[Le 5 décembre devant la cour d’appel des assises de Turin, se tenait une nouvelle audience contre Alfredo Cospito et Anna Beniamino, dans le cadre du procès Scripta Manent. Celle-ci devait en effet recalculer la peine définitive des deux compagnon.nes, après que la Cour de cassation ait décidé en juillet dernier de requalifier l’attaque avec double charge explosive décalée contre l’école de formation des carabiniers de Fossano (2006), pour laquelle ils ont été condamnés, de « massacre contre la sécurité publique » en « massacre contre la sécurité de l’Etat ».
Lors de cette audience, le procureur a cette fois réclamé la perpétuité plus le régime d’isolement diurne pendant un an contre Alfredo, et 27 ans et un mois de prison contre Anna, mais la cour d’appel des asssises de Turin a décidé de ne pas se prononcer. Elle a suspendu le recalcul des peines à une question posée à la Cour constitutionnelle, afin de savoir si l’attaque de Fossano pouvait bénéficier ou pas de la circonstance atténuante de « faible intensité » (vu que dans ce « massacre » il n’y a eu ni mort ni blessé, mais sachant que le proc refuse de son côté de faire la différence entre « tentative de » et « effectivité du »). L’acceptation de ce point ferait alors possiblement baisser la peine prévue pour Alfredo dans le code, de la perpétuité incompressible à 24 ans de prison. La lecture des attendus de ce renvoi devant la Cour constitutionnelle a été renvoyée à une nouvelle audience fixée au 19 décembre prochain.
Alfredo Cospito et Anna Beniamino ont chacun lu une déclaration devant la Cour d’appel des assises de Turin lors de cette audience du 5 décembre (en visioconférence depuis les taules de Sassari et Rome), dont on trouvera ci-dessous pour infos la traduction.]
Déclaration d’Alfredo Cospito
lue devant la Cour d’appel des assises de Turin
« Je ne lirai que quelques lignes. Avant de disparaître définitivement dans l’oubli du régime 41 bis, permettez-moi de dire peu de choses, puis je me tairai à jamais. La magistrature de la République italienne a décidé que, étant trop subversif, je ne pouvais plus avoir la possibilité de revoir les étoiles, la liberté. Elle m’a enterré définitivement dans une perpétuité incompressible, que je ne doute pas que vous me donnerez, avec l’accusation absurde d’avoir commis un « massacre politique » pour deux attentats démonstratifs en pleine nuit, dans des lieux déserts, qui ne devaient et ne pouvaient blesser ou tuer personne, et qui de fait n’ont blessé ni tué personne. Et non contents de cela, en plus de la perpétuité incompressible, vu que je continuais depuis la prison à écrire et à collaborer à la presse anarchiste, il a été décidé de me fermer la bouche pour toujours avec la muselière médiévale du 41bis, en me condamnant à des limbes sans fin en attente de la mort.
Je ne l’accepterai pas et je ne me rendrai pas ; je continuerai ma grève de la faim pour l’abolition du 41bis et de la perpétuité incompressible jusqu’à mon dernier souffle, afin de faire connaître au monde ces deux abominations répressives de ce pays. Nous sommes 750 dans ce régime et c’est aussi pour cela que je me bats. Avec à mes côtés mes frères et sœurs anarchistes et révolutionnaires. Je suis habitué à la censure et aux écrans de fumée des médias, dont le seul but est de monstrifier tout opposant radical et révolutionnaire.
Abolition du régime 41 bis.
Abolition de la perpétuité incompressible.
Solidarité avec tous les prisonniers anarchistes, communistes et révolutionnaires du monde entier.
Toujours pour l’anarchie. »
Alfredo Cospito,
5 décembre 2022
Déclaration d’Anna Beniamino
devant la Cour d’appel des assises de Turin
« Ce procès est un procès politique, qui vise depuis le début à administrer une punition exemplaire, un procès de nos identités d’anarchistes plutôt que des faits, un procès de ceux qui n’abjurent pas leurs idées.
Un massacre sans massacre attribué sans preuve est le sommet d’un effort croissant des services anti-terroristes et du Parquet pour exorciser le spectre de l’anarchisme d’action.
C’est dans le même but que se place l’imposition du régime 41 bis à Alfredo Cospito, coupable d’entretenir des rapports avec le mouvement anarchiste depuis la prison. La grève de la faim jusqu’à la mort que le compagnon est en train de mener depuis le 20 octobre est le dernier recours contre l’isolement et la privation sensorielle, physique, psychique, contre un bâillon politique. Un bâillon qui l’a même empêché de lire les raisons de la grève elle-même.
Le 41 bis est le degré extrême de l’acharnement des régimes différenciés : des prisons où l’isolement continu et la surpopulation des sections ordinaires sont les deux faces d’un système visant à anéantir l’individu. Des prisons où des massacres, les vrais, se sont passés et se passent encore : dans la répression des révoltes de 2020, dans la succession de suicides, dans le traitement des prisonniers les plus pauvres et les plus fragiles comme un « matériau résiduel » de la société techno-capitaliste dominante.
Si quelque chose arrive à Alfredo Cospito, n’importe quel individu doté d’un esprit critique comprendra qui sont les commanditaires et les exécutants de son anéantissement physique, après avoir échoué à effectuer celui politique et de son idéal. Je suis consciente d’être l’otage d’un système qui cache son effondrement politique, économique, social et environnemental derrière le fétiche de la « sécurité » et du « terrorisme ».
Il est nécessaire de s’y opposer. Vous pouvez détruire la vie des personnes, vous ne réussirez pas à éteindre la pensée et les pratiques anti-autoritaires. Vous ne réussirez pas à briser la tension révolutionnaire, vous ne réussirez pas à éteindre l’anarchie.
Je salue Alfredo et tous les compagnons. »
Anna Beniamino,
5 décembre 2022
[Déclarations traduites de l’italien, et publiées ici et là sur infernourbano, 5 décembre 2022]