Allez savoir pourquoi, mais par un beau matin de fin d’automne est venue s’immiscer une petite intuition : et si les antennes-relais étaient aussi prises pour cible dans les colonies ? Après tout, dans ces contextes comme ailleurs, pourquoi des révoltés n’identifieraient-ils pas à leur tour ces structures de la domination comme des cibles légitimes pour leurs propres raisons ? Si on sait déjà que plusieurs antennes-relais ont été incendiées dans l’île de la Réunion depuis trois ans, qu’en est-il par exemple des Antilles secouées par une vague d’émeutes ces dernières semaines, ou de la Nouvelle-Calédonie dans le Pacifique Sud, qui a connu de nombreuses attaques contre l’industrie minière de nickel, et où le troisième référendum sur l’indépendance est prévu ce dimanche ? Bien sûr, on se doute bien que ce genre de sabotages ne sont pas forcément mis en avant, ni par un pouvoir soucieux d’éviter toute publicisation excessive d’exemples potentiellement contagieux, ni par les démocrates aspirants gestionnaires qui souhaitent prendre les rênes du développement technologisé insulaire à sa place… mais ne dit-on pas aussi que qui cherche trouve ?
En Martinique, c’est ainsi qu’une petite information a filtré dans la bouche du maire de la commune du Diamant le 6 décembre, dans l’émission Sa Zot Ka Di de la radio d’État Martinique 1ère. Au milieu d’une description apocalyptique de l’impact des émeutes sur l’économie, dont les hôtels et restaurants ont ces derniers temps plus senti le roussi des barricades et des pillages que la sueur des touristes en quête de sable chaud, Môssieur le maire a déploré en direct deux belles attaques menées par ses administrés en colère.
La première s’est déroulée le 24 novembre dernier au petit matin, lorsque le cadenas du portail puis les portes métalliques de la station de Météo-France située sur les hauteurs du Morne Pavillon ont été fracturées… avant que le bâtiment qui abrite la boule-radar ne soit ravagé par les flammes, de même que le poste bâti en dur et situé à une vingtaine de mètres. Mis complètement hors d’usage, c’est donc le radar de l’île voisine de la Guadeloupe, « beaucoup moins performant », qui fournira désormais les données de Météo-Frrrance aux autorités préfectorales martiniquaises afin qu’elles puissent gérer leur population au plus près en cas d’intempéries.
Quant à la seconde attaque, au cours de la même période, elle concerne l’incendie volontaire d’une antenne-relais située sur un réservoir d’eau, dont on n’en saura pas plus, sinon que le premier édile mettait tout de même un pluriel aux structures de télécommunication détruites sur la commune du Diamant dans son communiqué officiel du 28 novembre, dans lequel il se plaignait entre autres « de nombreux vandalismes effectués les nuits dernières par des individus n’ayant pas pris la mesure du bien public » ! En tout cas, c’est plutôt une deuxième qu’une première, puisque l’année dernière au Sud de la Martinique, et en pleine saison touristique, deux antennes-relais avaient déjà entièrement brûlé à Saint-Joseph.
Du côté de la Nouvelle-Calédonie, où de nombreux Kanak indépendantistes de cette colonie de peuplement appellent à boycotter le scrutin de dimanche 12 décembre portant sur l’autodétermination de l’île, l’État français a déployé ces dernières semaines de gros moyens pour empêcher tout désordre : 1 400 gendarmes, 250 militaires et une centaine de policiers ont été envoyés en renforts. Le tout accompagné de 160 véhicules légers, 30 engins blindés, deux hélicoptères Puma et un avion Casa de l’armée. De la même façon que l’antenne locale du GIGN a été renforcée « pour faire face à tous types de situation ».
Une vieille question se pose alors de fait aux révoltés qui n’entendent pas rester passifs ou résignés face à une occupation militarisée du terrain : que peuvent bien faire dans une telle situation de petits groupes agiles et déterminés connaissant leur environnement comme leur poche ? Un début de réponse se trouve peut-être dans les incendies de structures de l’ennemi qui se sont produits la même nuit de mercredi à jeudi 9 décembre à deux endroits différents du territoire, le premier aux portes de la capitale Nouméa sur la commune de Mont-Dore contre l’antenne-relais du quartier Robinson, et le second contre le site télécom de Ouano sur la commune de La Foa, située une centaine de kilomètres plus au nord.
L’organisme officiel qui s’occupe notamment des infrastructures critiques de l’île, à savoir l’Office des postes et télécommunications (OPT), a en effet déploré la destruction nocturne de ces deux antennes à l’aide de pneus enflammés, « endommageant la fibre optique » sur chacune des installations, en provoquant des coupures à la fois de téléphonie mobile et fixe mais aussi d’internet dans le coin. Vu la sensibilité de ces sabotages, le parquet a décidé comme cela se fait en métropole avec la cellule Oracle, d’associer la section de recherche (SR) centrale de la gendarmerie de Nouméa aux enquêteurs locaux des communes concernées.
Cela rappelle certainement de mauvais souvenirs aux autorités remontant à une année exactement, soit en décembre 2020 lorsque les barrages et attaques contre l’usine de nickel de la multinationale Vale battaient leur plein, puisque c’est aux alentours de cette même commune de Mont-Dore qu’en plus de l’incendie de l’agence et des véhicules de l’OPT, avaient aussi été sabotés dans un même élan la fibre optique (dans le secteur Boulari-La Coulée) connectant tout le Sud du territoire, le réseau de transmission hertzien de la télévision (en coupant son alimentation électrique dans la zone de Oungone–Port Boisé)… ainsi bien sûr que « internet et les télécommunications mobiles et fixes » en rendant déjà visite à son antenne-relais.
En Nouvelle-Calédonie, l’Office des postes et télécommunications semble d’ailleurs à nouveau dans le collimateur ces derniers temps – en plus de ses antennes de Mont-Dore et de La Foa, puisque deux de ses distributeurs de billets ont également été défoncés le week-end dernier dans les villages de Poum et de Katiramona (Dumbéa). Bon, en même temps, lorsqu’au prétexte du covid-19 cette colonie a non seulement été placée sous confinement strict (fermeture des écoles et commerces « non essentiels », couvre-feu de 21h à 5h, déplacements diurnes soumis à attestation) depuis le 7 septembre par le gouvernement, puis « allégé » depuis fin novembre et jusqu’au 19 décembre, avec toujours un couvre-feu (23h-5h du matin), le pass sanitaire ou une interdiction des rassemblements de plus de 30 personnes, il ne serait pas étonnant non plus que des insomniaques soient allés se promener en territoire hostile pour interrompre les flux du contrôle technologique.
Allez, comme il est coutume de dire du centre à la périphérie : à chacun la sienne !