreb. Alors que la Place Beauvau sort les muscles, les états-majors diffusent le même mot d’ordre: «Chaque auteur de violences doit se retrouver confronté à ses responsabilités.» Dans un courrier adressé le 2 août dernier au préfet de police de Paris ainsi qu’aux patrons de la police et de la gendarmerie, le ministre de l’Intérieur a demandé de «mobiliser l’ensemble des moyens nécessaires au suivi des individus et groupes d’individus ciblés comme ayant été à l’origine des actions violentes lors des émeutes». «Ce point, insiste Gérald Darmanin, doit constituer l’une de vos priorités tout au long de ces prochains mois.»

Les services de renseignements sont invités à «renforcer, dès à présent, leurs dispositifs d’anticipation de ce type d’événement». L’idée est de prévenir tout débordement à l’approche de la Coupe du monde de rugby et des JO de Paris, lorsque les regards de la planète entière seront rivés sur la France. La moindre faute de carre se paiera cash.