Comme si le déploiement en cours de la 5G ne suffisait pas, ni celui de milliers d’antennes 4G d’ici 2026 pour boucher les zones dites blanches, ou encore la multiplication des réseaux de fibre optique avec 2025 pour horizon d’une couverture totale, voici qu’un nouveau projet est en train de débarquer. Cette énième nuisance dont l’objectif est rien moins que fournir un accès à internet à haut débit sur l’ensemble de la planète jusqu’aux zones rurales les plus reculées, est en train d’être mis en œuvre à travers plus d’un millier de petits satellites artificiels lancés à 550 km d’altitude. Il est porté par Starlink, une filiale de SpaceX, l’entreprise spatiale du milliardaire américain Elon Musk. Pour donner une idée, Starlink en est déjà à son dix-huitième lancement de minisatellites depuis 2018, avec 60 supplémentaires qui devaient être mis en orbite ce 1er mars depuis Cap Canaveral en Floride.
Le technomonde interconnecté qui nous promet une survie toujours plus appauvrie et contrôlée, après avoir colonisé la mer pour ses câbles inter-continentaux, le sol pour ses dizaines de milliers d’antennes-relais, puis le sous-sol pour la fibre optique, entend donc à présent s’emparer massivement d’un des derniers espaces manquant à l’appel : le ciel. Et tant pis pour les amateurs d’étoiles dont les yeux déjà partiellement aveuglés par les lumières de la ville ne seront bientôt plus capables de distinguer les astres de ces milliers de machines électroniques qui infestent la nuit.
Comme le faisait ainsi récemment remarquer un petit mensuel d’agitation anarchiste, « Quand l’être humain d’un demain assez proche lèvera les yeux au ciel, il ne pourra plus discerner la Grande Ourse, Orion, Cassiopée ou Scorpion, mais bien Starlink, Kupier System et One Web. Nourri et vêtu par une agriculture industrielle hypermécanisée, se déplaçant grâce à des machines autonomes, surveillé et guidé par l’intelligence artificielle dans toutes ses activités, communiquant avec des objets connectés, cet être complètement intégré à la machine, pourra-t-il encore se considérer comme humain ? Dans ce monde où les étoiles seront submergées par les satellites, que restera-t-il de l’imagination et de la créativité, de cette capacité d’inventer et de narrer des histoires, de se détacher de la réalité quotidienne et de créer d’autres mondes ? » *
Bien sûr, il était déjà possible de se connecter à internet par satellite depuis la fin des années 1990 pour les cargos porte-conteneurs, les avions de luxueux touristes, les assassins en treillis et autres journaflics, par exemple via celui de NordNet (Orange) en orbite géostationnaire à 36.000 km d’altitude, ou ceux d‘Iridium (quatre-vingt-dix satellites en orbite basse), mais disons que le projet Starlink pousse maintenant le bouchon encore plus loin avec ses concurrents de la même trempe **. Car si l’entreprise se concentrait jusqu’ici sur les marchés nord-américains, son internet planétaire – qui compte déjà 1 200 satellites en orbite autour de la Terre… avec un objectif affiché de 12 000, voire 42 000 –, elle lorgne à présent de près sur les marchés internationaux.
Le 9 février dernier, l’Arcep, soit l’Autorité étatique de régulation des communications électroniques, vient de donner une salve d’autorisations à Starlink pour exploiter plusieurs stations terrestres ainsi que les terminaux utilisateurs, en même temps que les fréquences qui transmettront le signal du satellite à la parabole domestique. Ces terminaux utiliseront les fréquences des bandes 10,95-12,70 GHz dans le sens Espace vers la Terre et la bande 14-14,5 GHz dans le sens contraire. En dehors des Etats-Unis, l’Australie avait déjà donné son feu vert en 2020, et la Grèce, l’Italie et l’Espagne devraient être les pays européens suivants après la France. En octobre dernier, l’Arcep avait de la même façon délivré au géant spatial des autorisations pour construire les trois premières bases terrestres de Starlink dans l’Hexagone, respectivement situées à Gravelines pour le Nord, Villenave-d’Ornon (Gironde) pour le Sud, et Saint-Senier-de-Beuvron (Manche) pour l’Ouest.
Si ce nouveau projet de la domination pourrait sembler un peu désespérant, en ne voyant pour l’instant pas comment aller flinguer dans le ciel cette myriade de satellites-internet en train d’infester l’horizon (déjà qu’on galère avec les drones policiers), il n’en reste pas moins que ces satellites ont d’une part besoin de bases très terrestres munies de dômes, et d’autre part que ces dernières sont elles-mêmes gourmandes non seulement en électricité, mais aussi en fibre optique. Ce que vient d’ailleurs confirmer de façon indolente Patrick Pujol, le maire de Villenave-d’Ornon où la construction de la première de ces bases est la plus avancée, à laquelle il avait fourni sans sourciller un avis favorable en septembre dernier : « D’après ce que j’ai compris, ce projet se positionne là où il y a des projets de fibre optique. Et c’est vrai qu’à cet endroit-là, il y a beaucoup de fibre optique qui passe. C’est la raison pour laquelle ce site a été choisi » (F3 Nouvelle-Aquitaine, 1er mars 2021).
Si chaque futur terminal individuel de Starlink (par parabole sur un balcon ou le toit) communique directement avec ses satellites, et que ces derniers le font directement entre eux par laser, on pourrait ainsi se demander à quoi peuvent alors servir toutes ces stations terrestres (une centaine en cours de construction aux Etats-Unis, et cinq millions sur toute la planète prévues pour un maillage complet), sinon de simple redondance du signal ?
Eh bien, si ces indispensables stations terrestres espacées de quelques centaines de kilomètres sont à chaque fois implantées à proximité des principaux points d’interconnexion physiques du réseau internet, c’est tout simplement parce qu’elles servent en réalité de passerelles-relais des données via la fibre haut-débit qui les connecte entre elles, lorsque qu’il s’agit du chemin le plus court selon la courbure de la Terre ou des obstacles géographiques et météorologiques rencontrés (en n’étant pas géostationnaires mais en orbite basse, les satellites Starlink se déplacent constamment). Les données qui voyagent d’un bout à l’autre de la planète passeront ainsi du satellite 1 à une station terrestre A puis vers une seconde B avant de remonter vers le satellite 3 ou 4, plutôt que directement d’un satellite à l’autre selon le schéma 1-2-3-4. Ceci afin d’essayer de maintenir un temps de latence (en millisecondes) le plus bas possible sans coupures, et que cet onéreux système puisse rester compétitif.
A côté des nombreuses antennes-relais de téléphonie comme de télévision qui continuent de se consumer sous les feux constants de la critique – officiellement 121 pour la seule année 2020 –, une des pistes prometteuses pour mettre directement à bas ce genre de structures de la domination, sans attendre rien ni personne et chacun.e pour ses propres (dé)raisons, pourrait alors être de regarder du côté des stocks de câbles entreposés chez tous les collaborateurs du technomonde comme Constructel et ses confrères, ou encore de soulever les petites plaques de fonte sous lesquelles serpente innocemment la fibre, comme il y a quelques jours à Pierrelatte. Tout un vaste réseau de câbles au coin de la rue et sans protection mis au service du télétravail, des terminaux bancaires et de l’appareil répressif qui, comme les antennes-relais d’ailleurs parfois reliées entre elles (si ce qui est arrivé à Yutz au début du mois nous dit quelque chose), n’attendent en réalité qu’une occasion chaleureuse pour enfin cesser de nuire.
Allez, que ces artères du pouvoir bouffent les étoiles, trônent au sommet des montagnes et des toits, empruntent tunnels et ponts, ou bordent zones industrielles et commerciales, ronds-points, rues confinées, voies ferrées, forêts et canaux, à chacun la sienne comme il est d’usage de dire !
Des amis d’Orion,
2 mars 2021
* Yaya, En regardant les étoiles. Quelques notes à propos de la colonisation des cieux et des esprits, in anarchie! n°8, novembre 2020, pp. 14-15
** A côté de Starlink, qui est le plus spectaculaire, existent aussi les projets concurrents de Kupier System (Amazon), qui prévoit d’envoyer 3 250 satellites, One Web de 650 à 2000, ou la franco-italienne Thalès Alenia Space avec trois groupes différents (Globalstar2, O3b et Iridium Next) pour un total de 125 satellites.